Dix ans après les attentats de Charlie Hebdo, l’État français instrumentalise la lutte contre le « terrorisme » à des fins racistes et impérialistes [Topo WEF Mars 2025]

Introduction

Ce début d’année a été l’anniversaire des dix ans des attentats de Charlie Hebdo, triste souvenir d’une époque où le terrorisme islamiste faisait régulièrement des morts en France.
Ça a été d’abord la rédaction de Charlie Hebdo, douze personnes tuées à l’arme lourde par les frères Kouachi le 7 janvier 2015, attentat revendiqué par Al-Qaïda. Puis ce furent, quelques jours plus tard, les attaques des clients d’un supermarché Hyper Cacher, revendiquées par Daech.
Quelques mois plus tard, le 13 novembre 2015, ce furent les attaques coordonnées de Daech au Bataclan, aux abords du Stade de France et dans plusieurs cafés du 11e arrondissement qui ont fait un total de 130 morts. Et pour terminer la tragique série, il y a eu l’attentat de Nice du 14 juillet 2016 qui a fait 86 morts.

Des actes barbares menés au nom d’organisations fondamentalistes au projet politique ultra-réactionnaire qui ont provoqué à juste titre de vastes réactions dans la population.

Du côté du gouvernement, passé le choc initial, les attentats de janvier ont été l’occasion d’appeler à de grandes marches républicaines d’union nationale pour la liberté d’expression. Plus de 2 millions de personnes à Paris et plus de 700 000 dans le reste de la France ont répondu à l’appel à manifester le 11 janvier 2015. Pour mener l’union nationale, se trouvaient dans le carré de tête : Hollande, aux côtés des dirigeants des puissances impérialistes fauteurs de guerre, une brochette de dictateurs africains dévoués aux intérêts de Total ou de Bolloré, du style Omar Bongo, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, Viktor Orbán, qui s’appuie sur des groupes fascistes pour étouffer la presse et faire passer ses plans d’austérité et au premier rang Netanyahou, connu mondialement bien sûr pour son combat pour la liberté des peuples. De quoi faire un peu rire sur leur vision de la liberté d’expression. Pour continuer sur leur lancée d’union nationale, le 13 janvier à l’Assemblée nationale, du Front de gauche au Front national, c’est la communion au son de la Marseillaise. Du jamais vu depuis le 11 novembre 1918, d’après les journalistes.

Bref, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le gouvernement d’Hollande instrumentalise les attentats pour resserrer les rangs derrière une propagande nationaliste, pour faire l’amalgame entre les musulmans, les immigrés et les terroristes et donc derrière, justifier sa politique impérialiste et les attaques contre les travailleurs et travailleuses en France.

Alors comment combattre le terrorisme et le fondamentalisme religieux ? Déjà il faut comprendre pourquoi celui-ci se développe.

Je vous ai mis un petit rappel des différents courants de l’islam et des régions où ils sont majoritaires, ainsi que les principales organisations terroristes islamistes et de quel courant elles découlent.

Nous vous proposons donc de commencer par discuter de la responsabilité des impérialistes dans la montée du terrorisme au cours du 21e siècle en se concentrant sur l’exemple de Daech. Puis dans un deuxième temps nous discuterons des conséquences des attentats et de la lutte contre le terrorisme menée par le gouvernement, pour finir sur nos perspectives en termes de lutte contre le terrorisme. 

I. La montée du terrorisme, conséquence de l’impérialisme

a. 2001 et États-Unis

Pour ne pas remonter trop loin dans le temps, je vous propose de commencer en 2001 avec les attentats du 11 septembre, qui détruisent les tours jumelles aux États-Unis et font pas loin de 3 000 morts. Attentat revendiqué par Al-Qaïda, organisation terroriste islamiste fondée par le fameux Ben Laden, lui-même pur produit de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, au cours de laquelle les États-Unis n’avaient pas hésité à soutenir, financer et armer les groupes qui s’opposaient à l’URSS, quel que soit leur degré d’islamisme (talibans et Al-Qaïda entre autres).

Les attentats ont servi de prétexte aux États-Unis pour envahir l’Afghanistan en décembre 2001. Invasion bénie par une résolution de l’ONU et menée par une coalition où la France, l’Angleterre, l’Allemagne et une quarantaine d’autres pays ont prêté main-forte. Inaugurant le concept de la « guerre préventive » à la Bush. Mais derrière la lutte contre le terrorisme, c’était bien la prise de contrôle du Moyen-Orient qui était l’enjeu principal de cette guerre, puisque la chute de l’URSS avait laissé un vide dans la région.

