François VERCAMMEN – Les étapes de la révolution russe de 1917 (2007)
En février 1917, en pleine guerre, le régime autocratique russe du Tsar est renversé par des manifestations de masse. Huit mois plus tard, en octobre, la classe ouvrière, s’appuyant sur une mobilisation populaire dans tout le pays, conquiert le pouvoir politique et commence la construction d’une nouvelle société, socialiste. Le XXe siècle bascule. Comme certains l’avaient prévu, et d’autres craint, la guerre mondiale de 1914 accouchait d’une révolution.
La crise de régime
La révolution russe de 1917 est un moment paroxystique d’une crise endémique qui secoue la société russe depuis la moitié du XIXe siècle. Grande puissance militaire en Europe (mais pesant aussi de tout son poids en Asie), c’est une société bloquée dans l’arriération alors que, plus à l’ouest, le mode de production capitaliste triomphe. Des sommets de l’état tsariste, des réformes ont bien été tentées : réforme agraire, démocratisation de l appareil administratif, modernisation de l’enseignement, lois sociales, reconnaissance du droit à l’organisation des travailleurs, industrialisation par haut, autonomie culturelle pour les nationalités de l Empire. etc. Mais chaque tentative de réforme n’est que partielle et timide, toujours suivie d’une contre-réforme d’autant plus brutale qu’il faut reprendre contrôle des forces sociales et politiques temporairement libérées.
« Trop tôt et trop tard »- : la crise éclate dans sa globalité, une première fois en 1905. Cette révolution échoue, mais ce n est que partie remise. En 1914, le déclenchement de la guerre porte un coup d’arrêt à une nouvelle vague de grèves révolutionnaires. Trois ans plus tard, l’Histoire prend sa revanche : le conflit mondial est devenu un puissant catalyseur de tous les maux, les frustrations et les aspirations accumulées au fil des années.
Crise économique : le régime ne parvient plus à nourrir sa population. Crise politico-institutionnelle : l’Etat despotique perd toute légitimité Crise agraire : la soif de terre de la paysannerie est renforcée par la détresse générale de la vie quotidienne. Crise des nationalités : elles étouffent toujours plus sous une russification forcée.
La révolution de février 1917
L’insupportable misère de l’hiver 1916-1917 fait éclater la révolution, en février. Les femmes-ouvrières et ménagères-mettent le feu aux poudres à l’occasion de leur « Journée internationale ». Du textile, le grève s’étend rapidement et spontanément à l’ensemble du prolétariat de Pétrograd, la capitale de l’époque. En quelques jours, la grève de masse se transforme en insurrection, avec le passage de la garnison à la révolution. Au cri « du pain », s’ajoutent vite ceux de « paix immédiate’ et « à bas le tsar ’. Dans la foulée de l’insurrection, les travailleurs font des prouesses d’auto-organisation : formation des soviets (conseils) dans les usines, les quartiers et sur le plan de la ville, ainsi que d’une garde rouge (milice révolutionnaire). Au front même, les soldats élisent leurs comités et … leurs officiers ! Plus tard, pendant l’été 1917, h paysannerie se met à son tour en marche, retirant toute base sociale du régime.
La dualité des pouvoirs
Entre fin février et fin octobre 1917, la Russie vit une situation révolutionnaire particulière : la dualité du pouvoir. Assez déterminée pour débusquer le régime tsariste en février, la classe ouvrière n’est pas immédiatement prête à conquérir tout le pouvoir. Mais elle couvre les usines et les villes d un réseau dense de conseils qui s élargit très vite à l’armée, et, finalement, à la campagne. Véritable contre-pouvoir, ces soviets de plus en plus nombreux et de mieux en mieux centralisés, risquent à tout moment de renverser la bourgeoisie.
Deux de ces structures soviétiques jouent un rôle à décisif : celles qui, élues sur une base territoriale, exercent d’emblée un pouvoir politique dans la société, et celles, les conseils d’usine, qui incarnent la puissante dynamique à l oeuvre dans la classe ouvrière.
