Topo La révolution française (1789-1799)

Les révolutions et nous (Topo 1 – 23 avril 2011) – Topo des camarades jeunes du NPA Alsace

La révolution française nous paraît être un événement lointain et flou même si l’on sait qu’elle a eu beaucoup d’influence sur le monde contemporain. Le 14 juillet, nous est présenté aujourd’hui comme le point culminant de la révolution ; mais est-ce bien le cas ? On a en tête des noms comme Danton, Robespierre ou Marat mais difficile de dire ce qu’ils ont réellement fait ; surtout, on sait moins qu’il y a eu bien d’autres acteurs. On a entendu parler des excès (selon l’expression consacrée) de la révolution : la terreur et la guillotine. Mais qui dirigeait le Comité de Salut Public et le tribunal révolutionnaire ?

Il y a eu la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, des mots comme « liberté, égalité, fraternité » issus de la pensée des Lumières. Ils sont sensés signifier le progrès mais que veulent-ils dire exactement ? Quel « progrès social » se cache derrière ces mots ? Pourquoi sont-ils plus des mots que des faits ?

Cette révolution a donné la république mais il a fallu tout de même près d’un siècle pour qu’elle soit instaurée et qu’elle devienne solide (en 1877, après la Commune). Cette république est officiellement « universelle, fraternelle, égalitaire, libre » mais elle a colonisé et pillé l’Afrique et l’Asie, elle s’est précipitée dans les deux guerres mondiales (surtout la Première), elle a collaboré avec les nazis, a fait la guerre en Algérie, en Indochine, elle a réprimé les indépendantistes à Madagascar en 1947, ceux du Cameroun au début des années 60.

C’est la république qui permet aux patrons de s’enrichir et qui réprime les manifestations de ceux qui luttent pour leurs droits, qui nous dit ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Elle est sacro-sainte et intouchable car on nous dit qu’il n’y a rien de mieux, qu’elle est faite pour notre bien à tous alors que nous voyons bien qu’elle favorise les riches, les patrons et les actionnaires (CAC 40 en tête) au détriment de la majorité de la population. Sa morale et sa répression s’abattent sur les « casseurs » des cités, les immigrés, les sans papiers, les travailleurs et les jeunes en lutte pour sauver leurs emplois ou l’Education mais elle ne touche pas ou alors seulement par de légères remontrances aux voleurs que sont les grands patrons, les marchands d’armes et surtout les grands actionnaires.

Pour comprendre cette réalité d’aujourd’hui, il est nécessaire de l’éclairer à la lumière des événements du passé. Cela prend naissance avec la Révolution française commencée en 1789 et qui a ouvert une ère nouvelle, pas seulement pour la France mais pour l’humanité ! C’est l’ère de l’émancipation des hommes, de la lutte pour la liberté et pour une société où il n’y aurait plus d’exploitation de l’homme par l’homme, une société sans classes !

Ce qui a commencé en 1789, suivi par bien d’autres révolutions depuis, a permis d’immenses progrès mais n’a pas, loin s’en faut, abouti à une société sans classes. C’est de là qu’il faut partir pour comprendre, de ce double point de vue : une ère d’espoirs et de révolutions mais dans une société de classes. Des classes sociales aux intérêts différents et antagonistes. Dans une telle société, deux classes aux intérêts inconciliables sont en lutte perpétuelle et cela apparaît clairement pour la première fois au cours de la révolution française. Cette période correspond à l’avènement de la classe capitaliste (les bourgeois, ceux qui détiennent l’économie et accaparent les richesses, des hommes tels que cités en début d’introduction) et aussi, en quelque sorte, à la « naissance » du prolétariat (les classes populaires ou classe ouvrière), la classe de ceux qui n’ont comme choix que de vendre leur force de travail contre un salaire.

Etudier cette période et ce que signifie une révolution, comprendre la lutte des classes et ses enjeux doit nous permettre également de saisir (dans les grandes lignes) ce qui se passe aujourd’hui dans les pays arabes. Dans une révolution, il y a toujours les causes objectives (le système économique et son fonctionnement, les forces sociales) et les causes subjectives (les mouvements sociaux ou populaires, leur mécanisme interne et leur évolution).

Une révolution bourgeoise

La révolution de 1789 a vu l’avènement de la bourgeoisie qui a pris le pouvoir et l’a conservé depuis, c’est un fait. Cependant, cela ne s’est pas fait en un tour de main et il a fallu plusieurs années pour l’étendre autant que possible, c’est-à-dire vaincre totalement les royalistes, faire reculer le clergé et prendre ses richesses (les terres en particulier) et enfin assurer complètement ce pouvoir, le rendre suffisamment solide. Il a fallu mettre en place un nouveau régime, une forme d’Etat conforme aux aspirations de ce nouveau pouvoir, avec son armée et sa police, son administration. Les bourgeois étaient une petite minorité de la population française (moins petite que la noblesse) alors comment ont-ils pu prendre et asseoir leur pouvoir ? Certes, ils étaient quasiment maîtres de l’économie et déjà beaucoup moins brimés par la monarchie à la veille de la révolution ; ils avaient donc des moyens et une certaine liberté de mouvement, ils étaient éduqués et avaient beaucoup de relations. Mais cela ne peut pas expliquer qu’ils soient allés si loin, d’autant que la plupart d’entre eux souhaitaient au départ, non pas abattre la monarchie (d’ailleurs certains bourgeois étaient anoblis ou avaient leurs entrées dans la noblesse), mais aller vers une monarchie constitutionnelle, une monarchie dans laquelle ils auraient le pouvoir mais le partageraient un peu avec la noblesse, comme en Angleterre qui d’ailleurs était, de ce point de vue, leur modèle. Il s’est passé quelque chose qui les a poussés, forcés à aller plus loin, à aller au bout de leur révolution. Ce quelque chose, c’est le peuple. Le peuple en mouvement pour se débarrasser de ses chaînes !

