Formation – « Le rôle de la jeunesse et de la classe ouvrière dans la révolution – à la lumière des révolutions au Sud de la Méditerranée »

Il y a un point commun entre les révolutions en Tunisie ou en Egypte, et Mai 68. On essaie de les présenter comme un conflit générationnel, une révolution de la jeunesse pour plus de liberté, version hippie pour les années 60 et version Facebook pour les révolutions arabes. L’intérêt de présenter les choses ainsi pour les médias au service du capital, c’est qu’ainsi il ne peut s’agir que de révolutions dont l’objectif fondamental est une simple modernisation de la société capitaliste.

Que ce soit au passé ou au présent, la classe dirigeante essaie de gommer l’affrontement entre classes sociales qui est au cœur des processus révolutionnaires. Elle cherche à circonscrire la révolte de la jeunesse à une rébellion à la petite semaine. Ainsi on efface tout simplement la classe ouvrière du paysage et on atténue la charge révolutionnaire de la mobilisation de la jeunesse.

Les révolutions en général et les révolutions dans la région arabe en particulier sont des tests grandeur nature. Elles révèlent de manière impitoyable ou lumineuse (ça dépend du point de vue) le rôle des uns et des autres, des différentes théories, des différentes institutions, des différentes forces politiques… et des classes sociales : nous qui sommes anticapitalistes, révolutionnaires, qui cherchons les points d’appui pour renverser ce système, quelle meilleure occasion que des processus révolutionnaires réels pour réexaminer le rôle de ces 2 groupes sociaux un peu particuliers que sont la jeunesse et la classe ouvrière.

Cependant, pour essayer d’y voir clair sur les rôles respectifs des jeunes et des travailleurs dans la révolution, on va commencer par prendre du recul et chercher à avoir une vision historique des luttes de la jeunesse.

I- La jeunesse, « flamme de la révolution »

1- La jeunesse à l’avant-garde de la lutte révolutionnaire lors de l’essor du mouvement ouvrier (fin du XIXème siècle-début XXème siècle)

Cela peut sembler une platitude de dire que la jeunesse est à l’avant-garde de la lutte révolutionnaire. Mais en réalité, même les révolutionnaires ont tendance à oublier à quel point c’est vrai.

1.1-  Le décor

Au moment de l’essor du mouvement ouvrier en Europe, au début du 20ème siècle, pour la première fois des syndicats et des partis socialistes regroupant des millions de membres se sont formés.

A ce moment on assiste à un développement en parallèle du capitalisme industriel moderne et d’un mouvement ouvrier de masse qui a pu former une véritable contre-société : la social-démocratie allemande au début du siècle c’était un large réseau d’organisations qui encadrait la vie de millions de salariés : 90 journaux quotidiens (!), associations de femmes socialistes, universités populaires, bibliothèques, sociétés de loisirs…

Et des organisations de jeunesses socialistes de masse, le plus souvent des organisations autonomes liées aux partis socialistes : elles forment une Internationale Socialiste de la Jeunesse qui sera une des principales  forces d’oppositions à la guerre.

1.2- La jeunesse fer de lance des organisations révolutionnaires

Avec le déclenchement de la première guerre mondiale et la révolution russe, les partis communistes se forment avec à l’époque pour objectif de faire la révolution ici et maintenant, en rupture avec les partis socialistes officiels. Les organisations de jeunesse passent massivement du côté de l’Internationale Communiste, l’ISJ se transforme en Internationale Communiste de la Jeunesse. Elle compte jusqu’à 800 000 membres à son apogée en 1921. Elle est financièrement indépendante de l’IC.

Les jeunes forment l’essentiel des troupes des PC au moment de la plus grande vague révolutionnaire que l’Europe ait connu (1918-1923). A tel point que dans certains pays, c’est la jeunesse socialiste qui se change en PC, en section de l’IC, comme en Belgique ou dans l’Etat Espagnol ! Pour se faire une idée la  moyenne d’âge du parti bolchévik,  est de … 19 ans en 1917 (il est vrai qu’à l’époque l’espérance de vie était plus faible mais bon). D’ailleurs, en Russie, le rôle des jeunes (en particulier des étudiants) dans la fondation des partis révolutionnaires a également été prépondérant à la fin du XIXème et début du XXème siècle.

1.3- Les jeunes sont en première ligne du combat révolutionnaire non seulement en période de montée  de la révolution, mais aussi dans les moments où tout espoir semble perdu. L’insurrection du ghetto de Varsovie (1943) en est un exemple éclatant

Une lutte perdue d’avance qui oppose une population emmurée et assujettie aux rafles vers les camps de la mort aux barbares nazis.

Mais c’est la première insurrection urbaine qui a alors eu lieu dans toute l’Europe occupée.

200 combattants armés en tout et pour tout au milieu d’une population affamée, contre 2000 SS et supplétifs, avec tanks et aviation

L’Organisation Juive de Combat (l’organisation militaire du soulèvement) est constituée par un front unique des organisations de jeunesse socialistes juives. Presque tous les combattants sont des très jeunes, le commandement : « 110 ans à nous cinq ». L’OJC organise des exécutions de policiers et de collabos, réquisitionne la fortune des riches, et résiste aux assauts nazis pendant plusieurs semaines ! L’OJC constitue un véritable contre pouvoir !

C’est la capacité des jeunes à prendre l’initiative de se battre même dans la situation la plus désespérée qui soit, et fort enracinement dans le mouvement ouvrier qui permettent de mener un des combats les plus héroïques de l’histoire. La prise en main de la lutte par les jeunes, la lutte des jeunes est capable d’enclencher une dynamique révolutionnaire, même au fond de l’abîme.

2- La montée du fascisme

L’exemple des mouvements fascistes dans les années 30 et 40 nous montre que la révolte de la jeunesse ne se dirige pas automatiquement sur les bonnes cibles. La première étape de la construction du mouvement nazi en Allemagne a été de gagner la majorité chez les étudiants, ce qui a été fait bien avant que le parti nazi ne gagne des millions d’électeurs (même chose en Espagne et en Italie), tandis qu’en France, au moment de la grève générale de juin 36, alors que les ouvriers occupent les entreprises et tiennent la rue, ce sont les royalistes de l’Action Française qui ont le dessus dans le Quartier Latin. Conclusion : besoin d’une politique pour gagner jeunesse à la révolution.