Plus de 200 000 Afghans sont morts sous les bombes de la coalition. Plus de deux millions, fuyant la guerre, se sont réfugiés dans les pays voisins, se demandant peut-être quel était le plus sanglant des terrorismes.

Puis, dès 2003, les États-Unis ont donné suite à leur projet impérialiste en envahissant l’Irak, bien plus intéressant économiquement, étant la seconde puissance pétrolière du Moyen-Orient, justifiant cette invasion par des prétendues armes de destruction massive détenues par Saddam Hussein.

C’est dans ce contexte que naît l’État islamique en Irak en 2006 comme l’enfant monstrueux d’officiers sanguinaires de l’armée de Saddam Hussein et des djihadistes d’Al-Qaïda.

Il y a plusieurs raisons à cela :

  • D’abord la misère sociale et la destruction causée par la guerre qui va souder les populations contre les États-Unis et derrière les seuls à représenter une alternative, du fait du déclin de l’influence des partis communistes et des nationalistes.

Ainsi, la guerre en Irak fait 3 000 morts par mois dont une majorité de civils et 4 millions d’Irakiens déplacés (sur une population de 25 millions), au total plus de 110 000 morts. Sept millions d’Irakiens, plus de 20 % de la population, vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 2,2 dollars quotidiens.

  • S’ajoute à cela l’ingérence américaine dans le pays : en avril 2003, les États-Unis renversent Saddam Hussein et son parti Baas irakien (parti nationaliste, « socialiste » qui se donne un vernis laïque pour que la minorité sunnite gouverne un pays majoritairement chiite).

Les États-Unis vont non seulement virer le parti Baas du pouvoir pour mettre un gouvernement majoritairement chiite, mais aussi casser tout l’appareil d’État et donc mettre au chômage sans aucune perspective tous les fonctionnaires et notamment les 400 000 soldats et officiers de Saddam Hussein. C’est une partie de ces gradés de l’armée irakienne d’alors qui vont se recycler comme chefs militaires, parfaitement compétents, des troupes de l’État islamique. Sur les 17 chefs de l’État islamique, 14 sont d’anciens haut gradés de Saddam Hussein.

En plus, il y a le fait que le États-Unis et leur relai le gouvernement chiite vont opprimer les sunnites en les traitant comme s’ils étaient tous des partisans de Saddam Hussein, donc les regrouper contre eux et les marginaliser, alors que la majorité d’entre eux avaient souffert de la dictature de Saddam Hussein, et que certains l’avaient combattue à un moment ou un autre.

  • Ce sont dans les prisons d’Abou Ghraib, sous la torture des soldats américains que les anciens soldats de Saddam Hussein vont rencontrer les groupes djihadistes, et tout un tas d’autres détenus qui vont se radicaliser et c’est là que l’État islamique en Irak va trouver sa première structuration.
  • Pour couronner le tout, Bush va tenir un discours réac, raciste où il amalgame lui-même Arabes, musulmans et islamistes, mettant une forme de pression en menaçant d’une guerre au-delà même de l’Irak, et attisant les divisions confessionnelles. Tout ça crée et renforce des sentiments nationalistes, communautaires, etc.

C’est ainsi que se crée en 2006 l’État islamique en Irak, à partir d’une ramification locale d’Al-Qaïda et d’autres groupes djihadistes de la région. À ce moment-là ce n’est qu’une parmi une myriade de milices confessionnelles qui sont en guerre les unes contre les autres.

Parce qu’une fois n’est pas coutume, les États-Unis vont mobiliser contre l’EI des clans sunnites en échange d’argent et de promesses de places au gouvernement. Cette technique a marché pendant un temps puisqu’en 2009, l’EI est complètement chassé des villes d’Irak et maintient une existence souterraine dans le désert, si bien qu’Obama parle du retrait de la majorité des troupes d’Irak en 2010 parce que la menace djihadiste est écartée. La suite lui prouvera que non.

b. 2011 printemps arabes

En 2011, les révoltes populaires qui embrasent la région, appelées printemps arabes, vont entièrement rebattre les cartes de la situation. Prenant peur devant la force et la contagion de ces révoltes, les impérialistes vont organiser une forme de contre-révolution en s’appuyant en grande partie sur les islamistes.

On va se concentrer sur deux régions : la Syrie et la Libye.

