1933 : Quand les fascistes ont pris le pouvoir [Topo WEF oct 2024]

I. Qu’est ce que le fascisme ? D’où qu’il vient ?

Les conséquences pour l’impérialisme Allemand d’abord, qui perdit non seulement ses colonies, la France et l’Angleterre s’en attribuant l’essentiel, mais il perdit aussi un septième de son propre territoire, avec un dixième de sa population. Comme les vainqueurs annexent toujours le bon droit de leur côté, ils déclarèrent l’Allemagne coupable et la taxèrent d’énormes réparations de guerre. Ils lui interdirent de réarmer, lui imposèrent de renoncer à son aviation, de ne posséder qu’une marine faible et réduisirent son armée à 100 000 hommes, soit une armée incapable de menacer leur puissance, mais indispensable à ce que les dirigeants bourgeois appellent « le maintien de l’ordre ».

Le Traité de Versailles de 1919, qui consacrait de cette façon la dure loi du plus fort, portait le nom de « Traité de Paix ». Mais ce n’en était pas un. C’était un diktat pur et simple, qui étranglait l’impérialisme allemand. Les hommes politiques allemands l’acceptèrent puisqu’il leur était imposé par la force, mais ils ne renonçaient nullement, à terme, à récupérer pour leur impérialisme l’espace et les richesses nécessaires à son expansion. Le chaos de l’après-guerre frappa les artisans, les marchands et les employés aussi durement que les ouvriers. La crise de l’agriculture ruinait les paysans. 

Le parti nazi fut formé, en 1921, par des anciens combattants incapables de supporter le retour à la vie civile et surtout la perte de commandement. Certains venant même d’organisations paramilitaires, comme les corps francs, formés par le patronat pour réprimer les luttes des W. Nombre d’entre aux formèrent les SA (les sections d’assaut), véritable milice du parti. 

A) La montée du fascisme comme fruit de la crise du capitalisme

La crise explosa en 1929. Tout commença aux États-Unis, où le capitalisme avait atteint un niveau de production et une accumulation des marchandises d’une ampleur jamais vue auparavant. Cette surproduction n’avait aucun débouché dans la société. Le pouvoir d’achat était mince. Les dépôts des entreprises étaient trop pleins. Le chômage augmenta d’une manière rapide et incontrôlée. Les capitalistes américains cessèrent de prêter de l’argent à l’Europe vers la fin de l’automne 1929. L’effet fut dévastateur en Allemagne et dans les autres pays qui avaient conclu de grands emprunts auprès des Etats-Unis. Les indices de production en Allemagne chutèrent de 20 %. La situation de l’Allemagne était la pire de tous les pays européens. L’Allemagne avait, entre 1924 et 1929, emprunté 900 millions de livres sterling et payé 500 millions en dommages de guerre aux alliés. Le reste avait été investi dans le pays, dans les réparations de toutes sortes après la première guerre mondiale. L’économie allemande, publique comme privée, était totalement dépendante de l’argent emprunté. Des banques allemandes et autrichiennes firent faillite en chaîne.

La population allemande broyée par la crise

Le chômage atteignit le chiffre incroyable de 7 millions de chômeurs « officiels » en 1932 (et sans doute au moins 3 millions de « non enregistrés » – 1 travailleurs sur 3). Durant l’hiver 1930-1931, près de la moitié des familles ouvrières survécurent d’allocations, de secours, de soupes populaires. La situation de la jeunesse était particulièrement dramatique. Un grand nombre de jeunes ouvriers, sans toit ni secours, erraient sur les routes, vivant d’aumônes ou de travaux occasionnels. Dans certaines régions, des milliers d’enfants souffraient de sous-alimentation grave.

Les couches d’employés, de fonctionnaires, d’artisans, subirent encore plus brutalement les incidences de cette crise que le prolétariat industriel, protégé par les conventions collectives, les allocations chômage. Ce furent ces couches qui, à partir de 1930, commencèrent à voter massivement pour le parti nazi aux élections, et vinrent remplir les rangs des S qui passa de 100 000 en décembre 1930, à400 000 en 32, puis 2,9 millions en 34, et les effectifs du parti (en 1930, 65 % des membres sont des employés, paysans et professions indépendantes – contre 26% d’ouvriers)1.