3- 1968 : la jeunesse comme détonateur

En France ce qui était au départ une manif de 30 000 étudiants pour la libération de militants arrêtés par la police se transforme en affrontements avec la police qui débouchent sur une grève générale de 10 millions de travailleurs… l’exemple est connu.

Mais 68, c’est aussi le mouvement étudiant au Pakistan qui déclenche une crise sociale telle que le régime dictatorial chute, le mouvement massif qui déclenche également des crises sociales importantes en Egypte ou au Mexique, et c’est encore l’occupation de l’université de Belgrade en juin 68 qui déclenche le mouvement révolutionnaire contre la dictature bureaucratique.

3.1 Qu’est-ce qui explique ce mouvement d’ampleur internationale ?

  1. La crise que connaît le capitalisme à ce moment arrive après une période de croissance du capitalisme
  2. Dans la décennie précédente, les peuples colonisés remportent une série de victoires par des luttes héroïques : en Chine, à Cuba, en Algérie, au Vietnam… Des dizaines de milliers de jeunes se politisent en se mobilisant en solidarité avec ces processus révolutionnaires, contre les agressions impérialistes que lancent les grandes puissances contre ces luttes
  3. Des organisations du mouvement ouvrier toujours fortes si on les compare à aujourd’hui mais qui n’incarnent plus l’opposition au capitalisme, crise de la social-démocratie et du stalinisme. Une jeunesse qui se révolte en dehors des cadres traditionnels et moins encadrée par les bureaucraties
  4. L’augmentation du poids social des étudiants et des lycéens

Le système capitaliste a besoin après-guerre d’une massification de l’enseignement supérieur qui fait naître un groupe social de centaines de milliers voire de millions de lycéens et d’étudiants

3.2 La révolte de la jeunesse n’a pas commencé en 68 mais dans les années précédentes, comme un indice annonciateur de l’esprit de contestation qui se généralise après 68.

La jeunesse agit comme un sismographe, comme une plaque sensible qui révèle les évolutions d’ensemble de la société capitaliste

3.3 Mais les mobilisations de la jeunesse n’ont pas seulement été un symptôme annonciateur.

Elles se sont menées à la fois sur des revendications et des problèmes propres à la jeunesse, mais aussi sur des questions politiques générales (en solidarité avec les révolutions anticoloniales, contre les régimes politiques autoritaires). Et elles ont été menées de manière exemplaires, à 2 titres :

Elles ont été capables d’assumer un degré d’affrontement élevé avec la classe dirigeante. Mais elles ont aussi été souvent menées de manière auto-organisées : l’occupation de la Sorbonne, de l’université de Chicago en 1970 ont fourni un exemple qui ont inspiré d’autres couches sociales.

L’accroissement du poids social de la jeunesse scolarisée, l’exemple des révolutions coloniales, l’incapacité des courants traditionnels du mouvement ouvrier à polariser la révolte de la jeunesse, les méthodes radicales de lutte… ont fait du mouvement de la jeunesse l’étincelle parfaite pour une situation qui ne demandait qu’à exploser.

3.4 Les caractéristiques de la jeunesse qui expliquent ce rôle

  1. Pourquoi la jeunesse émerge
    • Avant le capitalisme, la jeunesse ne constituait pas un âge distinct. Ce qui fait émerger la jeunesse comme couche sociale, c’est l’institution scolaire. Avant le capitalisme, les futurs producteurs sont formés directement au contact des adultes dans le cadre de l’apprentissage. La nécessité d’inculquer une qualification même élémentaire à un grand nombre de futurs travailleurs sépare les jeunes des adultes dans le cadre de l’école. La jeunesse naît dans un mouvement de séparation institutionnelle, de « mise en quarantaine ». C’est la racine du fait que les jeunes vivent « dans leur propre monde » comme le disait Trotsky. L’école joue le rôle décisif, mais autres institutions pour encadrer la jeunesse : l’église, l’armée…
  2. Place par rapport à l’appareil de production : les jeunes sont soit en dehors de l’appareil de production, soit exploités depuis peu de temps. Ils sont beaucoup moins exposés aux effets aliénants du travail.
  3. Pas encore pleinement intégrée à la société bourgeoise : le couple, les crédits etc ne pèsent pas encore sur les jeunes, qui sont libres de tout engagement.
  4. Pas le poids des défaites du passé

Résultats : une réceptivité particulière aux idées révolutionnaires car moins de préjugés, plus grande disponibilité pour la lutte (les jeunes scolarisés ne perdent pas de salaire quand ils font grève, les JT n’ont généralement pas de famille à nourrir), rythmes de mobilisation plus rapides, politisation par biais différents (place plus importante des questions politiques : anti-guerre, anti-racistes, etc…)

En un mot : jeunesse n’est pas une classe sociale. Elle est une couche sociale hétérogène (des individus qui viennent de classes sociales différentes, et qui suite à leur formation auront des destinées différentes) qui subit une oppression spécifique. Mais dans sa majorité, ce sont des travailleurs en formation… dont les caractéristiques, malgré son hétérogénéité sociale, la rendent plus apte à la révolte et à la mobilisation.

Bilan : Milieu particulièrement propice pour gagner des cadres révolutionnaires

Une plaque sensible

Avant-garde tactique dans la révolution : capable de mener des actions exemplaires, qui poussent à une lutte d’ensemble mais qui n’en décide pas l’issue.