Ces conseils, nés des besoins urgents des masses, reflètent aussi l état de leur conscience et leur préjugés politiques. Pour que la tâche de prise du pouvoir soit clairement posée, il faut qu’un parti révolutionnaire la mette en avant. en fasse un objectif prioritaire. L’organisation capable d’agir ainsi, c’est le Parti bolchevique. Mais ce dernier reste en minorité, chez les travailleurs et dans les soviets, jusqu’en septembre 1917. Ainsi, l’histoire de la dualité du pouvoir, c est aussi l’histoire de h lutte entre les différents partis politiques du mouvement ouvrier et populaire pour trancher le noeud gordien du processus révolutionnaire : pour ou contre la prise du pouvoir par les conseils.
L’évolution des rapports de force : février-juin
Dans un premier temps. les différents courants réformistes (mencheviks. socialistes-révolutionnaires. travaillistes) dominent les structures d’auto-organisation. Ils dirigent les soviets et, très vite (dès mai 1917), sont aussi partie prenante du gouvernement provisoire (bourgeois). Ils essaient d’endiguer la poussée populaire par une politique de collaboration de classes. L évolution de la situation au sein des conseils pendant la période de dualité du pouvoir est, dorénavant, étroitement liée au cheminement d’une lutte de classes qui s’exacerbe. Début avril 1917, la première Conférence des soviets -proclamée pan-russe, en réalité quasi exclusivement petersbourgeoise – réunit 480 délégués de la capitale. 138 des conseils locaux et 46 de l’armée. Elle accorde son soutien au gouvernement bourgeois-libéral du Prince Lvov (tout en exigeant d’exercer un contrôle sur celui-ci !). Elle appuie la poursuite de l effort militaire ; tout en appelant à l’extension du mouvement des conseils à tout le pays. Fin avril. le gouvernement tente de relancer sa politique de guerre. provoquant de grandes manifestations et un tenace mouvement de grève pour les revendications économiques immédiates. La pendule bascule à gauche. Au (premier) congres des comités d’usines de Pétrograd, les bolcheviks gagnent déjà la majorité grâce à leur soutien au mot d’ordre de « journée de 8 heures sans conditions » et de « contrôle ouvrier » (421 contre 335 voix). Mais, paradoxe, au sommet de l’Etat et au niveau des structures nationales des soviets ce virage à gauche se traduit d’abord, au détriment des libéraux, par le renforcement des positions réformistes (mencheviks, socialistes-révolutionnaires) et partant leur rentrée dans un gouvernement de coalition entre les classes, qu’ils dirigent désormais.
Début juin, le véritable premier congrès des députés ouvriers et soldats se réunit. Avec ses 1090 délégués élus (dont 822 dûment mandatés et ayant droit de vote), il représente quelques 20 millions de personnes. Elu au suffrage universel. il constitue le corps le plus représentatif et démocratique que l’état russe avait jamais connu. Sur la base d’un pluralisme politique intégral, il débat, pendant trois semaines (3-30 juin), de toutes les questions vitales de la population. Il regroupe 283 S-R (socialistes-révolutionnaires), 248 mencheviks, 105 bolcheviks, 73 sans parti, le reste appartenant à différents groupes socialistes minoritaires. Son Comité Exécutif, qui fait figure de véritable contre-gouvernement, comprend 104 mencheviks, 100 S-R, 35 bolcheviks, 18 socialistes d’autres tendances. 11 se regroupe peu après avec le Comité Exécutif du Congrès pan-russe des paysans, qui s’est tenu séparément, et où les S-R détiennent le monopole absolu. Le gouvernement de coalition, très populaire au début, se discrédite rapidement. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, mais pimentées d’une conscience de classe en éveil : les masses populaires, une fois de plus, interviennent directement dans l arène politique, avec leurs méthodes de lutte propres. Sentant la pression d’en bas, le Comité Exécutif des Conseils, sous direction réformiste, concède une manifestation, véritable opération de récupération politique. Le 18 juin, à Pétrograd, ce sont pourtant les slogans bolcheviques- en premier lieu « tout le pouvoir aux soviets ».