B) La démagogie fasciste : révolutionnaire et anticapitaliste

Trotsky a analysé le national-socialisme « comme l’expression politique du désespoir des classes moyennes : des petits commerçants, artisans, paysans ruinés, d’une partie du prolétariat au chômage, des fonctionnaires et anciens officiers de la grande guerre qui portent toujours leurs décorations mais qui ne touchent plus leur solde, des employés de bureau qui ont fermé, des comptables des banques en faillite, des ingénieurs sans emploi, des journalistes sans traitement ni perspective, des médecins dont les clients sont toujours malades mais ne savent pas comment les payer.

Le programme en 25 points du NSDAP (adopté en 1920) était d’une démagogie pseudo socialiste totales : confiscation de tous les bénéfices de guerre” ; “augmentation des pensions des retraités” ; “arrêt de toute spéculation foncière” ; “que l’État couvre les frais de l’instruction supérieure des enfants de parents pauvres” ; “améliorer la santé publique” ; “l’interdiction du travail de l’enfant” ; “nationalisations” – tout ça au milieu de création d’un Grand Reich allemand, l’annulation des dispositions du Traité de Versailles, la perte de la citoyenneté allemande pour les Juifs, et la mise en place d’un État autoritaire. 

Le programme du parti nazi, qui sera considérablement développé avec Mein Kampf était un ramassis de préjugés de la petite-bourgeoisie : à travers le mythe de la race supérieure, le petit-bourgeois ruiné pensait retrouver sa fierté. La crainte envieuse envers le grand capital s’y trouvait exprimée par des propos enflammés contre la pseudo-finance juive et par la haine du petit boutiquier juif. C’est pour cela que le parti nazi attira à lui tous ces petits-bourgeois, qui pensaient avoir une place dans la société, et qui se retrouvèrent à faire la queue aux mêmes soupes populaires que les ouvriers qu’ils méprisaient et dont ils haïssaient les idées socialistes. Ils haïssaient le mouvement ouvrier, mais presque autant le grand commerce qui avait profité des malheurs des boutiquiers. Et l’antisémitisme débordant des nazis permettait surtout de faire des juifs les responsables de la situation et de laisser hors d’atteinte le grand patronat. Qui le rendit bien aux nazis.

C) La bourgeoisie fait le choix du nazisme

Le choix de la bourgeoisie de remettre son sort dans les mains du nazisme pour écraser la classe ouvrière en s’appuyant sur les masses de petits-bourgeois déchaînés s’affirma au cours des années de développement de la crise. Elle fait ce choix car la crise fit tomber de manière catastrophique ses profits. Un des précurseurs fut le magnat de la sidérurgie Thyssen, qui finança Hitler dès 1923. Il fut rejoint en 1929 par Emil Kirdof, le « roi du charbon » de la Ruhr. Et ceux-ci ne restèrent pas insensibles à ses appels. Dans la déposition au procès de Nuremberg du responsable des finances du parti, il y avait une longue liste de noms. On y trouvait pêle-mêle von Schnitzler (un des directeurs de l’IG Farben – empire industriel du caoutchouc, plastique, textile, essences synthétiques), Rosterg et Diehn (de l’industrie de la potasse), Cuno (de la compagnie de navigation), Conti (des caoutchoucs), Otto Wolf (industriel de Cologne), von Schroeder (important banquier de Cologne), tout un tas de banques (la Deutsche Bank, la Kommerz und Privat Bank, la Dresdener Bank, la Deutsche Kredit Gesellschaft), et la compagnie d’assurances Allianz. C’est que le parti nazi avait de gros besoins financiers ! On estime qu’en 1932, le seul entretien des SA coûtait plus de deux millions de marks par semaine. 

L’enjeu pour la bourgeoisie c’est la relance des profits. Celle-ci a pour pré-condition la destruction du mouvement ouvrier organisé (on y reviendra). Le parti fasciste de masse et ses formations terroristes paramilitaires permettent de remplir cette fonction. 