4- Aujourd’hui

4.1 La jeunesse d’aujourd’hui n’est plus exactement la même que celle de l’époque 68 : Chômage de masse, discriminations racistes tendent à creuser une fracture. Mais elle connaît une prolétarisation qui la rapproche du monde du travail.  Les étudiants lors du mouvement CPE en 2006 qui sont les bienvenus lors d’interventions organisées dans les AG de travailleurs et à l’entrée des boîtes, à comparer avec les étudiants accueillis portes fermées à Billancourt en 1968. La génération « 600 euros » en Grèce, définie par la faiblesse de ses revenus, de son salaire, élément constitutif de la condition ouvrière

4.2 La période dans son ensemble explique fondamentalement pourquoi nous sommes à l’heure actuelle face à des éléments de  formation d’une nouvelle génération politique

Les luttes de masse de la jeunesse n’ont jamais cessé, y compris pendant années 80.

Pourquoi pas d’accumulation d’expérience, contrairement à époque 68 ? Une période de crise prolongée, recul des luttes, faiblesse du mouvement ouvrier.

Dans la situation actuelle, les éléments nouveaux par rapport à la période précédente sont l’instabilité, et la remontée des luttes, même si cela n’annule pas le rapport de forces défavorable et la crise du mouvement ouvrier. Cela a forcément un impact sur la jeunesse et la manière dont elle se politise : les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas une nouvelle génération qu’il suffirait d’appeler à la lutte pour qu’elle se batte à tout instant de manière impétueuse, mais elle est loin d’être une masse amorphe et individualiste. Des centaines de milliers de jeunes qui à la fois subissent la pression accrue de la crise mais qui ont connu une ou plusieurs mobilisations de masse avec un début d’accumulation d’expérience.

Mais pour que les bonnes leçons soient tirées dans uns situation incertaine, il faut une intervention politique, une organisation qui fasse ressortir les éléments positifs de l’expérience des luttes et leur donne une cohérence.

Conclusion : le potentiel révolutionnaire que la jeunesse peut jouer vient de ses caractéristiques structurelles, c’est quelque chose qui existe depuis que le capitalisme existe, indépendamment de nous. Mais cela dépend aussi des données de la période (on ne se politise pas de la même manière, à la même échelle selon les périodes) et de la capacité des révolutionnaires d’intervenir dans un sens favorable.

II- Quelques leçons des révolutions au Sud de la Méditerranée

Un processus révolutionnaire qui touche une région à cheval sur Afrique et Asie, qui concerne une vingtaine d’Etats et 300 millions d’habitants de l’Atlantique au Golfe Persique.

Tunisie, Egypte : des insurrections de masse ont abattu 2 dictatures particulièrement odieuses.

Pour donner une idée de la profondeur du bouleversement, de la confiance que virer des dictateurs a pu donner aux différentes couches opprimées : groupe de médecin qui avait mis en place une clinique auto-organisée place Tahrir a pris l’initiative d’organiser des conférences sur comment confectionner des masques à gaz et comment se débrouiller en cas de blessure. Lycéens et collégiens ont obtenu que les programmes scolaires soient purgés de toutes références aux soi-disant réalisations positives de Moubarak et ont aboli les châtiments corporels… mais il y a même des manifs dans les cours de récré des petites écoles avec des slogans… contre les devoirs !

1 – La place indéniable de la jeunesse dans le déclenchement des soulèvements et comme avant-garde

Rappelons quand même qu’on a affaire à des sociétés très jeunes

Cependant il est frappant de constater que les martyres morts pendant le soulèvement sont en grande majorité des jeunes

C’est logique vu la place centrale des jeunes dans les affrontements

Ex du Caire organisations de jeunes ont appelé aux toutes premières manifestations, puis la jeunesse des quartiers défavorisée est descendue dans la rue, a brisé les barrages policiers et a joué le premier rôle dans la défense de la place Tahrir. A Tunis aussi la défense des quartiers insurgé, les barrages étaient organisés par des jeunes armés

Tunisie : Mohamed Bouazizi, jeune diplômé qui s’est immolé parce que la police l’a privé de son gagne-pain, a été à lui seul le symbole d’une génération sans avenir, symbole du rôle d’impulsion de la révolution

Egypte. Un processus de politisation qui a commencé depuis 2000 avec des mobilisations internationalistes (un peu comme dans les années 60 en Europe) pour la Palestine et contre la guerre. Mobilisations contre le régime en 2005 et surtout solidarité avec une vague de grèves sans précédent de 2006-2008 (2 millions de personnes y ont participé)…

La politisation des jeunes s’est accéléré au contact des luttes des travailleurs

En effet dans les années précédant les processus actuels, Tunisie comme Egypte ont connu des vagues de grève qui ont été des sources d’inspiration pour les jeunes militants, avec constitution d’organisations de jeunesse indépendantes… qui sont les organisations, avec l’extrême-gauche, qui ont appelé aux premières manifs massives. Une des organisations les plus connue : le mouvement du 6 Avril, dont nom correspond à la date d’un appel à une mobilisation générale en solidarité avec grévistes de Mahalla en 2008.

2 – C’est là qu’on voit à quel point rôle central des travailleurs dans :

1) Le processus qui a préparé le renversement des dictateurs.

Grève à partir de décembre 2006 dans l’usine textile géante de plus de 20 000 travailleurs à Mahalla et dans toute l’Egypte, formation de syndicats indépendants du pouvoir

Redeyef dans le bassin minier : L’Etat y a disparu pendant plusieurs mois, c’est parce que la révolution y a commencé il y a 3 ans… c’est aujourd’hui le local de l’UGTT qui est le véritable siège du pouvoir, le maire corrompu est retenu chez lui dans l’attente de son procès, la police et la plupart des autorités ont disparu et la ville est auto-gérée par des conseils.

Le rôle des soulèvements du bassin minier du Sud-Est en 2008 en Tunisie : a fourni un modèle, une répétition générale, une inspiration qui a montré qu’il était possible de défier la dictature

2) Dans le renversement lui-même

GG régionales et appel sous pression à GG de 2h de direction de UGTT dans le Grand Tunis. L’existence d’une structure syndicale nationale avec de fortes traditions de lutte a permis que dans de nombreuses régions des bagarres d’ensemble regroupant travailleurs et jeunes se mènent de manière structurée

En Egypte, le mécanisme de la chute de Moubarak est significatif : Moubarak a réagi tout d’abord aux manifs massives par le lock-out et par la répression : en faisant cesser d’autorité le travail dans tout le pays, il a cherché à créer la panique dans le pays pour favoriser la répression. Et quand il a compris qu’il ne réussirait pas à réprimer le mouvement, il a changé de tactique en essayant de l’isoler. Il a levé le lock-out, pour ramener le pays à une situation normale. Mais la manœuvre a échoué : les travailleurs, qui avaient massivement participé aux manifs mais en tant qu’individus, se sont retrouvés sur leurs lieux de travail, en ont profité pour discuter, s’organiser et… déclencher des grèves dans tous les secteurs ! Revendications sociales… et contre le régime !