Révolution et contre-révolution : juillet-août
Les nouveaux rapports de force sont testés lors de Journées de juillets. L’élan a été pris avec la manifestation du 18 juin. Le prolétariat de la capitale interprète cette première victoire comme le début de l’offensive finale. Débordant y compris le Parti bolchevique, il tente de renverser le gouvernement. Pourtant, cette avant-garde de masse s’est méprise sur la situation. Elle s’est trop avancée. En conséquence, début juillet, la pendule revient, brusquement et très loin, à droite. La bourgeoisie veut en tirer parti pour étouffer l’incendie révolutionnaire. L’homme de la situation s’appelle Kérensky. (Kerenskv a fait entrer son nom dans le vocabulaire marxiste. Le kérenskysme désigne dorénavant l’ultime solution bourgeoise à la crise, avant l’affrontement qui ouvre la porte à la révolution prolétarienne. En étant incapable de défaire par ses méthodes).
Devenu premier ministre, Kerensky frappe durement le Parti bolchevique et les autres organisations révolutionnaires. Il essaie de rétablir la cohésion de l’armée. 11 restaure la peine de mort, dissout les régimes insurges et nomme le général Kornilov à la tête de l’état-major. Tout en s’appuyant sur la légalité et les institutions supérieures des conseils ouvriez, il essaie de briser leur dynamique subversive ! Le Comité Exécutif (réformiste) des Conseils collabore activement à cette politique, contribuant ainsi à vider les soviets de leur contenu révolutionnaire. Ces dernier se discréditent aux yeux de l’avant-garde ouvrière. Kerensky ouvre ainsi une offensive généralisée contre les conquêtes que les masses avaient imposées depuis février. De surcroît, il renvoie aux calendes grecques la réalisation des revendications populaires, éternellement reconnues et … toujours reportées. La dualité des pouvoirs s’efface, sans disparaître totalement pour autant. Le Parti bolchevique connaît de graves difficultés, mais maintient sa position majoritaire parmi la classe ouvrière (comme le montre les élections municipales qu’ils gagnent fin août). Certains pensent, en haut lieu, que l’heure de la contre-révolution radicale a sonné : le coup d Etat militaire. Kornilov écarte Kerensky du pouvoir et tente sa chance fin août 1917 (on pense involontairement à Alliende et Pinochet en septembre 1973 au Chili, ou Ernst-Noske et Kapp dans l’Allemagne de 1920). En trois jours, son armée qui attaque la capitale, est mise en déroute. Les soviets de Pétrograd ont pris la tête de la résistance. Ils redeviennent ainsi l’épicentre du contre-pouvoir ouvrier.
La révolution d’octobre 1917
Début septembre, la pendule bascule à gauche, aussi radicalement qu’à droite. début juillet. Au sein des conseils. le Parti bolchevique devient majoritaire, à commencer par Pétrograd et Moscou. Au sein du parti, Lénine, encore dans la clandestinité, en Finlande. met la prise du pouvoir et l’insurrection à l’ordre du jour. Et pose la question : quand ? comment ? D’avril à septembre, le Parti a appris à lutter pour la majorité au sein des conseils par la méthode de la democrarie ouvrière. Désormais, c est par l initiative révolutionnaire que les organes de cette démocratie deviendront le nouvel appareil d’Etat.
Face à ce tournant, la direction du Parti bolchevique traverse une grave crise interrogé. avant qu’une ligne claire ne s’impose. Mené par Zinoviev-Kamenev. un courant droitier majoritaire au départ au comité central hésite. reporte l’échéance et veut renoncer. Entre Lénine et Trotsky, tous deux partisans de la préparation immédiate de l’insurrection, se développe un débat parfois âpre sur la tactique précise à suivre.
