Révolutions… et contre-révolutions : retour sur le Hirak algérien et le printemps arabe tunisien [Topo du WEF oct 2024]
Introduction
Souvent quand on parle de révolution, on peut nous répondre que c’est lointain, pour les livres d’histoire mais en fait nous on pense que c’est une question très actuelle, dans une période d’instabilité du capitalisme importante et qui va être amenée à s’intensifier encore dans le futur. Là on voulait revenir sur deux exemples d’épisodes révolutionnaires, ou quasi révolutionnaires, qui ont eu lieu tout proche de nous, dans la dernière décennie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Des centaines de milliers d’hommes et des femmes, notamment issus de la jeunesse et des classes populaires, occupaient l’espace et remettaient en cause les pouvoirs dictatoriaux d’une douzaine de pays, ouvrant un processus qui n’est toujours pas refermé aujourd’hui.
On a souvent parlé de cette vague révolutionnaire comme d’un conflit générationnel, ou d’après l’expression « révolution du jasmin », évoquant une fleur blanche, symbole d’innocence et de pacifisme. Mais ces descriptions éludent un ensemble de mobilisations sociales puissantes dans les années et les décennies précédentes, certes fortement réprimées, mais qui n’en avaient pas moins préparé le terrain au soulèvement de 2011. Un soulèvement qui portait autant sur les questions démocratiques qu’économiques et sociales, comme l’exprimait le slogan tunisien : « travail, liberté, dignité, égalité ».
C’est donc un processus de remise en cause profonde, structurelle, qui s’est ouvert il y a 13 ans, un processus à long terme. Pour preuve, la situation est depuis loin d’être réglée. En a témoigné l’explosion sociale du Hirak en Algérie en 2019, mais aussi le retour de la dictature en Égypte, le régime de plus en plus réactionnaire et raciste en Tunisie et, dans tous les pays, des situations sociales et économiques loin de correspondre aux aspirations de la jeunesse et de la classe laborieuse. Sans parler de la vague de solidarité avec le peuple palestinien qui a secoué la région et le reste du monde dans la dernière année.
On voulait revenir sur les causes des deux mouvements de 2011 et 2019, quels espoirs ils soulevaient et surtout qu’est-ce qui leur a manqué politiquement, quelque part pourquoi après une telle vague révolutionnaire les peuples du Moyen Orient aujourd’hui ne vivent pas sous le socialisme ?
A- Contexte de pays soumis à l’impérialisme
I- Histoire rapide de “l’indépendance” de l’Algérie et de la Tunisie – situation politique avant le début des printemps arabes dans la région et rôle de l’impérialisme au Moyen orient et au Maghreb
1- Colonies françaises
L’Algérie et la Tunisie (d’où va partir le printemps arabe) sont des colonies françaises depuis le 19e siècle. Pour l’Algérie, c’est une colonie de peuplement, annexée à la France en 1834 au terme d’une guerre qui tue un tiers de la population algérienne à ce moment-là. La Tunisie elle, est sous protectorat français depuis 1881.
C’est important de donner également le contexte régional d’ensemble au niveau du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord au début du 20e siècle :
La Première Guerre mondiale est encore loin d’être terminée que, déjà, les impérialismes britannique et français se partagent l’Empire ottoman. En mai 1916, les diplomates Mark Sykes et François Picot, représentant respectivement les gouvernements du Royaume-Uni et de la République française, se mettent d’accord sur une réorganisation du Proche et du Moyen-Orient. C’est ce qui va donner l’accord Sykes-Picot. Les frontières que nous connaissons aujourd’hui en sont presque directement issues.
1920-1946 : le mandat libano-syrien
Des accords de 1916, puis de la conférence de San Remo en 1920, découle la création des États actuels. Les uns sont sous mandats britanniques : l’Irak, le Koweït, la Transjordanie (actuelle Jordanie) et la péninsule arabique sont confiés dans les années 1920 et 1930 à des rois, émirs et sultans locaux prêts à servir les intérêts des capitalistes occidentaux. La Palestine est ouverte à la colonisation sioniste.
Les autres territoires forment le « mandat libano-syrien » français. La France récupère donc la Turquie et l’Arménie qui sont créées à ce moment-là, en plus des colonies qu’elle avait déjà dans la région : l’Algérie, la Tunisie et le Maroc sous protectorat. Le peuple kurde, privé d’État, est éclaté entre l’Irak, la Syrie, la Turquie et la Perse (l’actuel Iran).
Pourquoi les impérialistes tiennent tant à garder la main sur la région : évidemment ça tient aux richesses naturelles qui se trouvent dans cette zone géographique et en particulier le pétrole.
Chiffres : ⅔ des réserves de pétrole et 40% des réserves de gaz au monde sont reparties dans cette région
(Surtout réparties entre Arabie saoudite, Iran, Irak Émirats arabes unis et Koweït)
La question du canal de Suez porte aussi de gros enjeux économiques car il permet aux navires d’aller d’Europe en Asie sans devoir contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance et sans devoir passer par la voie terrestre entre la Méditerranée et la mer Rouge – ce qui impacte de manière gigantesque le transport des marchandises. Pour donner une idée de ce que ça représente encore aujourd’hui : sur l’année fiscale 2022-2023, le canal de Suez avait rapporté à l’Etat Egyptien environ 8,6 milliards d’euros.
Evidemment l’occupation subie par les peuples du Moyen-Orient par les forces impérialistes n’est pas un long fleuve tranquille.