A tel point qu’à partir du jeudi 10 février les travailleurs de la Compagnie du Canal de Suez ont lancé une grève avec occupation illimitée des installations portuaires. Le canal de Suez est une source vitale de devises étrangères pour l’Egypte et un million et demi de barils de pétrole y transitent quotidiennement, ainsi que des navires militaires US. Sa fermeture obligerait les cargos à faire le tour de l’Afrique, ce qui aurait un impact sur les prix du pétrole et tous les échanges commerciaux en Europe et dans le monde. Impossible de réprimer cette grève sans faire intervenir l’armée et risquer de faire exploser encore plus la situation.

Pour citer le bloggeur et militant révolutionnaire Hossam El-Hamalawy : « Tout le temps où nous étions place Tahrir, nous pouvions contrôler la place Tahrir, mais nous ne contrôlions pas le reste du pays.  Hosni Mubarak et son entourage étaient toujours en place et tenaient le bâton du pouvoir entre les mains.  (…) Mais les grèves généralisées de mercredi et jeudi ont changé la situation.  Les étudiants pouvaient manifester et occuper leurs universités pendant toute une année.  Le gouvernement peut les fermer. Les juges pouvaient organiser des manifs héroïques.  Le gouvernement peut fermer les tribunaux-il a des cours militaires.  Si les journalistes manifestent, le gouvernement peut fermer les journaux. Mais les travailleurs, s’ils font grève, c’est « game over ». La partie est terminée parce que la machine ne marchera pas. Il n’y a pas d’argent qui circule, il n’y a plus de trains plus de bus, les usines ne tournent plus. C’est « game over ». (cf http://www.jadaliyya.com/pages/index/1387/english-translation-of-interview-with-hossam-el-ha)

3) Dans la persistance de la dynamique du processus révolutionnaire et dans son extension internationale

Si on compare la situation actuelle avec d’autres renversements récents de dictatures par mobilisations de masse comme aux Philippines en 1986 ou en Indonésie (1998), on est frappés par l’extension  internationale et la persistance du processus révolutionnaire, plus de 6 mois après le renversement des dictateurs.

C’est parce que la mobilisation des travailleurs a été décisive que  la mobilisation a été si profonde, qu’elle persiste et s’étend. C’est ça qui fait la différence.

Et ça continue aujourd’hui : dans une série d’entreprises, ce sont les travailleurs qui commencent à virer les patrons (d’habitude c’est l’inverse).

Une multitude de facteurs ont joué dans le soulèvement actuel : l’impact de la mondialisation de la crise, la condition de pays capitalistes dépendants, le pourrissement de dictatures vieillissantes, le rôle des nouveaux médias comme Al Jazzera qui a contribué à réactiver une identité arabe commune…

Le mécanisme fondamental de ces processus révolutionnaires est une combinaison entre de mobilisations politiques populaires contre dictature  contre le pouvoir (où les jeunes ont eu un rôle prépondérant), et une mobilisation des travailleurs en tant que classe… une combinaison explosive.

Malgré les grandes difficultés auxquelles est confronté le processus révolutionnaire en Tunisie comme en Egypte, cette combinaison donne un potentiel encore vaste pour l’avenir.

Qu’est-ce qui donne cet impact particulier aux mobilisations des travailleurs ?

III- La centralité de la classe ouvrière

1- La classe ouvrière aujourd’hui

Le temps manque dans le cadre de cet exposé pour discuter des contours de la CO (qui en fait partie, qui n’en fait pas partie…).

Pour nous, la CO est composée de tous ceux qui n’ont que leur force de travail (leurs bras, leur cerveau) à vendre pour survivre, qui sont obligés de se salarier pour gagner leur vie. Qui ne sont pas propriétaires des moyens de production, de communication et d’échanges. Qui se font exploiter. Qu’ils travaillent dans des usines, dans des bureaux ou dans les champs, ils ont en commun de travailler au bénéfice de quelqu’un d’autre et de ne pas avoir d’autre source de revenu.

1.1 On insiste généralement dans les milieux politisés sur la fragmentation de la CO dans les vieux pays capitalistes (statuts, plus petites unités de production) et sur la diminution de la proportion des ouvriers d’usine dans la population active, suite à contre-offensive bourgeoise. Mais si on adopte un point de vue international, le tableau est un peu différent.

Ce qui est indiscutable, c’est que la classe ouvrière est aujourd’hui plus nombreuse que jamais : rien qu’en Corée du Sud aujourd’hui il y a plus de travailleurs salariés que dans le monde entier à l’époque de Marx. La CO constitue aujourd’hui entre 80 et 90% de la population dans les pays les plus industrialisés et presque la moitié de la population mondiale.

1.2- Les usines traditionnelles, l’industrie au sens classique est loin d’avoir disparu.

Même dans les vieux pays capitalistes : les ouvriers sont le groupe social le plus nombreux  (France : 6 millions)

Les délocalisations de nombreuses industries n’ont pas causé une disparition mais un redéploiement, une restructuration mondiale de l’industrie depuis les années 70. Sans industrie, le monde ne tournerait pas : pas d’essence, pas de transports, pas de télécommunications… La Chine n’aurait pas le 10ème de sa puissance si elle n’était pas l’ « atelier » du monde.

