Atelier « Hétéronormativité, Hétérosexisme »
I/ Définition
L’hétéronormativité suppose l’hétérosexualité comme la norme. C’est une structure sociale liée à l’idée que les êtres humains se divisent en seulement deux catégories distinctes et complémentaires : l’homme et la femme, qui seraient liés par un désir mutuel. N’envisager le genre que comme binaire légitime la naturalité de ce désir.
En découle les idées de ce que doivent être les hommes et les femmes (virilité/féminité), ainsi que des modèles de genre traditionnels avec des rôles définis.
L’hétérosexisme vise la discrimination des autres sexualités que l’hétérosexualité. Et a pour principe central que l’homosexualité n’existe pas vraiment, que c’est une maladie, une déviance.
L’hétérosexisme s’illustre par des croyances et des attitudes discriminantes envers d’autres sexualités.
II/ D’où vient le concept d’hétéronormativité ?
Le concept d’hétéronormativité est directement lié à la théorisation du concept de genre amené par les féministes dans les années 1970.
En fait on peut repérer trois grands moments dans l’évolution des conceptions de l’identité sexuée.
3 modèles servant à penser le genre qui coexistent encore aujourd’hui (modèle traditionnel/modèle féministe essentialistes/modèle matérialiste) :
Longtemps, les rapports entre hommes et femmes, entre féminin et masculin, ont été pensés suivant un modèle qui repose sur une vision binaire et hiérarchisée : le masculin est lié à des valeurs positives (esprit, raison, création) et le féminin au pôle négatif opposé (corps, folie, procréation).
Ce modèle a servi à justifier un ordre social inégal et a été légitimé par des arguments sur l’origine naturelle et biologique des différences sexuelles, qui évacuaient ou rabaissaient le féminin.
En réaction, une certaine pensée féministe, les essentialistes, a développé un modèle fondé sur la revalorisation du féminin : les féministes essentialistes, les féministes qui défendent l’avènement de la femme dans l’espace publique, politique et de pouvoir mais avec toujours l’idée sous-jacente que la femme est complémentaire de l’homme.
En 1972 Ann Oakley aux USA défini la première sur le plan féministe le concept de genre : « Le mot sexe se réfère aux différences biologiques entre mâles et femelles : à la différence visible entre leurs organes génitaux et à la différence entre leurs fonctions procréatives. Le genre, lui, est une question de culture. Il se réfère à la classification sociale en masculin et féminin ». Dans cette première définition, l’auteure ne met pas en cause le caractère hiérarchique des rapports entre les hommes et les femmes.
le concept de genre sera vite adopté en France, où s’effectuait déjà le même type de recherche sur les catégories de sexe, et développé par Nicole-Claude Mathieu, Christine Delphy et Colette Guillaumin entre autres. Ces féministes matérialistes introduisent la dimension systémique en reliant la question du genre aux autres oppressions : sociales, ethniques…
Les travaux postmodernes ébranlent l’idée que le « sexe » soit une donnée naturelle (d’où l’emploi des guillemets) et montrent que le corps est un concept historique. Dans cette perspective, le « sexe » devient un construit social et le genre précède le « sexe », car il donne une valeur à des traits physiologiques qui ont en eux-mêmes peu d’importance pour une catégorisation (Jackson 1996 et 1999 ; Delphy 1998 et 2001 ; Löwy et Rouch 2003 ; Butler 1993b, 2005a, 2005b et 2006). C’est la division hiérarchique des humains en deux genres qui construit la différence sexuelle et celle- ci est remise en question par le paradigme constructiviste.
[Butler s’insère dans ce paradigme, à l’intérieur duquel le « sexe » et le genre sont tous deux des constructions culturelles, sociales et politiques susceptibles d’être transformées. Le « sexe », le genre, la sexualité, l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle ont été juxtaposés culturellement afin de s’insérer dans une matrice de pouvoir hétéronormative et hétérosexiste.]
Le courant féminisme lutte de classe en France n’utilise non pas le concept de genre mais celui de rapports sociaux de sexe qui permettent une clarté théorique et idéologique :
Réfléchir en termes de rapports sociaux, c’est prendre de la distance avec toutes les analyses en termes de « liens » sociaux. Pour les marxistes, les rapports entre individus ne sont pas seulement des rapports subjectifs mais sont marqués par des rapports sociaux, contradictoires, antagonistes, de différents ordres et qui structurent les rapports de forces au sein de la société.
parler de rapports sociaux de sexe c’est considérer que ces rapports sont tout aussi structurants pour la société que les rapports de classe, les rapport de « races ». Aucune priorité n’existe entre ces dominations.
C’est cette matrice de normes qui construit l’hétéronormativité.
Le capitalisme s’appuie lui même sur ce système.
III/Comment l’hétéronormativité est utilisée par le capitalisme.