2- Guerres d’indépendance
Dès la première moitié du 20e siècle éclatent des émeutes contre l’occupation et des guerres d’indépendance. Pour expliquer rapidement comment l’Algérie et la Tunisie gagnent leur indépendance : depuis 1848, l’Algérie était organisée en départements français mais les Algériens relevaient du régime du « code de l’indigénat ». L’inégalité entre les européens d’Algérie et algériens était institutionnalisée en matière d’impôts, de justice pénale, de service militaire, d’accès à la fonction publique, de rémunération dans la fonction publique, et d’accès à l’enseignement.
L’Algérie devient indépendante à l’issue d’une guerre de 8 ans qui se déclenche en 1954 contre la présence coloniale française, une présence qui dura 132 ans, et qui prit fin officiellement le 5 juillet 1962. Le Front de libération nationale (FLN), et parvient alors au pouvoir avec Ben Bella qui devient rapidement président de la République. Ayant un projet socialiste, et recevant de l’aide militaire de l’URSS, il gouverne le pays, en tant que parti unique, jusqu’en 1989, et dès qu’il accède au pouvoir met en place un pouvoir militaire qui réprime toutes les autres forces qui ont fait la guerre d’indépendance et qui pourraient représenter une opposition.
Du côté de la Tunisie c’est dès les années 30 que des émeutes éclatent contre le protectorat. Elles sont très fortement réprimées par le gouvernement : police et armée tirent à balle réelle sur les manifestants. Le gouvernement dissout le parti nationaliste, qui se retrouve dans la clandestinité. L’indépendance est gagnée en 1956 après une guerre d’indépendance qui mobilise des dizaines de milliers de soldats français. C’est le parti nationaliste (le néo-Destour) qui arrive au pouvoir.
Dans le même temps, le mouvement indépendantiste fait ses premières armes en réalité un peu partout dans la région, avec une insurrection populaire contre les exactions de l’armée d’occupation, notamment en Syrie où celle-ci enregistre des défaites et met deux ans à venir à bout de la « révolution syrienne », au prix de plus de 2000 morts côté français et 10 000 côté syrien.
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, dans l’ensemble du Moyen-Orient, un sentiment de révolte contre la présence impérialiste se manifeste avec de plus en plus de virulence, gagnant presque toutes les couches de la société.
II- Développement du capitalisme de ces pays
1- Émergence d’une bourgeoisie nationale et d’un prolétariat
Des années 1950 aux années 1970 : les reculs de l’impérialisme français…
Dans l’ensemble de la région, se développe ce qu’on appelle le nationalisme arabe, en opposition à la domination impérialiste. L’impérialisme enregistre une série de défaites : En 1956, le nationaliste arabe Nasser prend le pouvoir en Égypte et nationalise le canal de Suez, dont près de la moitié appartient à des actionnaires britanniques et français. Les deux pays, ainsi que l’État d’Israël, attaquent l’Égypte. L’enjeu le plus important est de garder la main sur l’un des plus importants points de passage du pétrole en direction de l’Europe et, plus encore, d’affaiblir le mouvement anticolonialiste. Pour la France, l’Égypte est avant tout le meilleur allié du Front de libération nationale (FLN) algérien, dont elle accueille le siège et à qui elle donne la parole à la tribune de l’ONU.
Mais la résistance populaire égyptienne est déterminée. Pour les États-Unis, soutenir cette aventure guerrière de la France et du Royaume Uni, ce serait donc faire définitivement basculer tout le mouvement nationaliste du côté du bloc de l’Est. Il est plus que temps de faire comprendre aux vieux impérialismes européens qu’ils ne sont plus les puissances d’avant-guerre. À l’ONU, les USA se rangent aux côtés de Moscou et de l’Égypte pour condamner l’agression et exiger le retrait des troupes.
Deux ans après l’indépendance de l’Indochine, cette humiliation pour l’impérialisme occidental est une nouvelle grande victoire pour les anticolonialistes du monde entier.
Porté par ce succès au retentissement planétaire, Nasser poursuit sa politique nationaliste socialisante, qui consiste non à mettre fin au capitalisme et à l’exploitation, mais à mieux partager les bénéfices de cette exploitation entre les classes possédantes locales et celles des pays impérialistes. Et s’il est poussé par les classes populaires à mener une politique plus redistributive, il n’a de cesse de freiner et même de réprimer toute velléité d’auto-organisation ou de contestation qui échapperait au contrôle de l’État.
…et les limites du nationalisme arabe
Dans tous les pays qui gagnent leur indépendance on observe le développement d’un capitalisme national
Exemple de l’Algérie :
les premières années de l’indépendance ont vu s’affirmer une bourgeoisie algérienne
Boumedienne : prend le pouvoir sur Ben Bella par un coup d’État militaire en 1965.
Boumedienne va s’engager dans la voie de la nationalisation, en particulier des hydrocarbures en 1971, et la création d’une vingtaine de grandes sociétés nationales qui contrôlent les divers secteurs industriels et énergétiques. L’État prétend donc contrôler toute l’économie, les finances et le commerce extérieur.
Le développement rapide du capitalisme dans les pays qui gagnent leur indépendance implique bien-sûr la constitution d’une bourgeoisie nationale, mais aussi d’une classe ouvrière. Cette constitution se fait très rapidement sur la base de l’exode rural , les enfants des paysans quittent leur campagne natale en quête d’une vie meilleure pour aller vendre leur force de travail dans les industries des villes.
L’Algérie connaît un développement économique et social important après l’indépendance. Entre 1962 et 1982, la population algérienne passe de 10 à 20 millions de personnes et, massivement rurale avant l’indépendance, est urbanisée à 45 %
En fait, pendant une dizaine d’années, de 1973 à 1980, l’Algérie s’est transformée en un vaste chantier de construction. D’énormes complexes industriels, sidérurgiques, pétrochimiques, ont surgi de terre, avec des entreprises de 10 à 20 000 salariés.