L’offensive de la bourgeoisie n’a pas entièrement détruit les vieux bastions. Le redéploiement du capital a développé de nouveaux secteurs comme les centres d’appels et la grande distribution, qui connaissent des luttes alors que personne ne s’y attendait… mais les « vieux secteurs » sont toujours là et luttes toujours importantes (après tout, la révolution a commencé dans le textile en Egypte et dans les mines en Tunisie ! cf le rôle des raffineries en France à l’automne 2010)

1.3- La transformation de paysans, d’artisans ou d’individus issus d’autres classes sociales en prolétaires se poursuit tous les jours…

Des milliers de paysans dans les pays du Sud sont obligés chaque année de migrer vers les villes et de devenir des salariés pour survivre (comme en Chine, les Mingongs, sans-papiers de l’intérieur). L’insertion de Chine et de l’Inde dans le marché mondial de force du travail a occasionné un doublement du marché de la force de travail.

En même temps, un grand nombre d’activités de services sont industrialisées : le travail dans le commerce, dans les services (pensez au Mc DO, aux centres d’appels…) ressemblent de plus en plus au travail à la chaîne. La prolétarisation est un processus qui se développer sans cesse, au Nord comme au Sud.

1.4- L’internationalisation de la classe ouvrière passe aussi par les migrations. L’immigration liée au travail vient de l’existence d’un marché international de la force de travail, c’est le reflet de la domination mondiale du capital, et un formidable outil de division des travailleurs.

Mais la circulation internationale des travailleurs crée de nouveaux problèmes aux capitalistes : on ne peut pas éternellement surexploiter une partie des travailleurs qui vivent côte-à-côte avec les autres comme le prouve la grève des travailleurs privés de papiers en France (6000 salariés, un an de grève !). Cette circulation internationale crée une classe sociale dont la diversité nationale et culturelle préfigure d’une certaine façon le futur de l’humanité.

Rien de plus faux par ailleurs que le cliché travailleur = ouvrier blanc métallurgiste de 40 ans : le véritable visage de la classe ouvrière est extrêmement bigarré, femmes, hommes, noirs, blancs, hétéros-LGBT, avec ou sans emploi etc…

Le potentiel révolutionnaire de la classe révolutionnaire est là. La force qui permettra de soulever des montagnes existe. Les classes ouvrières chinoise et étasunienne sont des forces sociales potentiellement gigantesques, dont la mobilisation ferait trembler le monde… Quand on voit l’impact de luttes impliquant un nombre relativement réduit de travailleurs comme aux Antilles en 2009, on peut imaginer ce que donnerait un combat de classe massif dans les pays au cœur du capitalisme mondial.

2- Pourquoi la classe ouvrière joue un rôle central

Ce n’est pas uniquement le blocage qui fait la force de la classe ouvrière. C’est la capacité à entraîner l’ensemble des opprimés dans une bataille collective contre le capitalisme et l’aptitude à reconstruire une autre société.

– Nombre, rôle dans la production et capacité d’organisation

Le nombre, comme on vient de la voir.

Le rôle dans la production. Ce sont les travailleurs qui font fonctionner les usines, l’électricité, les transports, les télécommunications… ça donne un pouvoir de blocage de l’économie : la grève. Mais cela procure aussi un impact dans la lutte quand les travailleurs utilisent leur outil de travail pour lutter. Dans les grève d’EDF de ces dernières années, coupures d’électricité chez certains ministres et rétablissement de l’électricité dans les foyers où coupure faute de paiement des factures. Et c’est indispensable pour construire une autre société : fabriquer les livres, construire et faire fonctionner les crèches, les écoles etc…

La capacité à s’organiser. Les travailleurs sont obligés de s’associer pour régler les problèmes avec leur patron. Le cadre du travail oblige à un minimum de discipline, à apprendre à coopérer avec ses collègues. C’est ce qui donne une forme collective aux luttes des travailleurs : AG, grève etc. Ces formes collectives de lutte constituent un exemple et même un aimant pour les luttes des autres opprimés.

Ces caractéristiques font de la classe des travailleurs salariés la classe dont la mobilisation peut unifier les résistances contre le système capitaliste et ouvrir une brèche vers une société communiste, débarrassée de l’exploitation et des oppressions.

C’est en conjuguant ces 3 caractéristiques qu’on comprend le rôle de la CO. L’impact dans la lutte des classes n’est pas une simple question de rôle dans la production. Le pouvoir de blocage n’est pas l’alpha et l’oméga de la grève. Ce n’est que le point de départ.

Prenons 2 exemples extrêmes. Une grève d’un secteur stratégique, aussi vital soit-il, s’il est isolé, se fait écraser. Ex : les contrôleurs aériens dans l’Etat Espagnol fin 2010. Difficile de trouver un secteur qui malgré son faible nombre ait une capacité de nuisance aussi grande. Zapatero a réussi à les faire passer pour des privilégiés, à retourner toute l’opinion contre eux et à même à faire intervenir l’armée en les menaçant d’emprisonnement s’ils ne reprenaient pas le travail… Comme quoi, l’impact sur l’économie à lui seul ne permet pas de gagner. Pourquoi ? Parce que tout groupe de salariés en bagarre ne se bat pas que contre son propre patron, mais contre l’ensemble de la classe capitaliste et son Etat. Etendre la grève, gagner l’opinion publique sont donc des armes essentielles.

Autre exemple, à l’autre extrême. Quel est d’après vous le secteur qui a le moins de poids économique ? Les salariés de la publicité ? Les salariés des salons de la coiffure ? Raté ! Les JEUNES.

Si la seule chose qui comptait, c’était l’impact direct sur l’économie, les gouvernements du monde entier n’auraient pas aussi des luttes des jeunes. Pourquoi ? Parce qu’elles sont populaires, parce que les jeunes sont très dynamiques en un mot parce qu’elles ont tendance à s’étendre à d’autres secteurs.

En réalité, l’impact dans la lutte dépend d’un ensemble de facteurs : leur nombre et leur impact sur la production mais aussi leur capacité à étendre la mobilisation, à étendre la grève, en un mot à organiser l’affrontement. C’est cette extension de la grève qui met le plus en difficulté la classe dirigeante parce qu’elle porte en elle tous les dangers, non seulement les dégâts en termes de profits mais aussi dans la prise de confiance de la classe ouvrière dans sa propre force.