L’hétérosexualité est une construction sociale institutionnalisée par le mariage. Elle s’inscrit dans la société patriarcale, reproduit le schéma de la famille avec une domination masculine. C’est donc le modèle présenté à la société au sein de la famille, ainsi que dans l’éducation dès le plus jeune âge. Il y a une volonté de vouloir inscrire chacun dans un genre, et de préserver l’ordre moral.
C’est un concept politique de domination, qui permet de s’assurer de la domination masculine en conservant le pouvoir entre les mains des hommes.
Lorsque l’homosexualité est tolérée c’est au seine de l’espace privé, alors que l’hétérosexualité est en permanente démonstration dans la sphère publique.
En outre, c’est l’injonction à la reproduction, et à la reproduction sociale. Cela permet la pérennité de la classe bourgeoise, qui peut transmettre son héritage. Ainsi qu’un renouvellement de la main-d’oeuvre avec les enfants d’ouvriers, futurs exploités des capitalistes.
Considérer l’hétérosexualité comme norme développe l’hétérosexisme. Ce qui dessert le capitalisme qui tente toujours de diviser la population pour mieux régner. Cette division se traduit notamment par le fait que gays et lesbiennes n’aient pas les mêmes droits que les hétéro : adoption, mariage…
En France, les homosexuels n’ont pas le droit de donner leur sang, ils sont considérés comme « population à risque ».
Il y a une oppression spécifique sur les personnes qui ne sont pas hétéro.
On constate une hiérarchie entre les sexualités, avec l’hétérosexualité en « première place ». Et une hiérarchie dans le genre : homme hétéro > homme gay > femme hétéro > femme lesbienne.
C’est une chose que l’on retrouve dans le langage, les insultes (« tapette », « tafiole », etc) rapproche d’un côté dit « féminin », l’homme n’est plus autant un homme,il est rapproché du genre féminin.
Le capitalisme utilise l’hétérosexualité aussi dans la publicité sexiste qui elle aussi considère l’hétérosexualité comme norme, et enferme les personnes dans un genre stéréotypé.
IV/ Conséquences
Négation du plaisir homosexuel : ramène la sexualité à la pénétration (avec éjaculation : coït). Négation du plaisir clitoridien, de la masturbation féminine, de la sodomie, etc…
Exclusion sociales : les personnes pratiquant une sexualité différente ou n’appartenant pas à l’un des deux genres imposés sont exclues de la société, de ses institutions (mariage, famille, etc..) ils sont invisibilisés de l’espace publique et sociale, comme les transsexuels, les transgenres ou les intersexes. Toléré dans l’espace privé, ces personnes sont traités comme des sous-humain dans l’espace public : il n’ont pas accès aux même droit (mariages, adoption..), doivent justifier de leur mode de vie (procédure de transition pour les trans) ou sont réassigné de force à un genre, remis dans le système normatif comme les enfants intersexes qui naissent sans détermination sexuelle. L’opération est considéré comme réussie quand la sexualité de l’individu est hétéro.
Violences : Cette régulation possède un caractère très violent. Par exemple pour les Intersexes, ils subissent des mutilations (un clitoris « démesuré » est coupé = n’auront jamais de plaisir + création d’un vagin artificielle par l’introduction régulière d’un objet durant l’enfance et l’adolescence), etc… L’idéologie normative entraine une répression morale et parfois physique envers les déviants : harcèlement, agressions (des lesbiennes ou transsexuels se font violées etc…)
Conclusion : stratégie de résistances
L’oppression du système hétéronormatif opprime de nombreuses catégorie sociales : la question de les rassembler dans les luttes se posent pour la relance d’un nouveau mouvement féministe/LGBTI de masse. Ces catégories font l’expérience du genre et de l’injonction à la normativité ce qui permet de les rassembler sur une base de revendications communes.
L’identité ne s’arrête pas à la seule notion de genre, elle englobe également l’appartenance sociale, ethnique, si on est valide ou handicapée ect… Les luttes contre les dominations ne doivent pas être séparées.
Ouverture : Le mouvement féministe de masse des années 1970 a posé la question de la présence d’oppression à l’intérieur de la « catégorie femme ».
Butler et les mouvements queer ont remise en cause de la catégorie femmes qui obéit en elle même à une identité qui s’attache à une norme superficielle et construite, attachée elle même à la notion de genre. Elle reproduit en son sein des oppressions : blanches/noirs, lesbiens/hétéros etc… Le sujet militant doit être repensé dans le prisme des différentes oppressions pour dépasser le système hétéronormatif, le patriarcat, le capitalisme.
Les théories queer ont permis d’amener la question des subversions à la fois interne au mouvement des opprimés (ex : queers ethnoculturels au Canada qui combattent l’hégémonie des blancs dans le mouvement homo). Ces stratégies subversives pourraient être portées au dehors du mouvement vers le reste de la société.