De son putsch manqué de 1923, écrasé par la bourgeoisie qui ne requierait pas encore l’aide du fascisme pour écraser la classe ouvrière, Hitler avait tiré la conclusion qu’il lui fallait parvenir au pouvoir dans le cadre des institutions. Ce n’étaient évidemment pas des scrupules légalistes qui l’animaient, mais la conscience que cette accession au pouvoir ne pouvait se faire qu’avec l’accord des classes dirigeantes. C’est pourquoi à partir du moment où, du fait de la crise économique, cette possibilité d’arriver au pouvoir dans des délais brefs se fit jour, Hitler mit tout son poids dans la balance pour que les discours de son parti soient acceptables pour le grand patronat. Plus question de parler de nationalisations, de proposer des mesures susceptibles de fâcher les grands propriétaires terriens, de se dire solidaires de certaines revendications ouvrières. Aux patrons, on expliquait au contraire que l’application dans les entreprises du « Führerprinzip », le principe du chef, qui régissait le parti nazi, leur permettrait d’y régner sans partage. Trotsky écrivit quelques jours après la nomination de Hitler à la chancellerie : « Nous sommes dans une époque où la défense de la propriété ne peut être assurée autrement qu’à coups de poings ». Et c’était bien là le rôle des bandes fascistes du parti.

II. Réaction des deux partis ouvriers 

A) Politique proposée par SPD puis KPD

Face au parti nazi deux partis ouvriers font office d’opposition, qui vont finalement se reveler incapable de stopper l’hémoragie fasciste. 

Tout d’abord le SPD, le parti social-démocrate allemand, qui dans les années 30 influence la majorité de la classe ouvrière. Il représente 20% à 25% des voix aux élections, 1 million de membres et est à la tête du principal syndicat l’ADGB fort de 4 millions de syndiqués sur environ 18 millions de travailleurs. Le SPD est le joyau de de la deuxième internationale, l’internationale ouvrière socialiste, c’ets un parti qui se revendique du marxisme. Au début de la 1gm, il vote les crédits de guerre et participe à l’union sacrée, le parti s’est donc rangé du côté de sa bourgeoisie contre le prolétariat des autres pays belligérants. Il continue, durant les années 20, à glorifier, dans son organe de presse, les « centaines de milliers de sociaux démocrates morts pour l’idée d’une Allemagne plus belle et plus libre ». Oubliant donc que tous les ouvriers sont morts en tant que chair à canon et comme esclaves du capital. Il a également participé à l’écrasement de la révolution de 1918, qui a trahi lors de la tentative d’insurrection de 1923 et a armé les corps francs qui ont exécuté Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, dirigeants et fondateurs du Parti Communiste naissant en Allemagne.

Face à la montée du fascisme en Allemagne, le SPD est convaincu de s’en remettre constamment aux institutions bourgeoises. Ce parti essaye de convaincre la bourgeoisie de participer au dialogue social et de discuter avec lui. Bien que sa base sociale se radicalise face à la montée du fascisme et aux conséquences de la crise économique. Ce qui met le SPD dans une position difficile : pour prouver à la bourgeoisie qu’il peut empêcher tout risque révolutionnaire, et qu’ainsi, la bourgeoisie n’a pas besoin de l’option « fasciste », la direction social-démocrate est obligée de diriger des grèves pour mieux les controler. Mais la bourgeoisie ne peut plus assumer cette politique de dialogue social : elle doit écraser la classe ouvrière, y compris les très respectables sociaux-démocrates qui lui ont tant sauvé la mise, le SPD est donc délaissé au profit des nazis.

Mais le SPD s’enferme dans une politique qui va lui coûter la vie, une politique du moindre mal, comme en début 1932, lors de l’élection pour la présidence du Reich, où il appelle à faire barrage à Hitler en votant dès le premier tour pour le maréchal Hindenburg. Président qui nommera Hitler au pouvoir un an plus tard. Les sociaux démocrates pensaient que les élections sauveraient les Allemands d’Hitler.

Ainsi lorsque le 12 Février 1933, 600 nazis donnent l’assaut sur un foyer sportif ouvrier, Stampfer, qui est un leader de la social-démocratie, écrit le 14 Février 33 pour justifier son inaction que sa « foi dans le droit et la justice n’est pas encore morte en Allemagne ». Faut même croire que sa foi a survécu, comme lui, au talon de fer fasciste ! Des millions de prolétaires n’auront pas sa chance…

La social-démocratie ne garde pas en tête que, qui veut la victoire de la justice prolétarienne sur la violence fasciste doit entrer en lutte. S’en remettre à un droit, à une justice bourgeoise, c’est aveugler les travailleurs sur leurs capacités à enrayer la montée du fascisme, c’est ne jamais leur faire confiance et les tromper.