Les salariés de la coiffure ne sont certainement pas le secteur le mieux placé pour « bloquer la machine », vu leur rôle dans la production et qu’ils sont dispersés en de petites unités. Mais s’ils se mettaient en grève massive, s’organisaient en comité de grève et étendaient leur grève à tout le secteur du commerce d’un grand pays, posant la question de l’exploitation en des termes parlants pour tous les travailleurs, ça ferait du bruit… Evidemment, le nombre et l’impact dans la production comptent, ça aide de paralyser l’économie et/ou de faire une manif à 50 000 direct quand to sors de l’usine mais l’impact dépend tout autant de la politique qui est menée par les grévistes que de leur place dans l’appareil de production.

– La grève générale

C’est pourquoi la grève générale est au cœur d’une stratégie révolutionnaire, du moins dans les pays où les travailleurs salariés sont la majorité de la population. Elle permet le blocage de l’économie. Mais surtout elle libère les travailleurs de l’ «esclavage» qu’ils connaissent dans leur boîte. La grève libère l’énergie des travailleurs (du moins potentiellement). Son importance n’est pas uniquement une question de pertes économiques pour la boîte. Se mettre en grève, c’est d’abord échapper à l’esclavage, avoir le temps de se réunir, d’agir, de se battre, de se rencontrer… de retrouver son humanité, mutilée, confisquée par l’exploitation.

La révolution d’après Karl Marx, n’est pas seulement nécessaire pour abattre le système capitaliste : elle est aussi le processus par lequel la classe ouvrière en cherchant à transformer les circonstances, se transforme elle-même, devient capable de diriger la société. Dans un processus de grève générale, de révolution, les gens sont « méconnaissables quotidiennement », en se confrontant au monde autour d’eux, à de nouveaux problèmes, en rentrant en contacts avec de très nombreuses autres personnes qui elles aussi se battent…

Conclusion partie III

Notre objectif est d’unifier la classe ouvrière et de grouper autour d’elle toutes les couches opprimées dans un assaut contre l’Etat et contre la propriété privée. Le marxisme révolutionnaire est le programme politique qui correspond à cet objectif.

Nos idées ne sont pas suspendues en l’air. Elles s’appuient sur une classe sociale, sur une synthèse des meilleures expériences des luttes de la classe ouvrière et des groupes opprimés.

D’autres classes produisent d’autres idéologies, d’autres programmes… L’idée par exemple qu’il suffit de former des petites communautés isolées qui cherchent à vivre dès maintenant de manière collective pour faire un exemple et « changer les mentalités » correspond à une manière petite-bourgeoise (petit propriétaire) d’envisager les choses. C’est au final une manière de s’adapter au capitalisme. (On connaît par exemple en France un militant de la Fédération Anarchiste qui est allé ouvrir une coopérative de boulangerie en banlieue parisienne et qui a eu tant de succès qu’il a du embaucher quelqu’un et… devenir lui-même un vrai petit patron).

L’idée que chacun doit se battre contre tous les autres pour survivre, que chacun a la possibilité d’amasser un petit pactole et de constituer son propre empire, qu’il a la situation qu’il mérite correspond à une vision typiquement bourgeoise.

IV- Pourquoi le réformisme et les idées réactionnaires ont une prise sur la classe ouvrière

Mais la question qui se pose immédiatement pour nous, c’est : pourquoi la plupart des travailleurs, la plupart du temps, n’agissent pas selon leur intérêt ? Pourquoi des idées qui conviennent à la situation d’autres classes a-t-elle un poids réel chez les travailleurs ?

On a tendance à expliquer le poids des idées contre-révolutionnaires dans la classe ouvrière par : 1) la misère matérielle et morale. 2) l’idéologie dominante. 3) le poids de la bureaucratie ouvrière. C’est en partie vrai mais l’essentiel est ailleurs.

1- Nature épisodique des mobilisations ouvrières

La clé pour comprendre le réformisme et le conservatisme qui existe dans la classe ouvrière, c’est la nature épisodique de la lutte et de l’organisation ouvrières. C’est au cours de luttes de masse, auto-organisées et couronnées de succès que les travailleurs peuvent développer des idées radicales et révolutionnaires. Seulement, la classe ouvrière ne peut pas dans son ensemble  être en permanence active dans la lutte de classe. Elle est privée de la possession de ses moyens de production et ses membres sont obligés de vendre leur force de travail pour survivre. La plupart des travailleurs sont pour l’essentiel du temps absorbés par la lutte individuelle pour vivre. La classe ouvrière ne peut engager des luttes de masse que dans des situations exceptionnelles. La plupart du temps différents segments de la classe ouvrière entrent en activité à différents moments dans la lutte contre le K.

Seule une minorité reste active entre les pics de lutte (les militants).

En gros, la même personne peut pendant des années refuser les tracts qu’on lui distribue à l’entrée de sa fac ou de sa boîte… et 2 semaines plus tard taper sur les flics en manif ! Et 1 an plus tard, le poids du quotidien aura sûrement repris le dessus mais il restera quelque chose de cette expérience.

2- Activité/passivité dans le processus de production

Les travailleurs sont à la fois transformés en marchandise, dominés dans leur travail et en même temps l’élément actif, conscient du processus de production.

Les travailleurs subissent le despotisme de la hiérarchie, ne prennent en temps normal aucune des décisions importantes concernant leur travail, sont transformés en machines, en « auxiliaires de la machine ». Sous le capitalisme, paradoxalement, ce n’est pas l’humain qui se sert de la machine, mais l’être humain qui devient un instrument de la machine.

Et à la fois, rien ne peut se faire sans nous, sans notre savoir-faire, sans l’intervention consciente dans le processus de travail. Concrètement, si les travailleurs ne s’impliquent pas un minimum dans l’exécution de leurs tâches, la production est impossible. Contrairement aux outils de production et aux matières premières, il est impossible de complètement contrôler la force de travail qui par définition peut se rebeller parce qu’elle est dotée de conscience, par ce qu’elle joue un rôle actif dans le processus de production.