Le nombre des ouvriers industriels, qui étaient estimés à 110 000 au moment de l’indépendance, passait à sans doute tourner autour du million en 1988.
Dès sa constitution, le prolétariat algérien est marqué par les luttes, avec une multiplication des grèves qui a commencé sous Boumedienne : 152 grèves en 1971, 922 grèves en 1980… Ces chiffres sont ceux du Ministère du Travail algérien, probablement très sous-estimés.
En 1977, sous Boumedienne, il y eut une violente vague de grèves, de véritables batailles entre la police anti-émeute et les dockers algérois. Une grève générale chez les cheminots qui, eux aussi, paraît-il, se sont affrontés à la police. En 82, c’est dans les usines automobiles que des grèves de plusieurs milliers de salariés gagnent des augmentations de salaires, malgré une répression violente.
2- Etat ultra-répressif (nécessité impérialiste)
En effet les mobilisations sociales sont réprimées avec une violence souvent caractéristiques des pays sous domination impérialiste.
En Algérie : répression sanglante, exemple des émeutes d’octobre 88 où le bilan est estimé entre 150 et 500 morts
Revendications fin du parti unique et dénonciation de la répression notamment torture des opposants qui sont faits prisonniers
En Tunisie : grève générale du jeudi noir 1978 revendications contre la répression et pour l’indépendance des syndicats (le régime avait fait un appel à épurer la direction de l’UGTT et envoyé des milices attaquer des locaux)
Le gouvernement déclare l’état d’urgence et met en place un couvre feu pour stopper la mobilisation
Habib Achour, dirigeant de l’UGTT, est condamné à 10 ans de travaux forcés même s’il sera gracié l’année suivante
3- Outils de contrôle des masses (syndicats uniques, parti unique, religion (contrôle et division)
En plus de la force brute, l’ordre établi utilise tout un tas d’outils pour canaliser la colère des populations :
En Tunisie : Durant toute l’ère Bourguiba (1956-1989), la bureaucratie de l’UGTT a été l’un des piliers de l’ordre social, avec l’armée et la police tunisiennes.
Cela dit, l’UGTT, pour défendre l’indépendance de son appareil, maintient une certaine posture radicale et apparaît comme le seul contre-pouvoir existant à l’échelle nationale. Et dans l’UGTT on a des militants d’opposition, notamment des courants maoïstes, staliniens, trotskistes dont les organisations avaient été interdites, qui parviennent à subsister au sein du syndicat, constituant une opposition qui parvient tout de même à tenir quelques positions locales dans certaines fédérations et/ou certaines villes industrielles : Kasserine, Sfax, Bizerte, et autour du bassin minier de Gafsa qui a vu de grosses vagues de grève éclater notamment en 2008.
Ainsi les militants de cette opposition de l’UGTT ont joué un rôle dirigeant lors du jeudi noir et des émeutes du pain dans années 70-80.
En 1989, la centrale finit par se doter d’une direction proche de Ben Ali qui venait de prendre le pouvoir. Dès lors, l’UGTT s’est alignée systématiquement sur les positions officielles et sur celles du patronat, tunisien comme étranger, alors que le tourisme devenait le secteur numéro un de l’économie tunisienne.
Pour donner une idée d’à quoi ça ressemble en term de contradictions : lors du long conflit du bassin minier de Gafsa en 2008 : le patron des entreprises sous-traitantes, cible des manifestants, était le secrétaire régional de l’UGTT, tandis que les cadres locaux organisaient la contestation et furent envoyés en prison. L’UGTT s’est bien gardée d’afficher un soutien franc au niveau national.
En Algérie :
Le FLN avait prévu des cadres organisationnels pour encadrer les masses et crée donc des syndicats liés au régime : les Union Nationale des Etudiants Algériens (UNEA), Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA), Union Nationale des Femmes Algériennes (UNFA) ou autre Union Nationale des Paysans Algériens (UNPA) créée un peu plus tard. Des syndicats complètement intégrés et dirigés par des proches du régime.
Autre élément important c’est l’utilisation de la religion comme véritable outil de contrôle et d’encadrement des masses. Le nouveau régime a décreté l’Islam religion d’État, la langue arabe, langue nationale exclusive, et il a maintenues pour la plupart dans un état d’oppression très violent.
Au fil des années, les gouvernements successifs ont fait de plus en plus de concessions aux islamistes, dans le but de pacifier la société et d’étouffer les mouvements sociaux : il servira par exemple lors du printemps berbère pour réprimer la revendication des droits pour les populations amazighes.
B- Printemps arabe Tunisien et Hirak Algérien, 8 ans d’écarts mais des mouvements appartenant à un processus global
Maintenant qu’on a compris d’où on partait, quel contexte social a laissé l’impérialisme en Algérie et en Tunisie, on va pouvoir comprendre l’explosion du printemps arabe tunisien, la première explosion de la grande vague révolutionnaire des printemps arabes. Mais aussi comprendre que les antagonisme que cette révolution a révélé n’ont pas été résolu et que les problèmes fondamentaux sont restés les mêmes, ce qui a abouti sur une seconde explosion, le Hirak algérien, où les problèmes se sont posés de nouveau et se poseront encore à l’avenir et qu’il nous faut analyser et comprendre pour être capable de les dépasser dans le futur.
I – Les masses s’attaquent au régime
En premier on va voir pourquoi et comment les masses s’attaquent aux régimes dictatoriaux qui les oppriment.