Le parti social démocrate fait semblant de vouloir s’entendre avec les communistes qu’ils accusent de sectarisme mais ne leur propose de toute façon qu’un pacte de non agression… en 1932 ! Toute lutte physique commune briserait leur potentiel accord car elle risquerait de pousser la bourgeoisie dans le camp fasciste, donc autant montrer une respectabilité relative.  Le parti ne pose jamais la question de comment combattre le fascisme, car la social- démocratie ne combat pas le fascisme, il l’évite au mieux avec des accords et des élections.

Mais, me direz-vous, c’est normal que des sociaux-démocrates soient des sociaux-démocrates. Vous, ce que vous voulez, c’est savoir ce que faisait le parti communiste : la section allemande de l’internationale communiste, celle de Lénine! Constituée de dizaines de milliers de militants, il influence 300 000 personnes au sein des syndicats communistes. Il représente environ 15% des voix électorales. C’est un parti qui participe amplement à la 3e internationale stalinisée et qui vit les tournants de sa politique.

A partir de 1928, celle-ci opère un brusque revirement. Entre 1921 et 1928, la politique menée par l’IC et le KPD est celle du front unique ouvrier. Passant par des alliances extra-parlementaire, le KPD s’implique dans de nombreux mouvements de grève notamment en s’alliant avec d’autres partis comme le SPD et l’USPD (comme quoi les scissions où on ajoute une lettre c’est pas nouveau) tout en conservant leur liberté de critique. Cela à permis au KDP de largement grandir et d’être respecté au sein des syndicats. Le front unique se dessine notamment en Juin 22 après l’assassinat antisémite de Rathenau, un ministre démocrate, par l’extreme-droite. Le KPD organise une réunion avec le SPD et l’USPD afin de prendre des mesures de défense contre le terrorisme d’extreme-droite. C’est le cas notamment lors de la grève des cheminots de 1922 avec des manifestations communes ainsi que des comités organisés au niveau local. une pratique qui va participer à sa transformation d’un parti peu implanté dans la classe ouvrière à un parti de masse ouvrier en 1924.

Mais cette politique sera abandonnée pour la politique de la troisième période. 

A contrario du front unique ouvrier, elle va se traduire par une attitude très sectaire envers les partis sociaux-démocrates, qu’ils vont qualifier de social-fascistes. Cela ne peut que brouiller les cerveaux des travailleurs, comment différencier fascistes et social-fascistes quand le kpd transmet la théorie que ce sont deux frères jumeaux. En novembre 1931, la Rote Fahne, le journal du KPD, écrit : « le fascisme de Brüning n’est pas meilleur que celui de Hitler… C’est contre la social-démocratie que nous menons le combat principal. ». Bruning est à ce moment-là chancelier (équivalent de premier ministre) avec l’appui de la social-démocratie. Il agravera la crise économique avec une politique restrictive, dont une baisse de la part des chômeurs indemnisés de 52% des chômeurs indemnisés à 17% et une hausse des impôts. Le président du KPD, Ernst Thalmann, dira dans son discours de décembre 1931 « les arbres nazis cachent la forêt social-démocrate ». 

Comment gagner la confiance des ouvriers sociaux-démocrates avec une telle campagne de diabolisation.

Le KPD n’essaie pas réellement de s’adresser aux ouvriers sociaux-démocrates. Pourtant, il en a l’expérience, c’est lui qui défend en premier la perspective du « front unique ouvrier » dès 1921. Mais en attendant, le KPD fait quoi pour construire l’unité prolétarienne ? Il va créer d’autres organisations dites “unitaires” d’auto-défense contre l’extrême-droite comme l’Action Antifasciste. Quand des ouvriers sociaux-démocrates vont demander à Thalmann si L’Action Antifasciste est une annexe du Parti communiste, il va répondre non… mais il va aussi expliquer que l’Action Antifasciste vise la destruction de l’État bourgeois. Pas difficile dans ses conditions pour les sociaux-démocrates de refuser une alliance de circonstance avec les communistes ! Il s’agit donc d’une orga unitaire entre communistes et sympathisants communistes, c’est ça le sectarisme. Avec sa politique, le KPD permet au SPD de garder face à peu de frais, avec les conséquences qu’on connaît !