Je subis presque tout ce qui se passe au boulot : l’heure à laquelle je commence, à laquelle je finis… ce qu’il y a à faire, la vitesse avec laquelle le faire… Au boulot, on a l’impression que la vraie vie commence après le boulot, le week-end… Alors que c’est le travail, l’augmentation constante de la productivité du travail humain qui fait ce que nous sommes, qui fait les T-shirts, les MP3… Le travail, c’est à la fois ce qui définit le plus profondément, le plus concrètement l’humain… et à la fois ce qui nous est le plus profondément étranger !

Il y a donc des « germes » de passivité et d’activité dans l’existence quotidienne des travailleurs.

3- Concurrence et coopération

D’autre part, la CO est à la fois divisée par la concurrence et unie par la coopération dans le travail. Les travailleurs sont à la fois des producteurs collectifs avec un intérêt commun à prendre collectivement la contrôle de la production sociale. Mais aussi des vendeurs individuels de force de travail en concurrence les uns avec les autres pour les place de travail, pour la promotion, etc.

Je travaille côte à côte avec mon ou ma collègue, et je suis en concurrence avec lui ou elle, c’est à celui qui fera les meilleurs chiffres, qui décrochera la promotion : cette concurrence dans le travail me pousse à voir mon semblable comme un ennemi. Et en même temps, mon ou ma collègue, c’est la personne qui connaît les mêmes problèmes que moi au quotidien. Le cadre du travail nous apprend, nous oblige même à agir ensemble, à petite comme à grande échelle.

C’est ce qu’on appelle la socialisation objective du processus de production : avant le capitalisme, chacun produisait dans son petit coin, dans son petit village et ne connaissait que les 4 ou 5 kilomètres carrés autour. Avec le développement de la production capitaliste, les multinationales mettent en relation des dizaines de milliers de gens : le moindre bol de corn-flakes, le moindre lecteur MP3 est conçu dans un pays par un groupe de gens, fabriqué dans un autre pays, acheminé, puis vendu… un processus qui implique des centaines, des milliers de gens, dont la coopération est indispensable.

4- Une conscience contradictoire

Ce sont ces contradictions qui expliquent que les idées individualistes, réactionnaires ont une prise sur la classe ouvrière, car elles rentrent en écho avec certains aspects quotidiens de la vie des travailleurs. C’est ce qui explique le fait qu’il soit possible que les travailleurs soient séduits par des projets politiques qui les dressent les uns contre les autres, hommes contre femmes, nationaux contre étrangers etc.

Les travailleurs ont une conscience contradictoire. Le réformisme est souvent comme un compromis entre 2 tendances, forme de conscience qui mêle la conscience de la nécessité de l’intervention des travailleurs et confiance dans la délégation du pouvoir. Enraciné dans les conditions d’existence de la classe ouvrière, l’expérience quotidienne des travailleurs plutôt que par un complot de l’Etat et des buros.

Une conscience « inégale » : le « sens commun » des travailleurs est souvent « un ensemble contradictoire de vieilles idées transmises, d’autres apprises de l’expérience quotidienne, et d’autres encore propagées par les médias capitalistes, le système éducatif, la religion, etc. Ce n’est pas simplement l’idée populaire d’une nation endormie par la TV et les week-ends passés au centre commercial. Le « sens commun » est à la fois plus profond et plus contradictoire parce qu’il incorpore aussi des expériences qui vont contre la pente de l’idéologie capitaliste. ».  (cf « Le mythe de l’aristocratie ouvrière », Charlie Post, voir bibliographie) C’est ce qui explique que les travailleurs qui peuvent être d’accord avec les révolutionnaires dans la grève sont souvent les mêmes que ceux qui votent n’importe quoi, ont des attitudes sexistes etc.

« Ce n’est qu’au travers de l’expérience de l’activité de classe, collective, contre les employeurs, partant du lieu de travail, mais ne s’y limitant pas, que les salariés peuvent commencer à se penser comme une classe avec des intérêts collectifs communs opposés à ceux des Ki. Ceux qui font l’expérience au travail de leur force collective, de classe, sont beaucoup plus ouverts à des manières «classistes  » de penser, à des attitudes anti-racistes, anti-sexistes, anti-militaristes etc. ».

Conclusion : le rôle du facteur subjectif

C’est parce que la conscience des travailleurs est contradictoire qu’elle ne peut se modifier massivement qu’en des occasions précises : lors des grandes mobilisations, lors des crises révolutionnaires. Pour qu’en préparation des grands affrontements un maximum de travailleurs et de jeunes aient tiré des leçons et soient dans des dispositions combatives, pour que dans les moments décisifs le pendule bascule du bon côté, le rôle de « facteur subjectif » est essentiel.

Facteur subjectif : c’est-à-dire l’existence d’outils capables d’agir aussi bien pour accumuler lentement des forces que pour agir résolument dans les moments où tout bascule. Il est vital de construire des organisations politiques influentes en premier lieu dans la classe sociale qui peut renverser le système et construire le communisme, la classe ouvrière, et dans le milieu le plus ouvert aux idées révolutionnaires et à l’action, à savoir la jeunesse.

Bibliographie
Filmographie

– Le sel de la terre H. Biberman (1954) http://video.google.com/videoplay?docid=-7334797883480289161

Un film extraordinaire, plein de leçons politiques

– Harlan County USA Barbara Kopple (1976) http://www.youtube.com/watch?v=-Pa80stR7U0&feature=autoplay&list=FLYnq4RFZtlMM&index=23&playnext=3

Une grève réelle, ressemblant beaucoup à celle dépeinte dans “Le Sel de la Terre”

– The Take N. Klein et A. Lewis (2004) et LIP, l’imagination au pouvoir Christian Rouaud (2007). 2 exemples de luttes où les travailleurs se saisissent de leur outil de production

Annexe

Qui fait partie de la classe ouvrière ?