D’abord en Syrie

En 2011, c’est sous l’impulsion des printemps arabes, que l’EI va renaître et se développer. Dès le début de la guerre civile en Syrie il va rejoindre l’opposition armée au régime syrien.

Cette opposition bénéficiera d’un soutien actif à la fois des pays arabes sunnites (du Golfe) et des pays occidentaux (France, Royaume-Uni, États-Unis), farouchement opposés au maintien au pouvoir de Bachar al-Assad. Aux yeux de ces puissances, tous les candidats au pouvoir sont bons à prendre, peu importe qu’ils soient tous plus réactionnaires les uns que les autres : des quelques notables bourgeois qui tentent de former un gouvernement provisoire, aux Frères musulmans, à l’État islamique et autres groupes djihadistes, en passant par « l’armée syrienne libre ». Si aucune de ces forces n’apparaît, à elle seule, comme une solution fiable pour remplacer Bachar al-Assad, elles ont été autant de cartes jouées, financées, voire armées.

Très vite, les combattants de l’État islamique vont se démarquer par leurs méthodes militaires et dès 2013, la marginalisation de l’Armée syrienne libre est acquise et l’essentiel des forces combattantes se positionne du côté jihadiste.

C’est ainsi qu’en 2013, l’État islamique en Irak se renomme « État islamique en Irak et au Levant », dont les initiales font Daech.

Fort de ses succès en Syrie, en termes de troupes et de connaissances militaires, Daech va repartir à la conquête de l’Irak. Bien qu’on ne considère pas vraiment que l’Irak ait eu son « printemps » arabe, la contagion des révoltes de la région a tout de même donné lieu à de nombreuses manifestations pour dénoncer la corruption du gouvernement, férocement réprimées par l’armée. Les hommes de Daech vont se positionner comme ceux qui vont assurer la protection des manifestants. Ils ne vont jamais cacher qui ils sont et bien que les populations locales soient au départ plus que dubitatives, il y a une telle colère contre le régime en place que, quand Daech prend la ville de Mossoul en juillet 2014 à une centaine de combattants, il y a très peu de résistance de la part de la population.

Du côté de la Libye, les grandes puissances, France, Angleterre, États-Unis, ont décidé de prendre les devants, en renversant par leur intervention militaire le président Kadhafi, avant qu’une révolte populaire ne le fasse, et en mettant ainsi un coup d’arrêt à l’extension du printemps arabe. Pour avoir des troupes au sol, les occidentaux ont, je vous le donne en mille, financé et armé des troupes au sein de clans rivaux au régime, mais aussi d’une variété de groupes islamistes que le Qatar s’était chargé de recruter, d’armer et d’entraîner.

Ce sont ces mêmes groupes qui ont alimenté le chaos en Libye, puis du Sahel jusqu’au Mali et au Niger. Et c’est la misère qui fournit aux bandes armées ses recrues au nom d’Allah. S’y ajoutent les multiples bavures de l’armée française, comme celles des troupes africaines qu’elle encadre et enrôle dans ses opérations de police.

En janvier 2013, la France de Hollande, puisqu’il faut bien parler un peu de notre impérialisme, lance l’opération Serval au Mali, qui deviendra ensuite l’opération Barkhane. Le soutien à cette intervention pour sauver le Mali du terrorisme est quasi unanime. Personne ne remet en question cette guerre pour la paix. Sarkozy va même jusqu’à expliquer que les Français vont combattre au Mali pour repayer la dette qu’ils ont envers les combattants maliens morts pendant la Seconde Guerre mondiale.

En réalité, l’opération est lancée pour tout un tas d’autres raisons : sécuriser les sites miniers d’uranium d’Areva au Niger, qui avaient fait l’objet d’une prise d’otage par les djihadistes. Également, car de grandes mobilisations sociales et politiques dans la capitale menaçaient de détériorer les liens privilégiés du gouvernement avec la France : il s’agissait donc de rendre plus sereines les institutions et de mettre au pouvoir quelqu’un avec qui on pourra traiter. Ceci a donné les élections précipitées du président Keïta en septembre 2013.