1- Contexte socio-économique très difficile pour les classes populaires
Que ce soit en Tunisie ou en Algérie, le contexte socio-économique fait monter le niveau de tension à un niveau objectif critique. exceptionnel qui ne demande qu’à éclater. En effet, la crise mondiale du capitalisme frappe plus durement encore les pays du Maghreb en raison des transformations climatiques et de la spéculation par les bourgeois locaux et étrangers qui font augmenter énormément les prix alimentaires. A ça, il faut ajouter les les pressions économiques qu’imposent le FMI et l’OMC (les agents mondiaux de l’impérialisme) pour intégrer le plus fortement possible les pays du Maghreb dans le marché impérialiste global, ce qui se fait avec une violence extrême sur les travailleurs, précarisés à l’extrême. Dans la continuité, les terres sont accaparées par le capitalisme agraire d’exportation, des coupes énormes sont faites dans les services publics et le chômage massif se met à attendre nombre d’étudiants. Le poids du FMI et de l’OMC dans les causes objectives des événements aura un rôle non négligeable dans son développement. Enfin, en raison des rapports de force entre capitalistes et de la crise qui les atteint, les pays qui servaient de principales destinations d’émigration pour les Tunisiens et Algériens qui voulaient améliorer leur sort (l’Union Européenne et les pays du golfe pétrolier) restreignent leurs conditions d’accès ce qui condamne de nombreux jeunes à l’indigence.
Par ailleurs, les pouvoir dictatoriaux de toute la région sont empêtrés dans une crise insoluble. Le niveau de corruption dans l’Etat, du plus petit fonctionnaire au président est délétère. Particulièrement en Tunisie, le clan présidentiel vit du pillage arbitraire des richesses du pays, au détriment même d’autres acteurs de la classe bourgeoise qui aimerait bien avoir sa part du gâteau.
En dernier lieu, la Tunisie comme l’Algérie sont marquées par des inégalités fortes entre les différentes régions du pays et même par des situations d’oppression nationale comme c’est le cas en Kabylie.
2- Explosion sociale qui fait tomber le régime (ou sa façade) en quelques semaine (élément déclencheur et manifestations folles)
Cette situation va finir par éclater en Tunisie en décembre 2010 quand le marchand de fruits et légumes Mohamed Bouazizi s’immole, ne supportant plus d’enchaîner les boulots instables et l’arbitraire des policiers corrompus qui confisquent les marchandises. Tout de suite éclatent des manifestations de soutien qui se répandent dans tout le pays et qui affichent des mots d’ordre contre l’arbitraire, la corruption, pour plus de libertés démocratiques. La mobilisation part essentiellement des jeunes au chômage qui sont à bout, puis ce sont des centaines de milliers de personnes qui manifestent, violemment réprimées par la police (300 morts). Le mouvement se répand comme une trainée de poudre à l’échelle de la région, en Syrie, en Jordanie, en Libye, des manifestations monstres éclatent, inspirées par l’exemple tunisien. En Egypte, le mouvement renverse le dictateur Moubarak. Le gouvernement de Ben Ali est renversé en quelques semaines et un “Conseil national pour la sauvegarde de la révolution” est mis en place en parallèle d’un gouvernement provisoire tenu par Ghannouchi, l’ancien premier-ministre de Ben Ali. Finalement au fil des semaines, la lutte finit par s’essouffler et en automne les Tunisiens sont appelés aux urnes afin d’enterrer définitivement l’affaire.
Pour le Hirak Algérien, il démarre en 2019 avec l’annonce du président Bouteflika (mourant) d’être candidat pour un cinquième mandat, lui qui était depuis des décennies à la tête de ceux qui pillent les richesses de l’Algérie. Le Hirak est principalement marqué par une série de manifestations hebdomadaires dont on retiendra le mot d’ordre “qu’ils dégagent tous !”. Le peuple d’Algérie veut voir dégager les bureaucrates voleurs, les magistrats corrompus et les agents du FMI et de l’OMC qui tous vivent en parasite de la société. Des millions de personnes – travailleurs, étudiants, artisans, intellectuels… – participent au mouvement que le pouvoir n’arrive pas à faire refluer. Bouteflika doit annuler ses projets et le pouvoir va tenter de mettre fin au mouvement par une constituante mais va aussi bénéficier de l’aide heureuse de la crise du Covid19 pour renvoyer tout le monde à la maison.
II – Contenir la lutte
Maintenant qu’on a compris les raisons du mouvement et qu’on a vu sa force de frappe explosive, il faut que l’on se penche sur quelques aspects qui semblent importants pour comprendre les contradictions de cette lutte et nous aider à les dépasser.
1- Grèves massive et centrales syndicales traitresses
L’outil central de la force des travailleuses et travailleurs, c’est la grève, c’est elle qui permet de taper les bourgeois là où ça blesse, au portefeuille, en arrêtant net leurs profits. C’est aussi la grève qui révèle partout que la classe ouvrière fait tourner toute la société et que quand elle s’arrête de bosser c’est la société qui s’arrête de tourner. Et des grèves il y en a eu, bien que ce ne soit pas ce que la presse bourgeoise a choisi de retenir… On peut citer les grèves de masse du bassin minier de Tunisie ou encore la grève illimitée des travailleurs à l’Eniem en Algérie qui exigeaient des augmentations de salaires et leur 13ème mois et dénonçaient leurs conditions de travail. On peut aussi parler des expériences d’autogestion de fermes en Tunisie avec la création de comités d’autodéfense mais qui n’ont pas su se lier les uns aux autres et s’attaquer aux questions de “grande politique”.