Industrie/salariat

La vision courante, reprise par le PC et certains courants révolutionnaires : réduire la classe ouvrière aux travailleurs de l’industrie, aux travailleurs en usine. Il y a un élément de vérité dans cette définition. L’industrie fournit la base indispensable au fonctionnement de toute la société. Sans production de richesses matérielles, rien ne tourne. Ce n’est pas la même chose quand les raffineries sont en grève et quand les journalistes sont en grève.

Cela veut-il dire que les autres salariés ne font pas vraiment partie de la classe ouvrière ? Le facteur qui apporte un paquet de courrier à un particulier ou à une entreprise et qui gagne 1100 euros par mois ne produit directement aucune richesse matérielle mais difficile de nier que c’est un(e) travailleur(euse).

Après tout, presque tout le monde « travaille », fournit un certain effort, à part les rentiers, les capitalistes financiers (Bettencourt gagne plusieurs SMIC par seconde sans rien faire). Mais il y a ceux dont l’activité est essentielle pour le profit et sa réalisation… et ceux dont l’activité sert à exploiter les autres.

« Production du profit et sa réalisation », qu’est-ce que ça veut dire ? Mettons que pour Noël vous vouliez acheter une télé écran plat à votre grand-mère. Pour que la télé écran plat soit vendue avec profit, il faut extraire les matières qui vont servir à le construire, les transformer et les assembler en usine, puis le transporter jusqu’à l’endroit où il pourra être acheté. Et pour qu’il soit acheté, il faut l’activité du vendeur qui indique au client les caractéristiques du produit et où le trouver dans le magasin, celle du manutentionnaire qui l’achemine jusqu’aux mains du client. Et on pourrait même inclure l’ingénieur ou l’équipe de chercheurs qui ont inventé puis amélioré la télé écran plat. Tous les salariés dont l’activité est indispensable à la formation et à la réalisation du profit font partie de la classe ouvrière.

Pour nous, toute la hiérarchie faite du chef d’entreprise, de hauts cadres, de chefs d’équipe, publicitaires dont l’activité sert à contrôler le travail  des autres sont dans l’autre camp.

Un test simple : si le chef d’entreprise ou le haut cadre n’est pas là dans son bureau un jour ou même une semaine, cela ne change rien au fonctionnement de toute la chaîne de production, transport et distribution. Alors que si le manutentionnaire qui doit apporter le frigo de la réserve au client est en grève, ou si les chauffeurs livreurs qui approvisionnent les magasins sont en grève, toute la vente et donc tout le processus tombe à l’eau, malgré toutes les études de marché et les campagnes de pub du monde.

Le rapport aux moyens de production

Ce qui définit peut-être le mieux la condition de travailleur, c’est le fait d’être un travailleur d’exécution, de faire un travail subordonné. Où on ne maîtrise pas le quoi, le pourquoi, le comment. C’est cette absence de maîtrise des moyens de production (de communication, de transport), du produit de notre travail, et même de notre propre travail qui ne nous appartient pas, qui définit l’appartenance à la classe sociale des travailleurs salariés. Les chômeurs par exemple sont des travailleurs privés d’emploi.

Les capitalistes possèdent les moyens de production : ils peuvent les acheter et les vendre, et mettre à la rue des milliers de gens.

Les capitalistes s’approprient pendant l’essentiel de notre temps notre capacité à agir et le produit de cette force de travail. Ce qui est déterminant c’est ce rapport aux moyens de production. Définition de Lénine : « On appelle classes, de vastes groupes d’hommes qui se distinguent par la place qu’ils occupent dans un système historiquement défini de production sociale, par leur rapport (la plupart du temps fixé et consacré par les lois) vis-à-vis des moyens de production, par leur rôle dans l’organisation sociale du travail, donc, par les modes d’obtention et l’importance de la part de richesses sociales dont ils disposent. Les classes sont des groupes d’hommes dont l’un peut s’approprier le travail de l’autre, à cause de la place différente qu’il occupe dans une structure déterminée, l’économie sociale. » (La Grande Initiative, 1919)

Le prolétariat est obligé de vendre sa force de travail. Il s’oppose à un autre groupe qui est caractérisé au contraire par le patrimoine, par la détention d’un capital formé par des moyens de production : la bourgeoisie. Qu’est-ce qui est fondamental ? La nature de la source de revenu. Soit on est dépendant de son travail (ce que l’on fait), ou plus précisément de la vente de sa force de travail : la classe ouvrière. Soit on tire son revenu de son patrimoine (ce que l’on a) et plus précisément de l’exploitation de la force de travail des autres : la bourgeoisie.

Il faudrait détailler, déterminer la place des différents groupes intermédiaires (techniciens, cadres, artisans…). Bornons-nous à remarquer que l’existence d’une classe sociale se joue aussi en dehors de l’entreprise, en dehors de rapport d’exploitation. A la maison, dans la famille, dans la culture, à l’école, etc.

Les conséquences politiques d’une telle conception de la classe ouvrière

Réduire la classe ouvrière aux travailleurs de l’industrie peut donner l’impression, quand on observe la réalité sous un prisme européo-centré, d’un effacement de la classe ouvrière. Cela peut conduire au pessimisme style Lutte Ouvrière, qui peut mener à s’allier à la gauche traditionnelle : puisque la classe ouvrière est trop faible, il faut bien s’appuyer sur autre chose, en l’occurrence la gauche institutionnelle. Ou à relativiser l’importance des luttes dans les entreprises (parce que le rapport de forces est « trop négatif ») et à sur-valoriser les luttes hors entreprises, du type « nouveaux mouvements sociaux » (logement, chômage, anti-racistes…). Cela peut conduire à une stratégie du type « autonomiste » : il suffit d’additionner les luttes pour gagner.

Pour nous, l’objectif stratégique est l’unification de la classe ouvrière dans toute sa diversité, et la convergence de toutes ses luttes, dans et en dehors des entreprises (luttes dans et hors entreprises ne s’opposent pas). Un coup d’œil à la réalité contemporaine de la classe ouvrière, plutôt que de conduire à relativiser son potentiel, devrait nous pousser au contraire à comprendre toute la force qu’elle recèle (…).

X. Guessou