Il y a dix ans, le mouvement contre le CPE faisait reculer le gouvernement
Les mouvements de la jeunesse grecque des années passées, la révolte des jeunes des banlieues en 2005 en France ou encore la mobilisation contre le Contrat Première embauche (CPE) rendent incontestable que la jeunesse joue un rôle particulier dans la lutte des classes à l’échelle internationale. Alors même qu’elle ne possède pas vraiment les moyens de bloquer toute la machine économique, la jeunesse inquiète les classes dominantes. C’est que celles-ci ont bien compris le rôle que peut jouer la jeunesse dans les mobilisations de masses, lorsque celle-ci se met à l’avant-garde de la contestation sociale et qu’elle parvient à nouer des liens stratégiques avec des secteurs du mouvement ouvrier. Il y a dix ans le gouvernement devait reculer sur le CPE devant l’ampleur de la mobilisation. Aujourd’hui, et alors que le gouvernement voudrait nous faire passer la pilule de son ultime attaque contre nos conditions de travail avec son projet de loi sur le Travail, la jeunesse peut jouer ce même rôle dans la mobilisation qui se profile, et dont on a tout intérêt à sortir victorieux.
Les débuts
Le 16 janvier 2006, sous couvert de lutte contre le chômage chez les jeunes, Dominique de Villepin annonce la création du contrat première embauche (CPE) dans le cadre du projet de loi sur l’Egalité des chances. Destiné aux salariés de moins de 26 ans, le CPE est assorti d’une « période de consolidation » de deux années au cours de laquelle l’employeur peut licencier son employé sans justification. De quoi faire danser de joie les patrons ! Mais le CPE suscite rapidement l’opposition croissante des étudiants et des lycéens ainsi que des syndicats de salariés et des partis politiques de gauche, qui voient clair sur la nature de cette attaque dont le précédent était le CIP de Balladur en 94, qui avait déjà été l’occasion pour les jeunes de nouer des liens avec les travailleurs dans la lutte.
Le mouvement s’organise
Très vite, des Assemblées Générales sont organisées dans toutes les Universités de France, où jusqu’à parfois plusieurs milliers d’étudiants sont réunis pour discuter « des perspectives de mobilisation ». Les premières manifestations rassemblement déjà plusieurs centaines de milliers de personnes. Pour accélérer sa mise en place et pensant couper l’herbe sous le pied à toute contestation, le gouvernement fait le choix autoritaire du 49.3 pour faire passer le CPE, montrant ainsi sa détermination. Le 1er mars, une vingtaine d’universités sont en grève. « Blocages filtrants » ou fermeture totale des universités sont votés par les Assemblées Générales des étudiants en grève. L’AG est souveraine, c’est là que les décisions se prennent et où les discussions ont lieu, chacun pouvant y prendre la parole pour donner son avis. Ces cadres d’auto organisation pour discuter des suites du mouvement sont l’occasion pour beaucoup d’étudiants de prendre part activement à la lutte, en participant aux discussions et aux votes sur les modalités d’actions, et favorisent la massification du mouvement. Chaque Assemblée Générale élit ensuite des délégués, sur la base d’un mandat, qui se retrouvent en coordination étudiante nationale. Cet organe permet de se coordonner sur les différentes facs à l’échelle nationale pour penser un rythme commun.
Les travailleurs rejoignent le mouvement !
Ces coordinations étudiantes, auxquelles participaient des organisations syndicales étudiantes comme l’UNEF, mais aussi Sud étudiant, ou la FSE, ont réussi à mobiliser largement la jeunesse. Leur détermination à rythmer la mobilisation naissante par un agenda de manifestations de rue soutenu et des appels à la grève a joué un rôle moteur pour mettre une pression aux directions syndicales qui ont été contraintes de rejoindre progressivement le mouvement. L’évacuation violente de la Sorbonne occupée par des étudiants mobilisés le 10 mars par les forces de polices a fini de contraindre les syndicats de travailleurs à entrer dans la mobilisation. Ce pont jeté entre la jeunesse et le monde du travail a permis de massifier le mouvement, avec des manifestations où se croisent jusqu’à 2 millions de personnes. Mais surtout, la mobilisation prend un tournant différent pour les classes dominantes à partir du moment où la jeunesse a entraîné des secteurs entiers de travailleurs dans la lutte. Des préavis de grève sont déposés par les syndicats pour la journée du 4 avril appelant à des manifestations interprofessionnelles. Trente-deux villes de France connaissent des débrayages dans les transports publics, 40 % des écoles du primaire et 25 % du secondaire sont perturbées. Durant cette journée, les manifestations rassemblent entre 1 et 3 millions de personnes. C’est bien l’alliance des étudiants et des travailleurs qui a conduit, le 10 avril, Dominique de Villepin à reculer. Celui-ci annonce que « les conditions ne sont pas réunies » pour que le CPE s’applique, le mouvement est victorieux. L’ensemble de la loi pour l’égalité des chances n’était pas abolie, mais il s’agissait déjà d’une première victoire, et qui témoigne du fait que pour gagner, il faut tous frapper ensemble sur le même clou, étudiants, lycéens, travailleurs.
Si aujourd’hui le projet de loi sur le Travail n’a rien à envier au CPE en termes de casse de nos conditions de travail et de répercussions pour notre camp, nous avons tout à gagner à nous inspirer du mouvement anti-CPE en ce qui concerne sa détermination et sa combattivité. Celles et ceux qui se sentent concernés par la lutte qui commence ont donc désormais la tâche de donner corps à ce premier plan de bataille.