Mais si les grèves ont été massive et ont pu dégager des patrons corrompus ou aboutir à des victoires sociales partielles, elles ont été contenues par le poid des bureaucraties syndicales. En effet, si les sections syndicales de bases peuvent se montrer très combatives, en particulier au sein de l’UGTT, la centrale Tunisienne, qui sont des bastions de l’extrême-gauche locale, les directions elles, sont totalement inféodées au pouvoir. Si l’UGTT a une relative indépendance vis-à-vis du pouvoir, c’est essentiellement comme contre-parti (dans un régime de parti unique) qui propose une voie légèrement alternative dans la gestion des affaires bourgeoisies. Pour l’UGTA (la centrale algérienne), elle est complètement soumise au pouvoir et ses cadres sont parfois nommés directement par lui. Partout les directions syndicales, tout en soutenant en mots la protestation (difficile de faire moins et même parfois le soutien était sincère), ont empêché la formation de cadres d’organisation démocratique des travailleuses et travailleurs et les ont soumis aux décisions bureaucratiques. Elles ont aussi empêché que la lutte ne s’étende d’une entreprise à l’autre, que les liens se fassent entre les travailleurs des différentes régions ou entre les travailleurs et d’autres couches en luttes comme les étudiants. Elles ont enfin cherché à cantonner les grèves à des luttes sur les conditions de travail en essayant (pas forcément avec succès) de les détacher des luttes pour les droits démocratiques.
2- fraternisations entre opprimés et jeu des nationalistes et religieux
La lutte a la capacité de faire en quelques semaines ce qui mettrait des décennies à arriver. Dans les manifestations de Tunisie tout comme dans celles du Hirak, on a vu les manifestants fraterniser au-delà des divisions que la bourgeoisie tente d’imposer. Ainsi, les femmes et les hommes se sont mêlés dans la foule et ont lutté côte à côte dans des pays, en particulier l’Algérie, où l’égalité femmes-hommes est encore loin d’être un principe de base. Les manifestants se sont aussi retrouvés mélangés indépendamment de leurs communautés ethnico-religieuses. On doit souligner ici l’importance que le mouvement Kabyle a eu dans le Hirak. En effet, les Kabyles subissent l’oppression nationale de la bourgeoisie algérienne depuis des décennies et le Hirak a été l’occasion de faire valoir leurs droits à l’égalité avec le soutien de leurs frères et sœurs arabes.
Mais bien évidemment, les différentes couches de la bourgeoisie ont cherché à s’appuyer sur les divisions de la société ; ces divisions qu’elle crée et entretient dans le but justement de se sauver le cul dans ce genre de situations ! Ainsi (peut être moins que dans d’autres pays comme l’Egypte mais quand même), les guides religieux et les islamistes ont pu insister sur l’indécence de se mêler entre femmes et hommes et ont même organisé des contre-manifestations – pourrait-on dire – en “non-mixité choisie” avec des mots d’ordre sur la place respectives des femmes et des hommes. Les femmes qui manifestaient ont aussi été victimes de stratégies spécifiques de répression via des humiliations sexuelles et des viols punitifs, qui déjà expériences traumatisantes en soi, voient leur pouvoir renforcé quand les chefs religieux insistent sur la responsabilité de la femme dans l’histoire et sur sa souillure à l’avenir.
Le mouvement national Kabyle a aussi été l’objet de toutes les attaques bourgeoises. Le drapeau Amazigh, symbole de la libération du peuple Kabyle a été immédiatement interdit et les gens qui le portaient étaient mis en prison, accusés de séparatisme. La bourgeoisie algérienne cherchait à monter les “bons algériens patriotes” contre les “mauvais kabyle séparatistes”. Mais d’une autre manière, la bourgeoisie d’origine Kabyle a aussi pu bénéficier de cette répression, en s’avançant comme leaders du pauvre peuple Kabyle sauvagement réprimé, ils pouvaient proposer une direction bourgeoise légitime pour les Kabyles en lutte.
3- Revendications sociales et apaisement bourgeois-démocratique (urnes et constituante)
Si des millions de personnes sont sorties dans la rue et se sont affrontées aux régimes en place, ce n’est pas pour se dégourdir les jambes. Passée la première explosion de la mort de Mohamed Bouazizi ou celle de la candidature de Bouteflika, les manifestants se sont dotés de mots d’ordres et de revendications. Bien-sûr il y avait la volonté de faire dégager tous les pourris qui administrent le système comme on l’a déjà dit. Il y avait aussi la revendication de droits démocratiques contre l’arbitraire de la police ou la censure de la presse. Les militants Tunisiens comme Algériens ont exigé plus de liberté syndicale ou encore la possibilité d’avoir des élections libres. Le mouvement portait bien entendu aussi des revendications socio-économiques comme l’augmentation des salaires ou encore l’annulation (ou au moins la suspension) de la dette de l’Etat (sur laquelle on va revenir).
Mais la méfiance bien légitime des masses pour les politicards en costumes a malheureusement été à double tranchant. Les personnes mobilisées ont refusé catégoriquement de se donner une tête, de se choisir une personne ou un groupe pour exprimer clairement sa voie et diriger la mobilisation. Mais si la classe ouvrière laisse vacante la place de direction, alors la classe bourgeoise ne va pas se gêner pour la saisir. La rue n’a pas voulu de portes-paroles ? Les médias les lui ont donné… En Europe on a pas mal entendu parler de la “vague islamiste” qui risquait de succéder aux printemps arabes et ce notamment car la TV (et spécifiquement Al Jazzeera) relayait les discours d’islamistes semblant porter la parole de la révolution. Outre que cette “vague islamiste” est une panique morale raciste pour petits-bourgeois, elle ne saisit aucunement les rapports de classe du printemps arabe en faisant croire que la vague de mobilisation est une stratégie d’une pensée religieuse pour des pays arriérés et non pas que la présence visible des islamistes à la TV est justement la conséquence d’une mobilisation de masse qui les dépasse largement et qui vise justement à la calmer et la ramener dans un cadre acceptable par le système bourgeois.