Paradoxalement, le KPD essaie de concurrencer le NSDAP sur le terrain nationalisme, devenant opportuniste à souhait. Il met sur le même plan révolution populaire et Révolution prolétarienne, ainsi que libération nationale et libération sociale. Comme si l’Allemagne était un pays colonisé ! Il va jusqu’à mener des actions parallèles et parfois concertés avec la parti nazi, pour renverser le gouvernement de la République de Weimar, comme la motion provoquant la dissolution du Parlement allemand de juillet 1932. Ces actions, elles se font parce qu’il y a une sous-estimation du danger de l’atomisation de la classe ouvrière qui risque d’arriver. Et il y a toute la théorie de si les nazis sont au pouvoir, c’est moins grave que si c’est la social-démocratie,  juste après ce sera nous parce que la révolution sera à nos portes. Théorie qui n’a pas été démontrée du coup.

B) La politique proposé par Trotsky : Le front uni-que

On a vu que les deux principaux partis ouvriers, qui organisent et influencent la vie de millions, sous-estiment la menace fasciste : pour l’un car on peut la « contrôler » dans les institutions, pour l’autre car une victoire nazi signifierait l’ouverture de la révolution allemande et donc la victoire des communistes. Mais on trouve quand même des militants organisés pour prendre le danger au sérieux et non seulement alerter sur la situation, mais aussi proposer une politique pour résoudre la situation. Ces militants sont principalement influencés par un ancien dirigeant bolchevik exclu de l’Internationale Communiste, Léon Trotsky.

Alors, ce Trotsky qui est-ce ? 

Trotsky est un membre du parti bolchévique qui a participé à la Révolution de 1917, qui a dirigé l’Armée Rouge, un membre important. Dans les années 30, sa politique s’oppose à celle de Staline qui est à la tête du parti communiste de l’union soviétique. Trotski est d’ailleurs exilé en Turquie en 1929 quand il va commencer à proposer sa politique de Front Unique. Son objectif à ce moment-là c’est de chercher une aile gauche au sein des partis communistes pour redresser la barre de l’Internationale Communiste qui peine parmi les zigzags politiques impulsés par Moscou. Trotsky s’adresse donc surtout aux militants du KPD qui se reconnaîtraient dans sa politique, mais il est lu plus largement que les rangs communistes.

Dès 1930, Trotsky voit l’urgence de la lutte contre le fascisme en Allemagne. Il s’agit d’agir immédiatement, ne pas attendre plusieurs semaines, mois ou années. Car il est plus facile d’arrêter une montée du fascisme que d’arrêter le fascisme une fois qu’il a détruit la classe ouvrière et son organisation. Le KPD n’est pas mort et enterré, il peut se battre et entraîner la classe ouvrière.

La politique proposée par Trotsky est celle du front unique. Front unique et pas front populaire comme le défendra dès 1935 l’Internationale Communiste. Précisément ce n’est pas la même chose. À l’inverse des marchandages parlementaires conclus par le parti communiste avec la social-démocratie qui eux ne servent que la social-démocratie, car une alliance programmatique et électorale se fait toujours sur le programme du plus modéré. Le Front Unique consiste en un accord pratique pour des actions de masse, pour des buts militants, sans exigence, que les dirigeants sociaux démocrates eux-mêmes ne peuvent qu’accepter.

Le programme se base sur la protection des usines, la liberté d’action des comités d’usines, l’intangibilité des organisations et de institution ouvrières, la question des dépôts d’armes dont peuvent s’emparer les fascistes, sur les mesures à prendre en cas de danger, sur les actions militantes des communistes et des sociaux démocrates qui veulent se battre contre le fascisme. Il s’agit de défendre les positions morales et matérielles que la classe ouvrière a déjà conquis, c’est-à-dire les syndicats, journaux, imprimeries, clubs, bibliothèque et organisations. Par exemple, si des fascistes viennent cette nuit saccager le local de ton organisation locale sociale-démocrate, moi communiste je viens avec des armes le défendre et j’attends de toi la même chose. Quel ouvrier social démocrate ne pourrait pas répondre favorablement, quel dirigeant social démocrate pourrait refuser un tel programme d’action, qui n’est d’ailleurs pas révolutionnaire pour un sou ?

En général, cet accord se fait au profit du parti révolutionnaire. Parce que s’il le propose aux dirigeants et à la base du parti soc-dem. Si les dirigeants refusent, la base voit l’intérêt et remet en doute ses dirigeants, si la direction du parti accepte cela permet des victoires, une confiance en la classe ouvrière grandissante qui même si elle ne se traduit pas forcement par des membres qui rejoignent le PC, ça reste une victoire pour le mouvement ouvrier et la conscience de classe. 