Et aussi prolétarienne…

1789 a ouvert la voie à quelque chose que l’on n’avait encore jamais vu dans l’histoire, c’est l’intervention des masses, du peuple au sens large, dans les événements révolutionnaires. Il y avait eu déjà des révolutions (Florence au XIVème siècle, Allemagne au XVIème et Angleterre au XVIIème siècle) à l’issue desquelles chaque fois la bourgeoisie prit le pouvoir (en grande partie) mais aucune d’elles n’avait vu une intervention si profonde et puissante des masses populaires, dans le cours des événements. Des gens de partout, paysans journaliers ou petits propriétaires, habitants des faubourgs et des villes mais surtout ceux que l’on a appelé les sans-culottes (qui portaient des pantalons et arboraient le bonnet phrygien), représentaient la frange la plus avancée des classes populaires dans cette France de la fin du XVIIIème siècle ; ils ont joué un rôle primordial dans la révolution. De part leur organisation au sein des sections et des « communes », de part leur intervention permanente, le plus souvent en armes, le contrôle qu’ils assuraient spontanément sur l’assemblée constituante, législative puis la convention, ils forcèrent les bourgeois à être plus audacieux, à attaquer de front la royauté et le clergé.

Lorsque la révolution a commencé, les bourgeois avaient déjà une idée précise de ce qu’ils voulaient. Ils avaient en gros le pouvoir économique et il leur fallait le pouvoir politique, pour cela une monarchie constitutionnelle leur suffisait (bien qu’une part d’entre voulait aller plus loin et avaient vaguement l’idée d’une république). Le peuple lui, lorsqu’il entra dans la lutte et qu’il vit les premiers remparts de la royauté tomber, senti qu’il pouvait aller plus loin. Le but était confus mais poussé par une force irrésistible, par le goût de la liberté, après des siècles de privations et de soumission à la féodalité et au clergé, il se déversa dans la lutte tel un torrent ; les bourgeois avaient ouvert les vannes avec leurs idées souvent abstraites de liberté, de progrès humain et maintenant ils devaient prendre garde à ne pas se faire balayer à la suite de la royauté. Pour le peuple, le mot liberté signifiait la fin de la servitude et une vie meilleure alors que pour les bourgeois, ce mot signifiait faire leurs affaires, leur commerce, étendre leur emprise sur l’économie sans contraintes. Les bourgeois avaient de l’avance, ils étaient conscients de leur rôle et de la réalité des classes sociales, ils surent s’adapter à cette situation et canaliser le torrent vers un but qui leur convenait. Le peuple n’avait quant à lui pas la conscience, pas suffisamment en tout cas mais il s’organisait, était avide de liberté et de justice sociale et il était armé. Surtout, au cœur de la lutte, il apprenait vite et cette conscience vint (en partie) dans la suite des événements, elle se manifesta particulièrement en 1793.

Si les bourgeois purent ainsi « canaliser » le mouvement, c’est parce que le « prolétariat » ne l’était pas encore au sens moderne du terme, c’est-à-dire industriel et citadin, il était arriéré, il ne pouvait pas encore analyser les fondements du capitalisme. Et parce que l’intérêt des deux classes, l’intérêt immédiat le plus absolu devint la lutte contre les forces contre-révolutionnaires, les royalistes (la coalition des royaumes d’Europe soutenue par les anglais à partir de fin 1792). Le peuple sentait (plus ou moins) au fur et à mesure que la révolution lui échappait mais l’idée d’un retour à l’ancien régime lui était plus insupportable que tout.

Si dans les résultats, d’un point de vue objectif, la révolution française a été bourgeoise, elle a été aussi, dans une certaine mesure, d’un point de vue subjectif, une révolution prolétarienne. Sans cette irruption des masses, de cette armée révolutionnaire, il est très probable que la révolution eut échoué.

Les causes de la révolution

Pour saisir les causes profondes de la révolution, il faut se représenter ce qu’était la France de l’Ancien régime, d’avant 1789, aussi bien au niveau social qu’au niveau des structures économique et étatique du Royaume. La société était divisée en 3 ordres distincts : la noblesse, le clergé et le Tiers Etat. Au dessus d’eux le roi, monarque absolu de « droit divin » et maître en toute décision. Si l’on reste sur cette description rapide, on ne comprend pas encore la structure réelle du pays, on ne voit pas encore les classes sociales, on croit simplement qu’il y a le roi (et la noblesse) et le peuple, le clergé semblant avoir une place « neutre ». Mais cela est plus complexe car chacun des 3 ordres est lui-même divisé en catégories, 2 à chaque fois pour simplifier. La noblesse est divisée entre grande et petite, cette dernière étant maintenue sous la coupe de la première depuis Louis XIV. Le clergé est divisé entre haut et bas, les évêques et dirigeants réels de l’Eglise et les curés et prêtres, souvent plus proches du peuple. Cette Eglise est loin d’être neutre, elle a conclu depuis longtemps un pacte avec la féodalité, les rois (depuis Clovis) et s’occupe en quelque sorte du maintien de l’ordre en échange de quoi elle n’est jamais remise en cause. Elle détient d’immenses richesses et notamment des terres. De plus elle perçoit les taxes comme la dîme, en plus des dons, etc… Elle est avec la noblesse, maîtresse du pays.

Et puis le Tiers Etat constitué par le peuple, paysans, artisans, ouvriers, etc… et par la bourgeoisie. Cette bourgeoisie qui depuis le milieu du Moyen Age s’est développée, a diversifié ses activités, est constituée de marchands, de patrons de manufactures et d’ateliers, de juristes, d’administrateurs, de précepteurs, de rentiers. Elle détient la plus grande partie des moyens économiques : c’est elle qui fait marcher le royaume.