En 2014, les groupes djihadistes du Sinaï, Mozambique, RDC, et Sahel vont tour à tour prêter allégeance à Daech.

c. Daech 2014-2015

Pour revenir donc à Daech, qui est revenu sur l’avant de la scène et a réussi à rassembler beaucoup de groupes djihadistes, il n’est apparu à la face du monde comme l’ennemi à abattre que lorsqu’il s’est emparé de Mossoul en 2014. Une ville de plus de deux millions d’habitants, la deuxième du pays, future capitale religieuse de cet « État islamique » à cheval sur la Syrie et l’Irak, baptisé « nouveau califat » par son chef Baghdadi. Bientôt, l’État islamique a conquis, le plus souvent sans avoir à mener de combats durs, un territoire de près de 300 000 km2 et 8 à 10 millions de personnes. Dont une partie des zones pétrolières du pays. L’organisation Daech revendique sa part de gâteau, s’en attribuant déjà un bon morceau. Elle fait voler en éclat l’Irak tel que le gouvernement américain avait tenté de le reconfigurer sous la houlette d’un régime à sa solde.

Penchons-nous un peu sur l’idéologie de ce groupe. C’est un groupe salafiste, un mouvement religieux de l’islam sunnite qui revendique un retour aux pratiques du temps du prophète et une lecture littérale du Coran, avec application de la charia. S’ajoute à cela l’idéologie djihadiste, littéralement de la guerre sainte, c’est-à-dire que l’action violente et armée est un devoir individuel pour instaurer et étendre l’État islamique. Assez concrètement, ça veut dire l’oppression des populations sous un fondamentalisme religieux ultra-réactionnaire, les femmes reléguées au rang d’objets. Dans les territoires qu’ils contrôlent, ils organisent des exécutions de masse, des décapitations publiques et des viols. Ils cherchent à terroriser la population locale pour la soumettre.

Les attentats en Occident ne sont que la toute petite face émergée de l’iceberg de la violence perpétrée par Daech.

Si ça vous rappelle quelque chose, c’est normal, c’est exactement la même doctrine que celle des wahhabites en Arabie saoudite. C’est bien là qu’on voit le deux poids deux mesures des impérialistes : pas de problème avec les régimes violents et réactionnaires, tant qu’ils sont de notre côté et qu’ils se soumettent à nos demandes.

d. Conclusion politique sur le terrorisme

Pour conclure cette première partie, on a vu que les attentats sont le produit de l’impérialisme qui s’est retourné contre eux. L’impérialisme, c’est mettre à feu et à sang des régions, utiliser des peuples contre d’autres, exacerber des tensions régionales, tout ça pour les profits de capitalistes. Et toutes les interventions militaires aux Moyen-Orient, même quand elles ont réussi à tuer tel ou tel chef, n’ont fait qu’exacerber la barbarie et le chaos et donc, in fine, à produire plus de terrorisme.

Pour autant, nous ne justifions aucunement le recours aux attentats et au terrorisme tels qu’ils ont été faits par Al-Qaïda ou Daech.

Nous ne sommes pas de ceux, à l’instar des républicains bourgeois qui condamnent hypocritement la « barbarie » de ces groupes-là, parce qu’ils préfèrent mettre à leur place des gouvernements qui seront plus dociles, peu importe leur violence. Les bourgeois s’indignent du chien qui mord la main de son maître, pas des morts. Les morts du Bataclan, le gouvernement français n’en a pas grand-chose à faire. La condamnation du terrorisme, elle leur sert à mettre en place plein de politiques liberticides qui ne sont pas efficaces pour lutter contre, comme nous allons le voir dans la partie suivante.

De l’autre côté, le djihadisme se construit sur tout un tas de jeunes gens qui voient leur pays détruit et ne voient pas d’autres perspectives que de s’enrôler.

Mais la perspective contre l’impérialisme, ce ne sont pas des groupes armés qui veulent devenir une puissance régionale en opprimant la population. En effet, jamais ces groupes ne s’appuient sur des révoltes populaires, à l’inverse, ils se construisent en détruisant les révoltes populaires, à l’instar de la façon dont ils ont servi la réaction contre les printemps arabes. Ils s’appuient au contraire sur une apathie de la population et ne cherchent jamais à mettre la classe ouvrière en mouvement.

Alors les peuples sont pris entre deux feux, d’un côté l’impérialisme et de l’autre les groupes terroristes.

Ainsi, ce n’est pas qu’on n’emploierait pas la violence contre l’impérialisme, mais que les moyens que l’on emploie sont indissociables et déterminés par la fin visée. Pour reprendre Trotski dans Leur morale et la nôtre : « Le moyen ne peut être justifié que par la fin. Mais la fin a aussi besoin de justification. » Or la fin pour laquelle se bat Daech, elle est tout autant dégueulasse que les moyens qu’ils emploient.

À l’inverse, nous, on est pour une violence de masse qui permet de mettre au pouvoir la classe ouvrière, et non de la contraindre.