La gauche du Parti l’emporte finalement au comité central du 10 octobre. Le congrès national des Conseils des ouvriers, des soldats et des paysans est convoqué pour la fin du mois. En même temps, le Comité militaire révolutionnaire, organe du Soviet de Pétrograd, avec à sa tête Trotsky, bonapartistes le pouvoir ouvrier, il valorise aux yeux des larges masses, la solution « extrême », marxiste-révolutionnaire : le renversement de l’ordre établi. répond à une provocation commandant du district militaire, Polkovaikov (qui veut démembrer la garnison de la ville, entièrement acquise à la révolution). Ainsi l’insurrection commence par une mesure d autodéfense. En quelques heures l appareil de répression bourgeois est démantelé à Pétrograd. Le pouvoir politique est à portée de main. C’est au Congrès national des Conseils de prendre la décision définitive. Sa composition politique est nettement différente de celle du mois de juin 1917. Sur 650 délégués, le bloc réformiste (la droite des mencheviks et les S-R) en contrôle moins de 100. Les bolcheviks, de leur côté, disposent d’une majorité absolue avec environ 390 délégués. Ils sont rejoints par la gauche des mencheviks et la gauche des S-R. Les réformistes, minoritaires, quittent le Congres, basculant du coté de la contre-révolution. Un nouveau Comité Exécutif des conseils – véritable centre législatif du nouveau pouvoir soviétique -est élu sur une base pluraliste : 67 bolcheviks, 29 S-R de gauche et 20 sièges attribués à différents groupes révolutionnaires. Ce Comité Exécutif élit à son tour le premier gouvernement du nouvel Etat ouvrier. « Nous commençons la construction d’un nouvel ordre socialiste -, proclame Lénine. Début joyeux et indolore de la révolution ! Mais elle aura à passer par les terribles épreuves de la guerre civile, dans les années 1918-1920, avant de se consolider …
Les Partis et la révolution
L’auto-organisation démocratique des masses populaires est un aspect fondamental et exemplaire de la révolution russe. Mais elle ne régie pas par elle-même la question de la politique qui sera effectivement suivie par ce contre- pouvoir. L’auto-organisation englobe une pluralité de partis avec leurs programmes, leurs tactiques, leurs activités, etc. Dans la révolution russe, c’est la dialectique entre les partis et les conseils territoriaux qui a été déterminante (le mouvement syndical étant pour sa part très faiblement développé et le mouvement des comités d usine restant subordonné, bien qu’important). Les Partis politiques se sont constitués très tardivement d selon des modalités bien particulières (ce qu’explique la formation sociale russe de l époque : un Etat despotique, paternaliste et totalitaire tout à la fois, écrasant, étouffant ou absorbant la société civile). Les KD : En 1917, à côté des différents groupes monarchistes, devenus marginaux, les KD (constitutionnels-démocrates), constituent le principal parti des classes dominantes. C’est lui qui forme le premier gouvernement provisoire, issu de la révolution de février 1917. Milioukov, professeur, historien et idéologue, fut, avec Goutchev, leur principal dirigeant. Les Travaillistes : Kerensky dirige, en 1917, les Socialistes Populaires, ou Troudoviks (Travaillistes). Devenu un parti numériquement très faible, il avait connu son heure de gloire dans les pseudo-parlements des années 1906-1914. Il y incarnait la masse paysanne, éveillée à la vie politique après 1905. Ce Parti rassemblait des personnalités politiques, s’appuyant sur les aspirations et les inquiétudes de la petite-bourgeoisie conservatrice, en province et dans les campagnes. Kerensky lui-même devint un homme de confiance de la grande bourgeoisie. Les partis de la IIe Internationale : Trois partis, qui furent tous trois membres de la Ile Internationale, se disputent l adhésion des masses ouvrières et paysannes : les mencheviks, les bolcheviks et les socialistes-révolutionnaires (le PSR).