Mais elle est de plus en plus gênée dans son développement car la société est très arriérée, quasi figée par la complexité de la structure politique et administrative du pays. Le roi est tout puissant mais son royaume, marqué par les privilèges, manque d’unicité : pas de langue commune (la majorité du pays parle différents dialectes et peu d’habitants parlent le français), chaque province ou même ville a ses propres lois, ses propres taxes, partout il faut payer des droits de passage, même les unités de mesures diffèrent d’une place à l’autre.

La bourgeoisie rêve du pouvoir politique pour changer tout ça, unifier le pays et rendre le système cohérent afin de créer une zone de libre échange et accélérer le développement du capitalisme. Son but réel, en arrière plan, est de se hisser à la hauteur de son adversaire principal : la bourgeoisie anglaise (ce fait est fondamental, nous y reviendrons).

A cette époque donc, la noblesse et le clergé détiennent le pouvoir politique, la haute noblesse dirige (administre) le royaume mais ces membres sont de fait des parasites de la société, ils représentent le passé, le conservatisme, les privilèges. En 1789, Louis XVI se trouve donc dans une situation de faiblesse car, d’une part, il n’a pas l’autorité de ses prédécesseurs et, d’autre part, il a contre lui plusieurs forces sociales : la petite noblesse qui veut retrouver sa « grandeur » et surtout les bourgeois devenus très puissants sentant leur heure arriver. Enfin le peuple qui s’invite dans la révolution de manière fracassante.

La révolution commence

En 1788 éclate une crise économique. La hausse du prix du blé (le pain est l’aliment de base) et la disette provoquent des troubles importants, le peuple se révolte. Il se révolte aussi dans certaines provinces où la petite noblesse a rétabli d’anciennes taxes (droits seigneuriaux), ce qu’elle n’avait officiellement pas le droit de faire d’ailleurs. La bourgeoisie faisant mine de soutenir le peuple, commence à remettre en cause l’ordre des choses, elle appelle à des réformes. Le roi se voit rapidement obligé d’agir pour ne pas perdre la main et convoque des Etats Généraux pour les mois suivants mais qui sont finalement repoussés à mai 1789.

Pendant ce temps, les bourgeois (très majoritairement) se font élire comme représentants du Tiers Etat et, avec l’appui du peuple, obtiennent un doublement de leur représentation, c’est-à-dire plus de 500 représentants, autant que ceux de la noblesse et du clergé. En mai 1789, l’ouverture des Etats Généraux se fait dans une grande tension. Le Tiers Etat est méprisé et écarté des vrais discussions par la noblesse et le clergé (ce dernier veut le statu quo car il sent que ses privilèges seront bientôt ouvertement mis en cause). Une partie des représentants du Tiers Etat se déclare en assemblée nationale et bientôt en assemblée constituante (serment du jeu de paume en juin). A partir de là, tout s’accélère, c’est la lutte ouverte contre la monarchie absolue, la bourgeoisie s’appuyant sur les désirs confus du peuple met le roi en position de faiblesse et obtient rapidement la formation d’une assemblée nationale constituante. On est, à ce moment, en route vers la mise en place d’une monarchie constitutionnelle. En juillet, les sans culottes vont brûler des symboles de l’ancien régime (des péages notamment) à Paris et prendre la Bastille (malgré les bourgeois qui ne voulaient pas de cette prise) : le torrent révolutionnaire commençait à se déverser.

Montée en puissance

A partir de là, la révolution ira de l’avant, gagnant en puissance. Les privilèges sont abolis en août mais ce sont les sans culottes qui pousseront en septembre à l’adoption de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce sont eux aussi qui mettront une pression grandissante sur le roi et le clergé.

En 1790, les biens du clergé sont « nationalisés » (loi sur la constitution civique du clergé), en clair la loi permet aux bourgeois de s’emparer des biens de l’Eglise. Le roi est de plus en plus affaibli mais il n’est pas question encore de le mettre à bas.

En juin 1791, la loi Le Chapelier est adoptée, elle interdit notamment aux « ouvriers » de faire grève et de former des groupements pour défendre leurs droits.

Par ailleurs, tout se précipite pour le roi après sa tentative d’évasion de Paris (fuite de Varennes) car lui qui jusque là pouvait donner l’impression qu’il était bienveillant et prêt à accepter les changements montra qu’il n’en était rien, il perdit toute crédibilité aux yeux du peuple mais aussi, dans une certaine mesure, à ceux de la bourgeoisie.

Le 17 juillet, c’est la fusillade du Champs de Mars où avait lieu un rassemblement de bourgeois faisant circuler une pétition demandant l’instauration d’une république. Ce massacre aura des répercussions importantes.

Le roi accepte la nouvelle constitution et l’assemblée Législative tient sa première séance le 1er octobre 1791.

En mars 1792, un ministère girondin est formé. Les girondins sont majoritaires à l’Assemblée, c’est un regroupement (pas un parti au sens moderne) de bourgeois ayant beaucoup d’intérêts dans le textile et dans le commerce maritime, notamment à Bordeaux où de très riches familles bourgeoises avaient fait leur fortune grâce au commerce triangulaire (traite négrière). Les girondins étaient parmi les bourgeois ceux qui avaient le plus intérêt à voir l’Angleterre, maîtresse des océans et ennemi de toujours, affaiblie voire écrasée.