Pour revenir sur la dette publique, la seule chose qui soit effectivement collective dans la société capitaliste, certains militants s’en sont saisis en Tunisie comme d’un symbole (mais aussi d’une charge concrète pesant sur les masses) à abattre. En effet la dette Tunisienne contractée aux bourgeoisies Européennes (et spécialement Française), c’est la soumission concrète de la Tunisie à l’impérialisme, ce qui la maintient dans cet état de dictature antisociale. Mais là où lutter contre la dette d’un état soumis à l’impérialisme représente un intérêt matériel évident pour les classes populaires et met en avant l’importance de l’internationalisme – puisque l’annulation effective de cette dette ne peut passer que par une lutte commune des travailleurs du pays soumis et du pays impérialiste dans ce but (d’autant plus de l’ordre du possible dans le cas présent grâce aux diasporas Algériennes en France par exemple) – la bourgeoisie nationale algérienne a récupéré le sujet pour dire que le problème du pays c’était le FMI et l’OMC (aucune vision de classe ici bien-sûr) et que si on les chassait du pays on pourrait enfin se développer tranquillement dans notre petit paradis national (paradis évidemment pour la bourgeoisie locale), ainsi d’anti-impérialisme, le mot d’ordre peut devenir nationalisme selon les intérêts matériels de ceux qui le portent.
Outre les islamistes et les nationalistes ou encore les bourgeois Kabyles dont on a déjà parlé, ceux qui ont servi de porte-parole au mouvement, en particulier au Hirak, c’est la “société civile”, un terme d’un flou artistique éloquent et qui regroupe les organisations qui ne sont pas des partis politiques tels que la LDH, des corporations de professions libérales (avocats, médecins), des associations de protection du patrimoine… Ces organisations sont au quotidien bien utiles dans la vie d’un certain nombre d’Algériens et il ne s’agit pas forcément de critiquer leur existence en tant que tel d’autant que leurs aspirations sont largement progressistes. Mais ce que ces organisations ne sont absolument pas, ce sont des organisations de classe. Elles mélangent dans une bouillie idéaliste des aspirations démocratiques et des idéaux humanitaires en oubliant complètement le caractère de classe d’une révolution, en ne posant même pas la question du rôle de la classe ouvrière (ou d’autres classes), du rapport indestructible entre les rapports de production et la direction d’une société. Si cette “société civile” (ou l’agglomérat de la petite-bourgeoisie démocrate) a pu prendre autant de place, ce n’est pas parce qu’elle est numériquement plus forte ou plus déterminée que la classe ouvrière, c’est parce que d’un côté la classe ouvrière n’a pas su imposer sa direction au mouvement et d’un autre la bourgeoisie a su voir le champ qui était libre et y favoriser cette “société civile” qui représente un moindre mal pour l’ordre du profit. Ainsi, les mots d’ordres de colère “qu’ils dégagent tous” n’ont pas pu se transformer en “maintenant qu’ils ont dégagé, c’est à nous de diriger la société” mais plutôt vers “maintenant qu’ils ont dégagé, il nous en faut des nouveaux plus sympas”. De cette façon, la bourgeoisie a pu enterrer le gros de la lutte en appelant aux urnes pour de nouveaux dirigeants en Tunisie ou en appelant à une constituante en Algérie. De cette manière, l’essentiel pour la bourgeoisie a été conservé, à savoir le fonctionnement du capitalisme, au prix de quelques concessions.
C- Au-delà de la démocratie, le socialisme
Car c’est précisément de ça qu’il est question, comment la révolution peut dépasser les limites d’un rebattage des cartes du capitalisme et aboutir à une transformation en profondeur de la société ?
I- Les acquis énormes de la lutte
Avant toute chose, il ne faut pas prendre le processus sous un prisme figé où la révolution démocratique et la révolution socialiste seraient deux processus complètement différents et bien conscients d’eux-mêmes. La révolution démocratique n’est pas non-plus une étape finie préalable à la révolution socialiste. La révolution est un processus qui contient en germe toute la société de demain et toutes les contradictions de la société d’aujourd’hui et les victoires qu’elle arrache la place dans un processus ininterrompu.
1- Acquis démocratiques et socio-économiques non-négligeable
Déjà, sur un plan objectif, la révolution a arraché des acquis qui sont bénéfiques pour les classes populaires. Les populations sur place ont obtenu des élections démocratiques (avec toutes leurs limites bien-sûr), des augmentations de salaires, le gel des dettes des petits paysans tunisiens, le jugement de certains responsables de la répression (jugements certes inégaux mais qui ont au moins le mérite d’exister et aussi d’afficher cette inégalité), un assouplissement de la censure… Bien-sûr le chemin est loin d’être fini pour le grand malheur des nouveaux bourgeois de la place. Pour prendre un exemple sur la censure, on a vu en Tunisie les libraires vendre des livres qui étaient auparavant interdits, sauf que le prix du livre correspond au tiers du salaire mensuel d’un ouvrier… Autant dire que si la classe ouvrière veut avoir accès à ces lectures il va falloir plus !