Tous se revendiquent du socialisme, voire du marxisme, et de la révolution. Sauf en ce qui concerne des minorités marginales, tous avaient adapté en 1914 une attitude hostile à la guerre impérialiste. Le processus de clarification politique était donc difficile. Il devait s’opérer au feu de l’expérience, pendant les huit mois de la dualité de pouvoir. Les événements de l’été 1917 sont ici déterminants : scissions gauche-droite chez les S-R et les mencheviks ; unification révolutionnaire au sein du Parti bolchevik. Ce qui n’excluait pas le maintien d’une certaine confusion politique et organisationnelle à la base et en province, au sein de chacun de ces partis, mais encore entre eux ! Le PSR : officiellement reconstitué en 1902, il s’appuie sur une longue tradition révolutionnaire qui remonte à la moitié du XlXe siècle. Il est un redoutable adversaire politique pour le POSDR (Perd ouvrier social-démocrate de Russie). Absolument hégémonique dans le mouvement paysan. il a aussi une influence importante dans les grandes entreprises des villes. Faiblement organisé et politiquement confus, il assure entre février et août 1917 la base sociale indispensable au gouvernement de collaboration des classes, dont le menchevisme constituait la tête politique.
Durant l été 1917, le PSR scissions entre une aile gauche révolutionnaire (Spiridonova, Kamkov), proche des positions bolcheviques, et une droite réformiste (Tchernov, Gotz), collaborant étroitement avec les mencheviks. Fin 1917, le PSR de gauche dépasse largement ta droite en influence.
Les mencheviks : Ils forment. depuis 1903, l’aile révolutionnaire de droite du POSDR. Ce n’est que face aux échéances de 1917 que leur majorité (Dam Lieber, Tseretelli) s engage irrémédiablement dans la collaboration de classe. Ce sera au prix d’une scission de gauche, dirigée par Martov et Martynov. Ces derniers, véritables centristes, s’opposent à la guerre, appuient les conseils et sont favorables à la révolution socialiste en 1917. Mais ils hésitent et vacillent devant le problème-clé de la révolution : la prise et l’exercice du pouvoir.
Les bolcheviks : Fraction au sein du POSDR jusqu’en 1912, les bolcheviks deviennent le parti révolutionnaire clef en 1913-1914, gagnant à eux les cadres ouvriers dans les villes et dirigeant une grève générale à Pétrograd. La consolidation. l’implantation et l’élargissement du parti se fait au prix d’âpres luttes et débats internes : En 1914, départ de la droite chauvine ; en mars-avril 1917, montée d’une nouvelle aile opportuniste (Staline-Kamenev-Zinoviev), majoritaire, prête à soutenir le gouvernement libéral, à accepter la poursuite de la guerre, qui s’oppose aux thèses radicales de Lénine ; en juillet, lutte contre un courant gauchiste tenté par la prise du pouvoir immédiate ; combat contre le sectarisme d une partie des vieux cadres, réticents devant la fusion avec d’autres courants (dont celui de Trotsky) ; en août, débat sur l’initiative révolutionnaire et le remplacement des conseils territoriaux par les comités d usine comme base de la démocratie ouvrière ; finalement, en octobre, le débat sur l’insurrection contre la droite du Parti, débat qui rebondira à plusieurs reprises les années suivantes. Mais, en octobre, c est un parti de masses qui engage la lutte pour le pouvoir- un parti reconnu et soutenu par les masses populaires. Les Mezhralontsy : Trotsky, sur la base de ses propres positions révolutionnaires, avait été membre de -ou lié à-la fraction menchevik. Il rompt avec eux en août 1914. En juillet 1917, il rejoint, avec les Mezhraiontsy (des comités interdistricts ou interrégionaux), le Parti bolchevique.Actif et influent à Pétrograd, ce groupe marxiste-révolutionnaire était très minoritaire : de 60 à 80 membres en 191S, 150 à la veille de février 1917, 300 en avril (les bolcheviks étaient alors 16.000 à Pétrograd), 4000 en juillet, alors que le Parti bolchevik comptait 180.000 membres dans tout le pays.