Le front unique c’est « marcher séparément mais frapper ensemble », expression que vous avez probablement déjà entendu. L’objectif premier n’est pas de démasquer la social démocratie mais de lutter efficacement contre le fascisme.

Les communistes doivent garder leur indépendance politique puisque les objectifs finaux des soc-dem et des communistes sont inconciliables et donc le droit de critique doit être mutuel (on est donc loin du Front Populaire, où les communistes se rangeaient derrière les socialistes). « Les fascistes essayent d’encercler les foyers ouvriers révolutionnaires, encerclons l’encercleur. » Big T. 

Cette politique contre le fascisme c’est aussi une politique pour la Révolution, car la meilleure défense, ça reste l’attaque. La politique de Trotsky, derrière l’objectif de défendre les conquêtes ouvrières, amène à la constitution de pouvoirs ouvriers, qui auraient à prendre le pouvoir pour écraser définitivement le fascisme, et la société bourgeoise qui l’a enfanté. 

III. Les conséquences de cette politique 

A) Destruction de la classe ouvrière et de son organisation

Cette politique proposée par Trotsky, elle n’est pas suivie par les partis allemands puisque Hitler devient chancelier le 30 janvier 1933.. Elle a des conséquences désastreuses, et ça commence par la destruction de la classe ouvrière et de son organisation.

Il ne devient pas chancelier grâce à un coup d’Etat ou à une victoire électorale  écrasante. Puisqu’il perd même 2millions de voix entre Juillet et Novembre 32.  C’est la bourgeoisie qui a fait le choix de lui donner les clés du pouvoir, suite à un rendez-vous avec la crème de la crème de la bourgeoisie allemande. 38 grands patrons avaient écrit un courrier au président allemand pour le sommer de nommer Hitler chancelier. Hitler se met immédiatement au travail et profite de l’incendie du Reichstag pour attaquer frontalement les organisations ouvrières et démocratiques, cette fois-ci avec les moyens de l’appareil d’Etat.

Dans la nuit du 27 Février 1933, le parlement allemand,  brûle. La police utilise un soi-disant sympathisant du KPD qu’il nomme responsable de l’incendie. C’est un prétexte pour les nazis de lancer une campagne de terreur et de répression des communiste puis de tous les militants ouvriers. Le soir même Hitler annonce « le moment était venu d’en finir avec le communisme ».

Des milliers de militants communistes sont arrêtés ou assassinés grâce au déploiement de milices armées dans tous les quartiers ouvriers. Un décret est instauré. Il suspend l’essentiel des libertés civiles et politiques, dont la liberté personnelle, le droit de la libre expression des opinions, et donc de la liberté de la presse, mais aussi le droit de réunion et d’association, le droit de grève, dont l’incitation est passible de 3 mois à 1 an de prison,. Le KPD perd sa presse, des journaux socialistes sont aussi interdits. Le kpd sera interdit le 6 mars 1933 pour qql mois, lendemain des dernières élections législatives libres, et ses 81 députés ne pourront jamais siéger. Il lui faudra encore quelques mois pour interdire les partis ouvriers et fonder une véritable dictature, en juillet 1933.

La destruction de la classe ouvrière passe également par le démantèlement systématique des syndicats. Le grignotage des syndicats libres, soit les syndicats orientés vers le socialisme, commence dès 1928 avec la fondation des cellules d’entreprise nationales socialistes (NSBO). Leur but est de rivaliser d’influence avec les syndicats libres, et qui ont un réel impact dans la classe ouvrière. Le résultat fait peine à voir : 0,5% des voix en 1931 contre 83,6% pour les syndicats libres. Les nazis comprennent que face à la liberté syndicale, leurs efforts sont sans effet. Un Problème => Une solution => supprimons la liberté syndicale. 