2- Expérience révolutionnaire précieuse et conscience de classe
Mais justement, bien plus que sur un plan strictement objectif, c’est sur le plan subjectif que le Printemps Arabe Tunisien et le Hirak Algérien laisseront une trace indélébile. Les masses ont fait l’expérience de la lutte à grande échelle, elles ont pu voir leur capacité à renverser un gouvernement en quelques semaines, alors quoi en quelques mois ? Elles ont vu que celles qui se font cracher au visage toute leur vie et dont tout le monde se moque éperdument, deviennent soudain le centre de l’attention et l’objet de toutes les répressions quand elles refusent le système qui les exploite et arrêtent de le faire tourner. La lutte a mis côte à côte les ouvriers et opprimés de tout le pays sans distinction de genre, d’origine ethnique, de religion… Et elles et ils ont pu constater qu’ils avaient des intérêts communs au-delà de ça et contre ceux de la bourgeoisie qui les dirige, leur lutte révolutionnaire leur a fait faire un bond dans la conscience de classe, et on l’observe très concrètement avec la recomposition syndicale en cours aussi bien en Tunisie qu’en Algérie.
II- Les bilans et les limites
Qu’est-ce qu’on tire de tout ça, nous militants révolutionnaires aujourd’hui dans un pays impérialiste comme la France ?
1- Rôle central et irremplaçable de la classe ouvrière
En Algérie en 2019 c’est la jeunesse qui met le feu aux poudres :
C’est vraiment dans les universités qu’est né le mouvement. Le 22 février, on a la première grosse manifestation contre le régime, qui était une journée appelée par les étudiants et étudiantes réunis dans les universités. Ce sont d’ailleurs surtout des jeunes qui sont descendus dans la rue ce jour-là.
Au départ, seule la jeunesse s’est posée la question de poursuivre les manifestations, de tenter de structurer le mouvement en mettant en place des assemblées générales et des débuts de coordination dans les universités, avec un appel à faire grève et à manifester tous les mardis, en plus des vendredis. C’est cette dynamique dans la jeunesse, cette radicalité, avec par exemple la volonté de reprendre le centre d’Alger qui était interdit aux manifestations depuis des années, qui a permis d’entraîner rapidement les autres couches de la société.
La jeunesse avait déjà joué ce rôle dans les soulèvements de 2011-2013 : cela confirme la place indéniable de la jeunesse comme avant-garde dans le déclenchement des soulèvements. Il y a donc une importance tactique et stratégique à construire des organisations qui y soient implantées, et c’est ce qu’on tente de faire avec le NPA Jeunes-Révolutionnaires. La jeunesse, notamment étudiante, est un milieu particulièrement propice pour gagner des cadres révolutionnaires. Mais pas seulement : c’est une plaque sensible, c’est ce qu’on appelle une avant-garde tactique dans la révolution, qui est capable de mener des actions exemplaires, qui poussent à une lutte d’ensemble.
Mais si la jeunesse joue un rôle d’entraînement, ce qui ressort clairement à nouveau, et si ya une chose à retenir, c’est la centralité de la classe ouvrière, et l’importance stratégique de la grève générale. En effet, en Algérie en 2019, après l’ébranlement de la jeunesse, ce qui a fait tout basculer et a provoqué le départ de Bouteflika, c’est la grève générale du 10 mars. Au départ, il s’agissait d’un simple appel anonyme, non relayé par les directions syndicales (la bureaucratie de l’UGTA, le principal syndicat algérien, est totalement inféodée au régime comme on l’expliquait précédemment). Mais y a UNE section de l’UGTA qui reprend l’appel, c’est celle de Tizi Ouzou, et là il s’est répandu comme une traînée de poudre.
Le 10 mars : les transports étaient bloqués, dans de nombreuses villes les manifestations partaient des usines et des lieux de travail (centres de Poste, centres des impôts etc.). La grève a été très suivie dans le secteur pétrolier et le secteur gazier, qui sont les secteurs les plus importants de l’économie algérienne.
C’est à Bejaia, une ville portuaire située à 200 km d’Alger, que la grève a été la plus importante. La grève y a été reconduite pendant quatre jours, avec l’économie totalement paralysée. Tous les commerces étaient fermés, montrant la force de blocage d’une grève.
Mais c’est également dans cette ville qu’a été discuté un vrai plan d’action pour poursuivre et étendre la mobilisation dans le monde du travail, avec le 25 mars l’élaboration d’un programme d’actions quotidiennes par secteur d’activité pour construire et faire grossir le mouvement, étalé du 26 mars au 18 avril, date à laquelle devaient avoir lieu initialement les élections.
Cela montre que c’est lorsque les travailleurs et travailleuses cessent le travail, se réunissent en assemblée générale, rompent avec la quotidien de l’exploitation capitaliste, que notre classe devient en capacité de s’auto-organiser, de discuter d’un plan de bataille contre les classes dirigeantes et de gagner.
En Tunisie en 2011 même bilan, c’est les travailleurs qui mettent le coup de grâce à Ben Ali : Le 12 janvier, l’UGTT appelle à une grève générale de 24h à Sfax, capitale économique du pays. La grève est un franc succès et devant le risque d’extension, la bureaucratie de l’UGTT appelle seulement à 2h de grève nationale. Les travailleurs chassent certains de leurs dirigeants syndicaux ou cadres liés au régime, comme à la Sécurité sociale, aux assurances Star (qui est d’ailleurs une entreprise française, filiale de Groupama) et à la banque BNA. La question de l’ouverture des livres de comptes est posée par les salariés de plusieurs entreprises, qui veulent vérifier eux-mêmes l’ampleur des détournements de fonds par leurs patrons.