La guerre : produit de la révolution bourgeoise

Les bourgeois avaient plusieurs bonnes raisons de déclencher une guerre contre l’Angleterre. D’une part, il s’agissait pour eux d’asseoir leur suprématie commerciale sur l’Europe et le monde, d’assurer le développement de leurs idées nouvelles (sous leur contrôle) à travers l’Europe, c’est-à-dire le développement du capitalisme en affaiblissant, voire en se débarrassant des rois. D’autre part, le torrent révolutionnaire populaire, ou dit autrement le mouvement autonome des masses continuait de monter en puissance (en parallèle, le peuple commençait à demander des comptes à l’assemblée et la sommait de mettre en place des lois pour contrôler les prix, le pain commençait à devenir très cher) et la bourgeoisie avait intérêt à le canaliser. C’est pour ça qu’ils se gardèrent bien de déclarer ouvertement la guerre à l’Angleterre mais la déclarèrent à l’Autriche qui avait la main mise sur la Belgique. Le but réel des bourgeois était de prendre la Belgique puis les Pays-Bas pour affaiblir commercialement l’Angleterre (l’empêcher d’écouler ses marchandises sur le continent et ainsi favoriser les marchandises françaises) et avoir la main mise sur la marine hollandaise afin de concurrencer les anglais sur les océans. Il fallait donner au peuple une raison pour faire la guerre, la justifier au nom de la lutte pour la « liberté » et la « démocratie », pour abattre les tyrans (les rois) et les contre-révolutionnaires. Cela alors que ni le roi d’Autriche, ni le roi d’Angleterre ne faisaient mine de vouloir s’attaquer à la France.

Mais la guerre fut déclarée à l’Autriche en avril 1792…

Pas d’économie intermédiaire entre capitalisme et socialisme

Le nerf de la guerre, c’est l’argent et le problème qui se posa alors était le suivant : qui allait payer la guerre ? Les bourgeois avaient largement de quoi la financer mais cela les répugnait et signifiait prendre des risques considérables ; ils leur fallait continuer à accumuler. Ils trouvèrent tout naturellement la solution : faire payer le peuple !

Mais le peuple était pauvre, il n’y avait pratiquement pas d’épargne à taxer. Alors ils trouvèrent une idée de génie, recourir à l’inflation pour financer la guerre. Plus les prix monteraient, plus les profits allaient augmenter, voilà l’argent nécessaire pour commencer. Par ailleurs, la guerre exigeait de l’armement, de l’équipement et de la nourriture pour les troupes ; il fallait produire tout ça. La bourgeoisie trouva là un très bon moyen de développer l’industrie lourde et de faire du (gros) profit facile. De plus, ces équipements seraient payés pour une bonne part (c’est ce que les bourgeois avaient prévu) par les pays conquis. Le revers de la médaille, c’est qu’on ne pouvait suriner le peuple que jusqu’à un certain point. Celui-ci, bien que ne comprenant pas que l’inflation découlait du fait qu’on imprimait beaucoup trop d’assignats (billets), que c’était une politique délibérée, comprenait par contre tout de suite que les produits de première nécessité devenaient hors de prix : la vie devenait trop dure. Il pensait que cette augmentation des prix provenait essentiellement des spéculateurs (c’était en partie vrai aussi). Il exigeait donc des mesures contre les spéculateurs et le contrôle des prix, deux choses que les bourgeois ne voulaient surtout pas faire. Mais les sans culottes étaient remuants et armés : les bourgeois devaient prendre garde à ne pas perdre le contrôle du torrent.

On peut entrevoir ici qu’il n’existe pas, qu’il ne peut pas exister de compromis entre l’économie capitaliste (au profit de quelques uns) et l’économie socialiste (au profit du plus grand nombre), sauf peut-être pendant un temps assez court et seulement par la contrainte. Les sans-culottes vont montrer les dents et obliger les bourgeois à lâcher du lest en 1793. C’est cela qui précipitera la chute des Girondins et favorisera un autre groupement bourgeois : les Montagnards.

En parallèle, la situation du roi devient critique. Il est déchu en août 1792 puis accusé de trahison et condamné à mort. Il est décapité en janvier 1793.

Par ailleurs, l’Assemblée Législative prend fin et est remplacée par la convention en septembre 1792, celle-ci (sous forte pression populaire et subissant des revers sur le front de Belgique) instaure la république quelques semaines plus tard.

La convention est composée de trois grandes forces politiques : les girondins (aile droite), les modérés ou marais (centre) et les montagnards (aile gauche). Les montagnards comprennent les jacobins (Robespierre, Marat) et les « indulgents » (Danton), les hébertistes (plus proches du peuple et très démagogiques) composés notamment par les « exagérés » (Hébert), et enfin les « enragés », les seuls à défendre réellement les intérêts du peuple (Jacques Roux en est l’animateur le plus connu).