En Avril 1933, les attaques se succèdent contre les syndicats avec  une intention, à savoir les détruire eux et leur influence. Je vais vous donner quelques exemples :

  • Les élections syndicales au sein des conseils d’entreprises sont différées, et les membres en exercice, donc une énorme majorité issus de syndicats libres peuvent être révoqués pour « raisons économiques ou politiques » et remplacés par des membres nommés, on se demande bien qui va être nommé. des nazis 
  • Les employeurs sont désormais autorisés à licencier tout travailleur soupçonné d’être « hostile à l’Etat » sans qu’il puisse faire appel à la défense soit-disant prévue par le régime. Mais ce n’est pas assez !
  • Le lendemain du 1 Mai 1933, tous les immeubles des syndicats ouvriers sont simultanément occupés par les SA, les chefs emprisonnés.
  • Le 10 Mai est constitué le Front du Travail allemand (DAF) qui englobe les adhérents des différents syndicats au sein de fédérations
  • Le 16 Mai le droit de grève est officiellement aboli.

Mais comme l’explique Robert Ley (directeur du DAF) « Rien n’est plus dangereux que des hommes déracinés que l’on prive de leur organisation de défense. […] Le Front du travail a été créé pour écarter [les] meneurs sans scrupules ».

Le Front du travail ce n’est pas la défense des droits des travailleurs mais une organisation purement politique, une administration d’Etat chargée du bourrage de crâne. Elle est destinée à la préparation par l’éducation, de tous ses membres au national-socialisme. Ils y sont endoctrinés mais aussi surveillés. A la fois par leur employeur qui est membre de droit de la communauté d’entreprise et par la cellule d’entreprise national-socialiste.

L’entrée au front du travail n’est pas obligatoire mais il y a une grosse pression patronale. L’Etat national-socialiste se donne aussi le droit de refuser quiconque du DAF et de le priver d’emploi.

L’État réprime sévèrement toutes tentatives d’organisation indépendantes des ouvriers. Lourdes amendes et peines de prison pour « manquement à l’honneur social » en cas de diffamation et excitation des camarades de travail, divulgation des secrets de fabrication. L’espionnage industriel, comme par exemple, le fait de révéler des éléments du cout de production, est considéré comme de la haute trahison et passible de la peine de mort.

Cette destruction a constitué les conditions favorables pour le massacre des salaires et donc l’explosion des profits.

De 1933 et 1935, les salaires sont réduits de 25 à 40%. Ces salaires, déjà faibles, sont coupés par un festival de nouveaux impôts, sur le salaire, sur le célibat, l’assurance-chômage, l’assurance maladie, l’assurance d’invalidité, les cotisations au front du travail, à l’association de loisir, aux défense anti-aériennes, au parti ou aux jeunesses hitlériennes. Cela entraîne la diminution du salaire brut de 20 à 30% mais en parallèle les allocations d’assurance sociale (maladie, invalidité, vieillesse, chômage…) ont également diminué. Les caisses ouvrière de secours mutuels et prévoyance sont dissoutes. 

La soi-disant lutte contre le chômage de la politique nazi a également des répercussions sur les salaires. En effet le parti ou les autorités publiques obligent les employeurs à embaucher plus que nécessaire : les employeurs compensent par, soit la baisse des salaires, soit la baisse du temps de travail pour chaque ouvrier et donc du salaire.

Le niveau général des salaires est aussi déprécié par les patrons qui utilisent les chômeurs pour des travaux publics avec des salaires dérisoires : cette main-d’œuvre bon marché (payé 1,5 mark à 2 marks par jour) permet de faire pression sur le niveau des salaires des ouvriers non-chômeurs. La surexploitation est aussi de mise : Goering, haut dignitaire nazi explique que « Nous devons aujourd’hui travailler double pour le Reich de la décadence, de l’impuissance, de la honte et de la misère. Huit heures par jour ne suffisent pas. Il faut travailler ». Plusieurs ordonnances autorisent les inspecteurs du travail à accorder des heures supplémentaires en dérogation au contrat. Il s’agit d’un allongement de la journée de travail, jusqu’à plus de 10h. 

En gros la vie des travailleurs sous le socialisme promis par le parti nazi, c’est pas la gloire. 

A) La guerre ou la révolution : la guerre

La montée d’un mouvement fasciste de masse est en quelque sorte une institutionnalisation de la guerre civile, où, toutefois, les deux parties ont objectivement une chance de l’emporter (c’est la raison pour laquelle la grande bourgeoisie ne soutient et ne finance de telles expériences que dans des conditions tout à fait particulières, car cette politique de quitte ou double présente un risque au départ). Si les fascistes réussissent à balayer l’ennemi, c’est-à-dire la classe ouvrière organisée, à le paralyser, à le décourager et à le démoraliser – ce qu’ils ont réussi – , la victoire leur est assurée. Si, par contre, le mouvement ouvrier réussit à repousser l’assaut et à prendre lui-même l’initiative, il infligea une défaite décisive non seulement au fascisme mais aussi au capitalisme qui l’a engendré. Ce que la politique des partis socialistes et communistes en Allemagne a empêché. 