La puissance de la mobilisation fait donc éclater les profondes divergences entre les militants de base, les travailleurs en lutte, et les directions syndicales collabo.
Ben Ali tombe 2 jours plus tard, le 14 janvier, face à la puissance de la grève.
Sans les travailleurs y’a rien pas de révolution, pas de dictateurs qui tombent.
2- La nécessité d’un parti révolutionnaire
Du coup, qu’est-ce qui leur a manqué ? Pourquoi la révolution n’a pas mené à la construction du socialisme dans ces pays et dans le reste du monde ?
La question fondamentale c’est celle de l’indépendance de classe et de la nécessité d’une politique révolutionnaire consciente et organisée :
A partir du moment où les travailleurs ne s’organisent pas en tant que classe consciente d’elle-même et de ses intérêts pour diriger selon leurs propres objectifs, c’est d’autres qui prennent la tête. Et c’est ce qu’on a vu.
Exemple de l’Égypte en 2011 très parlant :
L’Egypte c’est un des pays où ya eu les formes d’organisation ouvrière les plus massives et poussées à la suite de l’extension de la révolution tunisienne. Des centaines de milliers de jeunes, travailleurs, travailleuses, s’étaient mobilisés dans le pays, mis en grève, avaient commencé à s’auto-organiser.
Exemple : les ouvriers de la plus grande usine de textile du pays, à Mahalla, centre de + de 20 000 ouvriers. Entreprise ayant déjà connu de nombreuses expériences de grèves depuis les années 2000. En 2011, les ouvriers se mettent en grève, occupent l’usine, plantent leurs tentes et placardent leurs revendications écrites dont la démission du patron de l’entreprise, l’augmentation des salaires et l’attribution de logements. On observe même alors des embryons de contrôle ouvrier sur certaines usines où des conseils de gestion composés de travailleurs sont élus pour organiser la production. Des expériences très poussées d’auto-organisation.
Et pourtant, après la chute de Moubarak, du jour au lendemain, les militants et militantes ont abandonné la place Tahrir, ont cessé la grève, et ont laissé le champ libre à l’armée, certains appelant même à faire confiance à l’armée pour diriger le pays. C’est cette démobilisation qui a permis au régime de reprendre la main et d’écraser le mouvement. C’est ainsi que les Frères musulmans qui apparaissaient comme LA force d’opposition face à Moubarak prennent le pouvoir. Et dès que les travailleurs s’aperçoivent que leur vie n’a pas changé avec les Frères musulmans au pouvoir, c’est Al Sissi qui prend le pouvoir par coup d’État militaire, et met en place une répression sanglante du mouvement ouvrier.
Résultat : aujourd’hui Al Sissi est toujours au pouvoir. Environ 60 000 personnes sont actuellement détenues en Égypte pour délit d’opinion. Il s’est illustré dans les derniers mois par sa complicité dans le génocide en Palestine, en réprimant violemment les manifestations en solidarité avec le peuple palestinien et en jetant même des manifestants en prison, et en participant au blocus de Gaza en refusant d’accueillir les réfugiés palestiniens.
Qu’est-ce que ça montre ?
En fait, la classe ouvrière est une force sociale objective, la seule qui peut renverser ce système. Pourquoi ? Parce qu’elle fait tout fonctionner. Si les travailleurs s’arrêtent de bosser il se passe plus rien. C’est presque mécanique, quand la classe ouvrière se met en branle massivement, le rapport de force il s’inverse et les dictateurs tombent comme des mouches.
Ce qui n’est pas automatique, c’est que cette force sociale là pose la question du renversement total de cette société, du pouvoir du patronat, de la prise du pouvoir en fait. Et si notre classe ne se pose pas ce problème, n’est pas armée d’un plan de bataille, organisée en tant que classe des exploités et des opprimés pour prendre le pouvoir sur leurs exploiteurs, quelque part elle fera toujours partie du plan de quelqu’un d’autre.
Et donc se pose la nécessité, dont on est convaincus, de la construction d’une organisation révolutionnaire, qui soit capable de proposer une stratégie dont la boussole soit l’indépendance de classe, avec comme objectif la prise du pouvoir révolutionnaire par les travailleuses et travailleurs. En 1917, le rôle du Parti bolchevik (et plus exactement de Lénine et Trotsky) a été décisif dans le déclenchement de l’insurrection qui a permis la victoire de la révolution. Sans cette intervention, la Révolution russe aurait probablement été un énième feu de paille.
Conclusion :
Nous au NPA-Révolutionnaires c’est ça qu’on veut construire, un parti qui permette de regrouper des militants révolutionnaires implantés dans la classe ouvrière et dans la jeunesse, capables à la fois de comprendre le monde dans lequel on vit et d’analyser les situations d’un point de vue de classe et surtout capables d’intervenir, dans les situations de paix sociale comme dans les moments d’explosion, pour proposer une stratégie gagnante à notre camp social. Et des moments d’explosion sociale on est convaincus qu’on va en vivre dans les mois et les années à venir.
Aujourd’hui on ne manque pas de raison de se révolter, mais de gens capables d’organiser la révolte. Donc si vous êtes ici et que vous êtes pas encore membre du NPA Révolutionnaires, c’est que vous êtes intéressé par ce qu’on fait et par ce qu’on dit, je m’adresse à vous, je vous invite à discuter avec les militants du parti, à rejoindre le NPA-Jeunes-Révolutionnaires, parce que y’a un enjeu énorme aujourd’hui à grossir les rangs des révolutionnaires et à construire cet outil pour l’émancipation.