Apogée de la révolution

L’année 1793 voit le mouvement révolutionnaire atteindre son apogée (vers septembre, octobre et début novembre). Une armée de 300 000 hommes est levée en février pour combattre la coalition formée par les royaumes européens avec le soutien de l’Angleterre. Cette coalition se forme après les victoires françaises de Valmy et Jemmapes mais aussi l’exécution de Louis XVI. Les coalisés et particulièrement l’Angleterre comprennent que le torrent révolutionnaire s’apprête à balayer l’Europe. En même temps, une insurrection populaire se lève dans tout le pays contre les hausses de prix et l’accaparement des terres par les riches. Elle est rapidement réprimée sauf dans l’ouest du pays (Vendée, Bretagne) plus arriéré. Isolée, cette insurrection populaire est alors exploitée par les royalistes contre la révolution mais les montagnards devenus majoritaires, avec Robespierre comme chef de file, vont mener une répression sanglante contre les insurgés, qui sont désignés délibérément et faussement comme étant tous des royalistes et des suppôts du christianisme réactionnaire. Très rapidement, les montagnards se retrouvent dans une situation délicate car à Paris les sans culottes, avant-garde du peuple, réclament la création d’instances pour lutter contre les royalistes et la mise en application de lois pour contrôler les prix. Robespierre, contrairement aux girondins, va se montrer habile et exploiter cette pression populaire pour la retourner et contre les royalistes et contre le peuple, afin de l’avoir bien sous contrôle. Pour cela, il fera accepter aux montagnards (jacobins en particulier) ce que les girondins avaient obstinément refusé, c’est-à-dire de « payer » un peu la guerre, en contrôlant relativement les prix, et de créer le comité de salut public et le tribunal révolutionnaire. Puis il va détourner l’attention du peuple de ses revendications sur les prix en attaquant l’Eglise, en prolongeant les premières guerres contre les royalistes et les curés en Vendée par une vaste campagne de déchristianisation nationale. Cela lui permettra également, en coupant l’herbe sous le pied aux plus révolutionnaires de s’attaquer à eux, et de déclencher la première Terreur. En octobre, ce sera la mise en place de la Terreur contre les révolutionnaires les plus avancés, Jacques Roux par exemple et accessoirement un peu plus tard contre les girondins. Ce sont donc bien les bourgeois, Robespierre en tête, qui dirigent cette politique (sous la pression populaire certes mais aussi contre elle et enfin par peur du retour des royalistes). C’est pourtant dans cette période que le pouvoir bourgeois, poussé par le mouvement autonome des masses, ira le plus loin dans la révolution, dans la mise en application d’actions et de lois très progressistes pour l’époque (élections au suffrage universel que Robespierre devra lâcher au peuple, lutte acharnée contre les royalistes et contre le clergé qui sera à deux doigts d’être balayé)… tout en y mettant un terme.

La déchristianisation

Si un événement, une période de la révolution mérite l’attention plus que d’autres, c’est bien ce que l’on a appelé la « déchristianisation ». L’église catholique en place depuis 14 siècles, soumettant les âmes et combattant impitoyablement toute forme de contestation de sa sainte autorité avait déjà subi un sacré coup en se voyant dépossédée d’une grande part de ses richesses par les bourgeois et mise dans l’obligation, au moins formelle, de se soumettre aux lois de la république. Mais ce n’était encore rien comparé à ce qui s’abattit sur elle au cours de l’automne 1793. La conscience du peuple, en tout cas de sa frange la plus avancée, avait beaucoup évolué au cours de ces quatre années de révolution. Les idées progressistes avaient fait leur chemin et le peuple avait tendance à les prendre au mot. Dans cette progression de la conscience le clergé, l’Eglise, était devenu un ennemi du peuple, un parasite de la société. S’il était notoire depuis longtemps que le haut clergé vivait dans le luxe et ne pratiquait nullement ce qu’il exigeait des ses « ouailles », la révolution amena les parties les plus avancées du peuple à aller bien au-delà de la simple critique des « abus » et « perversités ». Les montagnards surent exploiter ce sentiment pour le retourner clairement contre le clergé allié aux royalistes. Les plus doués et aussi les plus acharnés dans ce domaine, le fer de lance en quelque sorte, étaient les hébertistes qui ont mené une campagne violement démagogique pour lâcher la colère du peuple contre l’Eglise.

Il faut s’imaginer le saut de l’esprit, l’audace que cela représente, il y a plus de deux siècles, pour pratiquement du jour au lendemain passer de la soumission la plus totale (même si elle n’est parfois qu’apparente) et oser s’attaquer à cette institution qui promettait l’enfer à ceux qui lui désobéissaient. C’est pourtant ce qui s’est produit et cela s’explique par la colère des masses associée à la volonté de progrès des couches les plus avancées. La campagne fut radicale, les sans culottes et les paysans dans bien des villes ou des zones rurales (même si c’était surtout dans les villes) firent la chasse au cléricaux, saisirent leurs demeures et ce qu’il leur restait comme biens (il leur en restait pas mal en vérité). Ils allèrent parfois jusqu’à interdire aux religieux de porter leurs tenues en dehors des églises, ou même de se rassembler. Les églises et autres demeures étaient souvent « réquisitionnées » et rendues au peuple ; certaines furent transformées en « temples de la raison ».

Encore une fois, cela arrangeait la bourgeoisie puisque cette campagne de déchristianisation avait pour but de détourner les colères populaires qui prenaient de l’ampleur… contre elle. C’était un bon prétexte pour aiguiller les gens vers autre chose que les questions économiques (notamment sur les prix des aliments, spécialement le blé). Cependant, cela la dépassait dangereusement aussi parce que le peuple ne s’en prenait pas simplement aux cléricaux mais se débarrassait de tous les symboles, même et surtout des bibles : ils se détachaient et se débarrassaient de la croyance en l’immatériel ! Et c’est pourquoi Robespierre, après quelques mois, fit tout pour stopper cette campagne. C’est que les bourgeois avaient en fin de compte autant besoin de l’Eglise que le roi en son temps, pour l’aider à garder le contrôle sur le peuple. L’Eglise fut réhabilitée rapidement et la république bourgeoise organisa la fête de « l’être suprême » en juin 1794, après que Robespierre (devenu dictateur) eut éliminé les enragés et les hébertistes. Il fit même voter une loi qui officialisait le fait que le peuple reconnaissait l’existence de Dieu et d’un « au-delà ».

Double pouvoir

Toute révolution bourgeoise entraîne une révolution prolétarienne, sociale. Elle prend un caractère double. C’est ce qui s’est passé, au moins de façon embryonnaire après 1789. Et le « prolétariat » de l’époque a bien sûr testé ses propres formes d’organisation. Les sans culottes ont crée des sections communales, des « communes » et sont allés jusqu’à tenter de les organiser en fédération. Cela s’est fait naturellement et en parallèle de la mise en place des institutions républicaines bourgeoises. Ces communes et en particulier celle de Paris firent très peur au nouveau pouvoir parce qu’elles « contrôlaient » les institutions (Assemblée, Convention) et agissaient en les surveillant voire en leur donnant des ordres. Le manque de maturité du prolétariat fit qu’il n’allât pas jusqu’à prendre le pouvoir en se servant de la fédération des communes (bien qu’il y eu tentative) mais cela était dû essentiellement aux conditions objectives car à part dans les usines d’armement, il n’y avait pas de grandes concentrations ouvrières. La plupart de travailleurs étaient soient journaliers, soit artisans. Ils étaient pour la plupart illettrés et la journée de travail durait de 12 à 16 heures. La conscience de classe se formait à peine et n’avait encore rien à voir avec ce qu’elle devint au XIXème siècle. L’avant-garde était courageuse mais numériquement faible et manquait encore de conséquence politique. Cette révolution ne pouvait être que bourgeoise.

