
Colère de la jeunesse et répression au Togo, l’un des derniers bastions de la Françafrique
Les forces de l’ordre et miliciens du régime en civil ont fait au moins sept morts, des dizaines de blessés et de nombreuses arrestations lors des manifestations à Lomé, capitale du Togo : des explosions de colère spontanées qui ont duré trois jours du 26 au 28 juin.
Fin juin, ce n’était pas seulement l’indignation contre la répression de toute liberté d’expression, mais aussi contre la vie chère, le chômage et, cerise sur le gâteau, contre la modification de la Constitution décidée en avril dernier par le président togolais, Faure Gnassingbé, pour s’assurer la présidence à vie : plus de limite au nombre de mandats successifs à la présidence du pays, ni même d’élection présidentielle, un simple vote du Parlement à la botte du pouvoir suffisant désormais.
60 ans de pouvoir du clan Gnassingbé, père et fils…
Le père de l’actuel président du Togo, Eyadéma Gnassingbé, sergent chef dans l’armée française lors des guerres d’Indochine et d’Algérie et reconverti dans l’armée togolaise à l’indépendance du pays, avait pris le pouvoir en 1963 au Togo en prenant part à l’assassinat du premier président de l’indépendance togolaise, Sylvanus Olympio (assassinat orchestré par la France). À sa mort, digne fils de son père, c’est par un coup d’État militaire le proclamant héritier du poste, et une répression des manifestations de protestation ayant fait plus de 500 morts que l’actuel président s’est imposé au pouvoir en 2005.
Un pouvoir qui n’a jamais toléré la contestation. Et aujourd’hui, après avoir commencé par dire que les manifestants morts les 26-28 juin se seraient tout simplement noyés, il déclare, par la voix du colonel qui occupe le poste de ministre de l’Administration territoriale que les manifestations étaient purement et simplement « des actes de terrorisme », une tentative fomentée de l’extérieur pour déstabiliser le régime. Mercredi 9 juillet le gouvernement togolais a lancé des mandats d’arrêt contre plusieurs opposants, blogueurs, artistes, journalistes et, vu qu’une partie de ces opposants sont en exil, il a clamé par la voix du ministre de l’Intérieur, un autre colonel : « Quand on lance un mandat d’arrêt international, il doit y avoir une suite et soyez rassurés que nous irons jusqu’au bout. »
… à l’ombre de la France
Bien dérisoires et hypocrites sont, une fois de plus, les déclarations gênées, mercredi 2 juillet, du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, demandant seulement au régime togolais de bien vouloir « faire toute la lumière sur les accusations de torture ». Qu’il démente ces accusations, on le croira sur parole, et les morts on les oublie ! Quoi d’étonnant vis-à-vis d’un des derniers fidèles de la Françafrique, depuis que Mali, Burkina-Faso et Niger ont chassé les contingents de l’armée française, et que même le fils Déby, qui a pris au Tchad la succession de son dictateur de père, adoubé par Macron, a quelques velléités de prendre ses distances.
C’est que la France, ou plutôt ses hommes d’affaires, y ont leurs intérêts. Un Vincent Bolloré par exemple qui s’était fait accorder en 2010 l’exploitation du port de Lomé en finançant cette année-là la campagne électorale de Faure Gnassingbé. Certes il a cédé ses parts en 2023 dans le cadre du rapatriement de ses affaires vers la métropole, mais il garde au Togo de son ami Faure quelques petits intérêts : sa société Canal a part prépondérante dans les télécommunications et le réseau internet du pays. Au point que le journaliste d’opposition togolais (en exil forcé), Ferdinand Ayité, rappelle que c’est bien la société de Bolloré qui a eu la charge couper ces jours-ci les réseaux sociaux au Togo à la demande du gouvernement togolais.
Conditions de travail déplorables, salaires de misère et grèves interdites
Pas plus que la contestation politique, la contestation sociale n’est tolérée par le régime. Le droit de grève, déjà fort peu respecté comme n’est pas respecté par les employeurs un salaire minimum officiel, a été encore réduit par une réforme du Code du travail en 2021. Plus d’une centaine de syndicalistes enseignants ont ainsi été révoqués de la fonction publique l’année suivante, en avril 2022, pour avoir organisé une grève décrétée illégale, grève largement suivie, notamment pour les salaires impayés souvent depuis des années, certains enseignants recrutés en 2014 n’étant toujours pas payés huit ans plus tard.
Conditions de travail décentes ou mesures de sécurité ne sont pas plus respectées, comme sur le port de Lomé où les accidents de travail sont fréquents parmi les dockers chargeant les balles de coton, employés d’une société sous-traitante du groupe Bolloré, qui s’étaient mis en grève en avril 2023 : considérés comme travailleurs occasionnels, les dockers handicapés n’ont droit à aucune pension.
En ces mois de juin-juillet 2025 c’est l’explosion des prix, et en premier lieu du prix de l’électricité (+12,5 %) décidée par le gouvernement en mai dernier, entrainant toute une cascade d’autres hausses qui, à côté de la révolte politique, alimente la colère.
Malgré la répression et la fermeture des réseaux sociaux pour éviter la diffusion des informations, de nouveaux appels à manifester contre le régime et la répression sont lancés pour les 16 et 17 juillet, jour d’une élection municipale voulue par le régime, et boycottée par tous les partis d’opposition.
Olivier Belin