Intervention Meeting féministe : « Droit à l’avortement, la lutte pour les centres IVG en France »
En septembre dernier, le personnel de l’Hôpital Tenon dans le nord de Paris a entamé une grève de huit semaines pour défendre ses conditions de travail et demander l’embauche de personnel soignant. La grève à l’hôpital n’est pas une chose facile : parce qu’il faut continuer à soigner les malades, l’administration oblige les salariés à assurer un service minimum. En fait, ce que disent les grévistes, c’est que dans leurs services, ils étaient plus nombreux en temps de grève, vu qu’en temps normal ils sont en dessous du seuil légal. C’est cela la situation de l’hôpital public aujourd’hui en France. Avec comme excuse la dette publique et la “réorganisation” des hôpitaux, le gouvernement ferme encore et encore des services et licencie du personnel.
Pourtant, grâce à la détermination des grévistes, cette grève a été victorieuse, avec un plan d’embauche de 59 infirmières et 33 aides soignantes.
C’est suite à la grève qu’une autre victoire a été remportée : la réouverture du centre d’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) qui avait fermé l’année précédente, le troisième à fermer en région parisienne au cours de l’année 2009. Cela faisait 18 mois qu’un collectif se mobilisait pour sa réouverture. Partout en France, la politique de coupes budgétaires conduit à fermer des services, et en particulier à fermer des centaines de maternités et des centres IVG, ce qui limite de fait le droit à l’avortement.
Le collectif CIVG Tenon s’est formé à l’appel de l’Association Droit des Femmes de Paris 20e. Autour d’une revendication concrète, la réouverture du centre IVG, il a été un véritable front unitaire regroupant les syndicats majoritaires avec des infirmières de l’hôpital ainsi que les partis politiques et des militantes du mouvement associatif et féministe. Notre intervention dans le collectif en tant que NPA a été aussi de proposer et de défendre des modes d’actions aui renversent réellement le rapport de force : , diffs de tracts dans le quartier, pétition à la sortie des métros et dans les marchés (plus de 8000 signatures papier), mais aussi occupations dans la maternité de l’hôpital, rassemblements devant la mairie, interpellation permanente de la direction de l’hôpital…
Une remarque en passant : ça n’a rien d’évident, aujourd’hui, à Paris, de distribuer des tracts pour le droit à l’avortement.
C’est que non seulement le droit à l’avortement n’est pas acquis, mais même il est au coeur de l’offensive réactionnaire en ces temps de crise. On l’a tous et toutes compris au cours de cette journée, les premières touchées par la crise sont les femmes. Nous sommes celles qui sommes le plus au chômage, qui acceptons les temps partiels et qui avons des salaires plus bas. Et bien sûr, pour justifier ce “retour au foyer”, nous sommes aussi renvoyées à notre rôel de “mères”. Un exemple concret. Vous savez sans doute qu’on peut avorter par voie médicamenteuse ou par voie chirurgicale. Ce que vous ne savez peut être pas, c’est que pour économiser du temps et de l’argent, on pratique de plus en plus l’IVG médicamenteuse au-delà du délai médical de 5 semaines de grossesse alors que cela peut être dangereux pour la santé des femmes et très douloureux. C’est ça, concrètement, le retour à l’ordre moral. On voit bien qu’on cherche de plus en plus à culpabiliser les femmes qui avortent. Avorter ce n’est pas un échec, pas une erreur, pas une faute : le droit d’avorter c’est l’une des plus grandes conquêtes des femmes. Cela a mis fin à la fatalité des grossesses non désirées, aux décès et mutilations des femmes qui avortaient dans la clandestinité. Cela reconnaît aux femmes une autre place dans la société, que celle de faire des enfants. Alors il faut se battre contre la culpabilisation des femmes, et faire qu’elles puissent avorter dans de bonnes conditions.
Ce que nous voulons, ce que le collectif a toujours défendu, c’est un centre IVG où les femmes aient le choix de la méthode, et disposent de leurs corps comme elles l’entendent.
18 mois de lutte. Où en permanence le collectif a cherché à rassembler, à converger avec d’autres luttes, et en particulier celles qui défendent le service public hospitalier. Le collectif a compris qu’aujourd’hui la lutte pour le service public est partie intégrante de la lutte féministe : contre les fermetures de maternités, de centres IVG, de crèches, qui sont déclenchées par la crise économique. Mais plus encore : la lutte féministe trouve des alliés dans ces luttes chez le personnel hospitalier et dans la population. Manif du 5 juin 2010 avec l’ensemble des collectifs de l’est parisien, manif du 6 novembre pour le droit à la contraception et contre la casse de l’hôpital public, manifs des retraites, manif du 2 avril pour la défense de l’hôpital…Et encore aujourd’hui, soutien à une autre maternité que le gouvernement veut vendre à des fonds de pensions australiens. C’est cette stratégie de convergence qui a été payante.
Alors certains diront qu’il n’y a rien à fêter, que la situation reste très problématique, avec un délai de trois semaines pour avorter en France. Nous sommes complètement conscientes que notre victoire ne résout pas le problème au niveau national. Et évidemment, nous restons vigilantes pour que les conditions d’accueil ne se dégradent pas : il y a quelques semaines, nous avons appris que le centre IVG fermait pour le mois d’août !
Mais en attendant, chaque succès local de la mobilisation signifie qu’une partie de ce que le gouvernement essaie de liquider aura pu être préservé et qu’à toutes les échelles il est possible de gagner des choses concrètes si on mène la bataille. Et comme tels, ces succès sont dignes d’êtres salués, parce qu’ils aident à donner de l’espoir à celles et ceux qui, partout, se battent contre les conséquences directes des plans d’austérité.
Ce que nous dit l’histoire du collectif Tenon, c’est que la lutte des femmes est liée à la lutte des classes. Que bien sûr la lutte des femmes doit s’organiser de façon autonome, mais qu’il n’y a pas de séparation étanche entre la lutte des travailleurs et la lutte féministe. C’est pour ça que j’ai commencé par parler de la grève. Au moment où la grève de Tenon battait son plein, nous étions non seulement solidaires, mais présentes sur les piquets de grève, présentes avec les syndicalistes de l’hôpital pour interpeller bruyamment la mairie lors de réunions publiques. Le fait que notre collectif soit présent, en montrant l’implication des usagers de l’hôpital, a alimenté le rapport de force et c’est l’une des raisons pour laquelle notre lutte a été victorieuse. Fin de la grève mi décembre, annonce de la réouverture du centre IVG en janvier !
Ce que ça veut dire, c’est aue l’un des enjeux de la période, c’est d’arriver à faire converger toutes les luttes, car c’est cela qui permet non seulement d’avoir des victoires concrètes mais aussi en général, d’inverser le rapport de forces en faveur de notre camp social.
Ce que ça veut dire aussi, c’est que si la lutte des classes reprend de la force ici et ailleurs, si on assiste à des processus révolutionnaires partout dans le monde, la lutte féministe a elle aussi de belles batailles devant elle.