Démocratie directe et démocratie bourgeoise

La constitution de la république, selon la conception bourgeoise, implique la mise en place d’un système représentatif (on élit des bourgeois sensés représenter le peuple) sur lequel en fin de compte, le peuple n’a aucun contrôle. Les représentants sont élus pour une longue durée et n’ont pas à rendre de compte directement au peuple. Cette conception nous vient du siècle des Lumières, de Rousseau notamment qui s’est inspiré de Locke, un bourgeois anglais. En fait le système parlementaire est issu de l’exemple anglais suite aux révolutions du XVIIème siècle, il est basé sur une survivance de la monarchie, devenue alliée des bourgeois. Locke et Rousseau basèrent en partie leurs conceptions sur l’exemple de la démocratie athénienne mais ils apportèrent quelques modifications importantes. D’après Rousseau par exemple, le peuple ne pouvait pas participer en permanence aux affaires publiques, il lui était nécessaire de déléguer à des professionnels de la chose bien sûr. Il assortit cela de quelques recommandations afin qu’il y ait des organes de contrôle mais c’était surtout des mots. Un tel système « démocratique » ne peut l’être que dans les mots. C’est ce qui fut mis en application après 1789 (sous la pression populaire, il faut le rappeler) et les bourgeois utilisèrent intelligemment le terme de « peuple souverain » (par opposition au souverain qu’était le roi). Dans leur démocratie, le peuple est souverain, puisque les bourgeois le disent. Mais au cours de cette révolution, les sans culottes ont mis en place leurs propres institutions : les sections communales et les communes. Ils y participaient autant qu’ils pouvaient en dehors du temps de travail, on y discutait politique, organisation, etc… Elles étaient ouvertes à tous, même aux femmes (contrairement aux Assemblées et autre Convention). On y prenait les décisions en commun et ceux qui y participaient ou qui étaient nommés pour créer d’autres sections, établir les contacts entre elles, etc… devaient rendre compte autant qu’ils le pouvaient ; ils étaient sous le contrôle du peuple, c’est ce qu’on appelle la démocratie directe. Ces communes étaient encore très imparfaites (les sans culottes étaient un mélange d’artisans et de petits propriétaires à l’esprit souvent petit bourgeois mais aussi de journaliers et de biens d’autres, hommes ou femmes. De plus, notamment dans les grandes villes, des notables girondins, jacobins ou autres les dirigeaient ou au moins les influençaient) mais infiniment plus démocratiques que n’importe quelle organisation bourgeoise. Elles étaient les ancêtres directs de la Commune de 1871 et des Soviets (Conseils) crées en Russie au début du XXème siècle.

Reflux de la révolution

L’histoire officielle, quand elle aborde ce sujet, tend à montrer que la révolution entame son reflux vers le début de l’été 1794 et qu’il est lié à l’affaiblissement des Montagnards puis à la chute de Robespierre (le 9 thermidor/ 27 juillet). Ce qui va avec l’idée que Robespierre était le représentant le plus avancé de la révolution et aussi le plus représentatif de la volonté populaire. Or, nous avons vu que ce n’était pas le cas et on peut dire que ce reflux commence bien plus tôt, en novembre 1793.

Ce mouvement de reflux commence juste après l’apogée, dans la période de la déchristianisation. Robespierre, poussé par son aile gauche, les enragés et les hébertistes, et sous la pression populaire, avait lâché du lest par quelques mesures économiques, ainsi que par la création du Comité de Salut Public et du Tribunal révolutionnaire. C’était une façon apparente de céder aux revendications du peuple tout en prenant le contrôle, le pouvoir, par les moyens les plus extrêmes. Ces moyens étaient nécessaires dans cette période critique pour la révolution, c’était une lutte à mort entre les révolutionnaires et les royalistes soutenus par le clergé. Mais ce qu’il faut avoir en tête, c’est le caractère double de la révolution : réalisée par le peuple et dirigée par la bourgeoisie. Le peuple poussait la bourgeoisie en avant mais était dépossédé du contrôle, du pouvoir. La dictature de Robespierre était celle de la bourgeoisie.

Mais Robespierre n’a pas simplement cédé à la pression, c’était au fond un calcul délibéré, un jeu subtil et même du grand art. Cela se passa au printemps 1793, au moment ou les montagnards, donc principalement les jacobins n’avaient pas encore le pouvoir. Les girondins encore majoritaires à la Convention se trouvèrent en difficulté, notamment sur la question du financement de la guerre ; de plus, le général Dumouriez, leur homme à la tête de l’armée française trahit et rejoint le camp adverse, ce qui créa une grande émotion dans la population. Robespierre convainquit les jacobins que leur heure était venue, ils pouvaient utiliser la situation pour se débarrasser de leurs concurrents girondins. Car en même temps, la colère populaire grandissait et son avant-garde, les sans culottes et leurs seuls représentants politiques sincères, les enragés, constituèrent une nouvelle commune en vue d’une insurrection populaire. Robespierre et les jacobins jouèrent très finement leur coup. Ils utilisèrent les enragés pour aiguillonner l’avant-garde populaire, notamment contre les « traîtres girondins », placèrent leurs hommes pour ne pas perdre le contrôle, et eurent une attitude officiellement parfaitement neutre, légaliste. Ils apparaissaient comme les représentants du peuple contre les girondins devenus douteux. Ils réussirent au bout du compte à ne pas se faire déborder, particulièrement grâce à leur homme, Dobsen, qui sut se faire élire président du comité insurrectionnel le 30 mai. Le but était de contenir les enragés, ce qu’il réussit à merveille. L’insurrection devait avoir lieu le lendemain matin mais la seule chose qui arriva, c’est que le comité fusionna, grâce aux habiles manœuvres de Dobsen, avec la commune de Paris (aux mains des jacobins) et le directoire départemental : deux institutions légales bourgeoises pour absorber la nouvelle organisation populaire extra légale. Les enragés se retrouvèrent archi minoritaires ; ils comprirent qu’ils avaient été joués mais ils ne pouvaient plus rien faire, c’en était finit de l’insurrection populaire. Le nouveau regroupement devint le Comité central révolutionnaire.