Les courants minoritaires : Le phénomène des comités interrégions permet de souligner l’existence de plusieurs courants et groupes révolutionnaires, marginaux dans l’ensemble du pays, mais parfois importants dans une ville, une entreprise, un secteur. Parmi eux, les anarchistes, les syndicalistes révolutionnaires, les maximalistes (scission ultragauche des PSR), les mencheviks internationalistes (Martov, Martynov), les social-démocrates internationalistes unifiés (petit mais influent grâce au journal La Vie Nouvelle de Maxime Gorki).
La contre-révolution internationale
La victoire d’octobre 1917 a un puissant ressort international. L’appel à mettre immédiatement fin à b boucherie de la guerre et à punir ses responsables -les classes dirigeantes d’Europe-soulève l’espoir dans les tranchées et la combativité dans les entreprises. Les gouvernements signent l’armistice en novembre 1918. Mais plusieurs pays sont déjà secoués par b crise révolutionnaire, l’Allemagne impériale en tout premier. Avec la Russie tsariste, elle est le principal rempart contre la subversion sur le continent européen depuis 1789 (révolution française). Le pays est déstabilisé par une succession rapide de luttes. Entre 1918 et 1923, le prolétariat allemand cherche à parler russe. Mais il lui manque un parti révolutionnaire à la hauteur de sa combativité et de sa tradition d’organisation. La vague révolutionnaire est écrasée une première fois en janvier 1919. Puissante, elle n’en remonte pas moins en 1920, puis 1921 et 1923. La jonction possible entre l’URSS-vaste pays avec des richesses agricoles, mais arriérée et précaire-et une Allemagne socialiste, puissance industrielle située au coeur de l’Europe, avec un prolétariat nombreux, constitue pour la réaction européenne une menace mortelle.
Face à ce bloc socialistes virtuel, une large coalition impérialiste se met en place. Elle regroupe l’armée allemande (défaite, mais encore redoutable), l’armes russe (en déroute, mais dont les généraux blancs, c’est-à-dire contre-révolutionnaires, engagent la guerre civile), et les armées française, anglaise et américaine les vainqueurs de la guerre. Elle va envahir l’URSS. Sur le plan politique, l’apport de la social-démocratie, passée du côté de l’ordre bourgeois, a été décisif. Au soin du Monde du Travail. elle freine la solidarité, discrédite l’URSS et casse le développement du mouvement révolutionnaire en Europe occidentale. Un seul but : écraser la révolution socialiste, rétablir l’ordre bourgeois L’URSS est dévastée pur la guerre civile. En Allemagne, Autriche, Hongrie, Italie. le prolétariat est défait. Parfois à l’aide de groupes armés privés d’un genre nouveau : les corps francs en Allemagne, les faisceaux en Italie. En URSS, six années de guerre ininterrompues, entre 1914 et 1920, vont provoquer un désastre économique, social, humain. L’Etat ouvrier, solitaire, dent tête, mais la construction du socialisme démarre dans des conditions effroyablement difficiles.
La fin d’un cycle
1917-1923 : le premier cycle de la révolution internationale se termine. Un autre cycle commence, celui de la stabilisation du capitalisme au niveau mondial. En URSS, la situation est favorable à l’émergence d’une bureaucratie de privilégiés, avec Staline, alors que Lénine, mourant, livre contre elle son dernier, entre 1921- 23. En Europe occidentale, la social-démocratie (ce « cadavre puant », comme disait Rosa Luxembourg) se redresse. Elle (re)conquiert la direction du mouvement ouvrier dans la plupart des pays. Les syndicats de masse se consolident dans les années 1920, grâce à des reformes imposées à une bourgeoisie qui a pris peur de la révolution et des luttes de masse. Mais la victoire concomitante de la social-démocratie, en Europe occidentale, et du stalinisme en URSS, ouvre la voie au fascisme (Italie, Allemagne, Espagne). L’échec des révolutions socialistes de 19181923 va se payer au prix fort : la seconde guerre mondiale. La portée de cette succession de défaites du prolétariat ne saurait être sous-estimée. Elle permet notamment de mieux comprendre l’affaiblissement durable du mouvement révolutionnaire dans les centres impérialistes et l emprise du réformisme sur le mouvement ouvrier de ces pays.