Trotsky disait “Il est impossible de réformer le fascisme ou de lui donner son congé. On ne peut que le renverser. L’orbite politique du régime des nazis bute contre l’alternative : la guerre ou la révolution ?” La classe ouvrière allemande a eu la guerre

Le fascisme allemand, comme le fascisme italien, s’est hissé au pouvoir sur le dos de la petite bourgeoisie, dont il s’est servi comme d’un bélier contre la classe ouvrière et les institutions de la démocratie. Mais le fascisme au pouvoir c’est la dictature la plus impitoyable du capital monopoliste. Le grand capital est dorénavant seul maître dans les usines. Les faits l’attestent de manière incontestable. Entre 1928 (dernière année avant la crise économique) et 1938 (dernière année avant la guerre), les profits capitalistes ont triplé

Dans qu’est ce que le National socialisme, Trotsky disait “La concentration forcée de toutes les forces et moyens du peuple dans l’intérêt de l’impérialisme, qui est la véritable mission historique de la dictature fasciste, implique la préparation de la guerre”. La guerre pour la domination du monde était au bout de l’entreprise nazie. Le pillage de l’Europe et de l’Union Soviétique pour résorber la banqueroute d’Etat menaçante et garantir des profits. La guerre dans la continuité de la politique des forces conservatrices nationalistes des « élites » allemandes depuis la fin du XIXe siècle. La guerre est arrivée 5 ans plus tard, juste le temps nécessaire de réarmer et préparer le pays au conflit. 

Et avec elle l’extermination de 5 à 6 millions de juifs, comme aboutissement industriel de l’antisémitisme, et avec eux des centaines de miliers de roms, polonais, communistes, homosexuels, handicapés, etc 

Car comme disait Bebel, “l’antisemitisme est le socialisme des imbéciles” Les juifs ne peuvent être confondu avec les capitalistes et c’est l’honneur du mouvement ouvrier de combattre l’antisemitisme. Et c’est quand les travailleurs s’uniront contre leur exploiteurs qu’ils jetteront les préjugés racistes dans les poubelles de l’histoire et le système qui les charrie.

Conclusion

Le fascisme peut se résumer en 6 points : 

  • Montée du fascisme est l’expression de la crise structurelle du capitalisme, avec comme fonction de modifier par la force les conditions de reproduction du capital
  • Pari politique de la bourgeoisie, qui renonce à l’exercice politique en perdant le contrôle de l’Etat au profit d’un chef
  • Cela implique la destruction de la quasi-totalité des conquêtes du mouvement ouvrier et de ses organisations de masse. Il faut un mvt de masse exerçant une terreur morale et physique de masse pour décourager et résigner
  • Ce mouvement de masse surgit de la petite bourgeoisie durement touchée par la crise (petits commerçants, petits propriétaires) craignant pour leur qualité de vie + soutien politique et financier de secteurs de la bourgeoisie et du capital monopoliste
  • Fascisme grandit sur les cendres du mouvement ouvrier affaibli et désorganisé. Sa victoire vient de l’incapacité du mouvement ouvrier à s’imposer et à entraîner les masses
  • Le fascisme se bureaucratise et fusionne avec l’appareil d’état (expl : gangs fusionnent avec la police), ne reste pour la bourgeoisie que l’aventure militaire
  1.  Les scores électoraux du NSDAP
    1928 : 2,6 %
    1930 : 18,3 % (c’est là qu’il fit sa véritable percée en passant de 800 000 voix à 6,5 millions de voix)
    juillet 1932 : 37,3 %
    novembre 1932 : fléchissement avec 32 %
    mars 1933 : 43,9 % (après la nomination d’Hitler comme chancelier en janvier et l’incendie du Reichstag quelques jours avant).
     
    Au niveau des effectifs du NSDAP
    1928 : 100 000 membres
    1931 : 800 000 membres
    1933 (début) : 1 500 000 membres. ↩︎