A partir de là, la bourgeoisie montagnarde devint le nouveau pouvoir, avec Robespierre à sa tête. Elle profita de ce que le peuple pensait avoir le « contrôle », en même temps que régnait la confusion, pour, dans les mois suivants, se débarrasser de son aile gauche (les enragés mais aussi quelques mois plus tard les hébertistes) puis stopper la déchristianisation et proposer au clergé un nouveau « contrat ». C’est d’ailleurs à cette période (fin 1793) que Danton et Robespierre se rapprochèrent. Ces deux-là, avec un Danton plus à droite, partageaient la même horreur du peuple. Leur alliance n’était pas le fruit du hasard mais elle était nécessaire pour stopper la déchristianisation, pour commencer à attaquer les sociétés populaires, les communes, le pouvoir populaire et donc la sans culotterie (voir décret du 4 décembre 1793). Il faut comprendre cette période comme à la fois la consolidation des acquis de la révolution bourgeoise (lutte acharnée contre les royalistes, affaiblissement du clergé) et comme une contre révolution prolétarienne. Cette « mise au pas » du peuple fut possible car sa conscience était confuse, parce qu’il se battait durement contre le clergé et les royalistes et qu’il se trouva sous une dictature qu’il croyait être l’expression de sa volonté, ce qui n’était vrai qu’en apparence. Il lui manquait aussi une avant-garde suffisamment consciente et forte politiquement.

Mais cette mise au pas ne fut pas aussi facile malgré tout. Il fallu tout le talent d’un Robespierre qui jouissait d’un grand prestige auprès du peuple, toute la fougue et le charisme de son allié pour un temps qu’était Danton, toute la machine policière aussi, tous les agents à la solde du Comité de salut public (donc de Robespierre), la désinformation, etc…pour y arriver ; en tout cas pour sérieusement déjà mettre à mal le pouvoir populaire. La fin du travail, les « thermidoriens » s’en chargèrent dès après la chute de Robespierre.

De la période qui va de juin à novembre 93, les Montagnards vont de l’avant et cèdent donc en partie face au torrent populaire, notamment en instaurant la loi du « maximum » sur les prix et en instaurant la terreur. Cette terreur est nécessaire face aux contre révolutionnaires et elle est, dans une certaine mesure, l’expression de la volonté populaire de mater la contre révolution. Si la contre révolution l’emporte, c’est le retour dans les ténèbres du Moyen Age et la soumission la plus totale, c’est une question de vie ou de mort. Mais la terreur est, je l’ai déjà dit, sous le contrôle de Robespierre, des bourgeois. Elle est utilisée également, de manière insidieuse contre l’avant-garde populaire. C’est dans cette période également que la déchristianisation fut lancée avec l’assentiment de la bourgeoisie mais la campagne prit de telles proportions que celle-ci en fut très effrayée. Les hébertistes, anti-cléricaux jusqu’au bout des ongles, furent sommés d’arrêter leur campagne mais ils eurent beaucoup de mal à le faire. En bref, c’est cela qui les conduit à la chute, et à l’échafaud pour certains dont Hébert lui-même (mars 1794). En effet, ils se trouvèrent de fait entre la grande bourgeoisie et l’avant-garde populaire et c’était cette avant-garde qui était visée par la nouvelle politique.

Enfin quelques mots sur Danton. Il collabora étroitement avec Robespierre à cette politique de mise au pas du peuple, il en fut même d’une certaine façon le meneur avec sa fraction des « indulgents ». Indulgence pour les contre révolutionnaires, pour les actions liberticides, pour casser les organisations populaires. Mais son « indulgence » le conduisit aussi à sa perte car elle signifiait également, dans un autre registre, se rapprocher d’une solution pacifique et « honorable » avec les ennemis, la coalition (donc l’Angleterre) et ceci était inacceptable pour une grande et surtout puissante partie de la bourgeoisie. N’oublions pas que la majorité des girondins ne furent pas persécutés mais intégrés à la Montagne. Ces girondins ainsi que certains montagnard devenus riches grâce à la guerre étaient partisans de la guerre à outrance, partisans jusque-boutistes de l’écrasement de l’Angleterre. Danton traînait pas mal d’affaires derrière lui et dont certaines relevaient de la trahison à la république, il avait déjà une mauvaise réputation dans son propre camp. En prenant une position « défaististe », il se fit des ennemis acharnés et il fut éliminé. Son arrestation et son exécution eurent lieu en avril 1794. La question de la guerre, de la rivalité avec l’Angleterre, bien que masquée, est prédominante dans la révolution. C’est cela aussi qui perdra Robespierre trois mois plus tard ; sa trop grande ambition certes (être le chef incontesté de la révolution bourgeoise) mais surtout son « défaitisme ».

Les enragés et Gracchus Babeuf

L’aile gauche de la Montagne (Montagnards) est représentée par les hébertistes. On peut la qualifier ainsi, elle est l’aile la plus radicale du camp bourgeois. Mais il y a aussi une aile « extrême gauche » : les enragés ! Les enragés avaient comme chefs de file Jacques Roux (un curé), Théophile Leclerc et Jean Varlet. Des hommes issus de la bourgeoisie moyenne et très instruits. Leurs vies les avaient amenés à se rapprocher du peuple, à « en être ». Ils furent très courageux pendant la révolution et jouèrent un rôle important dans la constitution du comité insurrectionnel mais ils étaient faibles numériquement et trop en avance sur l’état d’esprit des masses. Leurs deux principales faiblesses étaient une compréhension encore très insuffisante de capitalisme et de la bourgeoise (pas d’analyse socialiste scientifique) et un manque de compréhension des flux et reflux du mouvement autonome des masses, de l’état d’esprit des masses ; même s’ils étaient très liés à l’avant-garde sans culotte et malgré leur parfaite sincérité. Ils furent utilisés et abusés sans grande difficulté par Robespierre.

Babeuf n’était pas directement lié aux enragés mais en fut très proche politiquement. Il était également très instruit mais avait eu une vie dure, d’ouvrier et avait grandi dans un milieu rural, ce qui lui avait donné une conscience aiguë de la nécessité pour l’homme de vivre en communauté, dans la véritable égalité. Dans les grandes lignes, il prit le meilleur des idées des enragés et les approfondit avec ses propres vues. On peut dire qu’il fut le premier à ébaucher les idées communistes. Après l’élimination des enragés, il fut lui-même inquiété et s’engagea dans la clandestinité. Avec d’autres révolutionnaires il mit sur pied la « conspiration des égaux » qui visait à remettre en place un gouvernement qui aurait du être réellement au service du peuple. Lui et ses compagnons furent arrêtés avant qu’il aient pu agir ; ils furent condamnés à mort et exécutés en 1797.

« Dernières étapes » et « fin » de la révolution

Quand Robespierre se fut débarrassé de tous ses adversaires et eut commencé à rétablir l’Eglise, les bases étaient solidement posées. La bourgeoisie tenait l’essentiel, elle n’avait plus besoin de Comité de salut public ni d’un dictateur éclairé qui devenait dangereux pour elle : elle se débarrassa donc de lui. Sa chute fut rapide et il fut guillotiné à la fin juillet 1794. La bourgeoisie avait certes besoin d’un homme fort mais ce ne pouvait être lui ; il venait de le prouver par son attitude très hostile à la guerre. Ce fut le signal de Thermidor que l’on peut résumer ainsi : se rassembler autour de l’essentiel et mettre fin à l’intervention populaire dans la révolution bourgeoise. En seulement quelques mois, tout ce que ce Robespierre avait commencé fut à peu près achevé : élimination des meneurs sans culottes, dissolution des sociétés populaires, de l’armée révolutionnaire (très « sans culotisée »), fin du maximum et retour de la spéculation sans entraves, etc… et surtout la confirmation du retour de l’Eglise !

La Convention prit fin en 1795 et fut remplacée par le directoire, le gouvernement fut plus « modéré » mais continua à solidifier le système économique au profit exclusif de la nouvelle classe dominante. La plupart des adversaires étaient repoussés ou liquidés (royalistes d’un côté et surtout des hommes comme Babeuf de l’autre) mais le pays était en crise profonde, la guerre coûtait immensément au peuple (l’inflation) qui souffrait de misère et de faim. En réalité, la bourgeoisie avait alors de gros problèmes pour maintenir l’essentiel car elle avait rejeté les sans culottes, le peuple, avec le dernier mépris et de ce fait s’était privée de l’outil qui lui avait permis de faire sa révolution. Il y avait eu donc changement dans les rapports de force entre bourgeoisie et royalistes qui en profitaient autant que possible. Ces conditions préparèrent l’arrivée d’un nouvel homme fort chargé de relancer les ambitions françaises (devenir le pays capitaliste dominant et pour cela battre l’Angleterre). Ce nouvel homme fort, qui fit ses preuves en exterminant la dernière grande insurrection royaliste (1795) arriva au pouvoir par un coup d’Etat, le 18 Brumaire 1799, il s’agissait de Napoléon Bonaparte. Sa première déclaration en tant que nouvel homme fort devant les parlementaires fut celle-ci : « Citoyens, la révolution est fixée aux principes qui l’ont commandée, elle est finie ». Il met alors un terme à la révolution en France mais l’exporte en Europe en abattant rois et princes sur le continent.

Cependant la déclaration du futur empereur ne signifiait en réalité qu’une fin provisoire, cette révolution était effectivement gagnée par la bourgeoisie mais elle avait réveillé en même temps une force sociale : le prolétariat. Ce fut sa première véritable expérience mais non la dernière, ce n’était que le début d’une nouvelle ère.

Lorsque se produisent des événements de type révolutionnaire, il est fondamental de saisir leur caractère double : la société capitaliste est divisée en deux classes aux intérêts antagonistes et inconciliables. Et le capitalisme étend aujourd’hui son emprise sur le monde entier, plus une parcelle ou presque ne lui échappe. Toute révolution bourgeoise entraîne une révolution prolétarienne et en général, dans un système maintenant entièrement dominé par les bourgeois, tout processus révolutionnaire tend à devenir prolétarien ; particulièrement en temps de crise. Derrière les revendications démocratiques, parfois limitées, souvent portées par les couches moyennes, il y a les revendications sociales, le prolétariat et son désir de justice sociale… donc la possibilité d’une une autre société. C’est avec cette compréhension des choses qu’il faut analyser ce qui se passe dans notre pays, en Europe et dans le monde et tout spécialement dans le monde arabe.