La révolution cubaine et quelques problèmes d’aujourd’hui à Cuba
Nous publions ci-dessous le plan d’un exposé sur la révolution cubaine présenté le 31 octobre 2009 à une école jeune du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA, France).
La révolution cubaine occupe une place particulière dans l’histoire des révolutions.
C’est la première révolution moderne victorieuse dans l’hémisphère occidental (hors révolution russe).
C’est une révolution à 110 km des Etats-Unis. « Si loin de Dieu.. et si près des USA ». Une révolution qui a tenu tête aux USA : près d’une dizaine de présidents se sont succédé à Washington et ont tous, chacun à sa manière, essayé de renverser le régime révolutionnaire.
Du coup, si l’Etat cubain est controversé en Europe, il reste en Amérique latine très populaire.
Pour des révolutionnaires (nous y reviendrons), c’est une révolution internationaliste. On associe toujours la révolution cubaine et la figure du Che.
UNE REVOLUTION EXCEPTIONNELLE
La révolution cubaine a été présentée comme une révolution exceptionnelle – toutes les révolutions sont exceptionnelles –, mais quelles sont les caractéristiques de cette révolution ?
Petit pays : une île de 118.000 km2 (même si c’est la plus grande des îles des Antilles)
11 Millions d’habitans
Dernière colonie espagnole avec les Philippines et Porto Rico – voir la guerre d’indépendance en 1898 et les révoltes nationales depuis 1868.
L’apparition de leaders pour l’indépendance nationale, contre l’esclavage : Antonio Maceo, José Marti. Je ne sais si c’est une spécificité cubaine, mais le nationalisme révolutionnaire cubain combine question nationale et question sociale – lutte contre l’esclavagisme et indépendance – et combine nationalisme et internationalisme – « Patria chica y Patria grande » : la Humanidad – chez José Marti.
Mais la domination hispanique est relayée par la domination américaine qui est intervenue pour se débarrasser des Espagnols : dés 1901 l’amendement Platt. L’intervention US est constitutionalisée.
Cuba sera subordonnée économiquement notamment dans la production des matières premières : sucre, coton, agrumes, tabac, nickel. C’est une société néocoloniale basée sur les grandes propriétés foncières – les latifundio – avec un investissement très important par tête des compagnies américaines : ¾ de l’industrie sucrière sont contrôlés par les USA. C’est l’investissement le plus important, en Amérique latine, juste après le Venezuela, avec son pétrole.
STRUCTURES DES FORCES SOCIALES ET POLITIQUES DE LA REVOLUTION CUBAINES
Du coup, la structure de la société cubaine de la première moitié du XXe siècle sera tout à fait particulière :
Une bourgeoisie compradore complètement liée aux intérêts américains – voir les films sur Cuba-United fruit Company, les casinos et la prostitution. Il n’y a pas de bourgeoisie nationale indépendante liée à des activités productrices propres. Tout est lié aux USA. Cela a conduit les USA à ne pas se soucier de construction d’un Etat bourgeois avec ses propres institutions démocratiques stables.. La situation cubaine a été celle d’une succession de dictature de Machado, de Batista, les partis étaient plutôt des groupes ou bandes armées. L’Etat cubain était pendant toutes ces années un « groupe d’hommes armés »…
Mais en face, il y a la conjonction d’un mouvement de libération nationale depuis la fin du XIXe siècle, un prolétariat agricole dans les grands latifundio, un prolétariat du sucre – très concentré – et des artisans et ouvriers du tabac, une petite bourgeoisie des villes. Un mouvement ouvrier cultivé. Les lectures de classiques dans l’organisation de la production de cigares…. Avant même la révolution…
Cela va provoquer des luttes démocratiques contre la dictature, la constitution d’un mouvement étudiant où Castro va faire ses premiers mouvements… Cela va aussi produire un mouvement syndical ouvrier, anarcho-syndicaliste, qui va créer une base pour les syndicats et le Parti communiste cubain. Dés la fin des années 20, le PCC aura un rôle important avec des positions de gauche – préparation dune révolution socialiste à Cuba et pas d’une alliance avec la bourgeoisie nationale. Il y a aura une succession de grèves générales, de situation prérévolutionnaires et révolutionnaires, en 1917, 1930,1933, 1935 contre la dictature militaire de Machado.
Il y a même en 1933 une alliance du directoire universitaire, du PCC, des syndicats et du mouvement des sergents contre la hiérarchie militaire pour déboucher sur un « front populaire » dirigé par Grau martin et Antonio Guiteras… sur un programme de rénovation nationale, réforme agraire limités, augmentation de salaires, droits démocratiques. Apparait le colonel Batista… Le front populaire est renversé par une nouvelle dictature. Toutes ces dictatures soutiendront les alliés pendant la guerre, pour se protéger aussi, ce qui limitera les marges des man ?uvres des oppositions bourgeoises démocratiques…
C’est dans cette opposition bourgeoise démocratique que Fidel Castro va faire ses classes contre les régimes militaires et dictatoriaux : en 1947 il adhère au Parti orthodoxe de Eddy Chivas .. qui se suicidera à la radio ; en 1952, coup d’Etat et retour au pouvoir de Batista. Fidel, avocat porte plainte conte le coup d’Etat de Batista .. Au nom de la loi…
La loin étant bafouée par les dictateurs… Fidel va se réorienter vers d’autres moyens plus directs, des moyens au-delà de la loi …
En 1953, il y a une première grande rupture : Fidel rédige un manifeste appelant au renversement de Batista et à l’armement du peuple… Le 26 Juillet 1953, il organise avec 120 jeunes l’attaque de la caserne de Moncada. Fidel est arrêté. Plusieurs morts. Il passe en procès et il fait une déclaration qui marquera l’histoire en déclarant « l’histoire m’absoudra ou m’acquittera ». Il est condamné à 15 ans de prison. Il sortira deux ans plus tard amnistié.
LA DYNAMIQUE DE LA REVOLUTION CUBAINE
Il se retrouve sur le continent – au Mexique, où il rencontre le Che – et regroupe une nouvelle force pour organiser un débarquement ave le « Granma ». 82 Hommes et femmes embarquent sur le Granma et débarque à Cuba. Sur le plan militaire, il y a beaucoup de pertes.. il reste une dizaine de guérilleros.. mais ils vont vite devenir une référence.. Il y a un accord avec le « directoire révolutionnaire » – une organisation étudiante.
L’idée, c’est celle de l’exemple révolutionnaire d’un petit groupe armé qui va étendre son influence dans le pays. D’abord en multipliant les coups armés. Ils perdront puis commenceront à infliger des défaits aux troupes de Batista, de prendre des territoires et de commencer à donner la terre aux paysans et à la défendre, à mettre sur pied un mini appareil administratif, une assistance sanitaire, à faire connaitre l’existence de la colonne armée au peuple cubain et au monde entier. En août 57, il y a une grève générale qui donne un référent populaire à la rébellion. Un dirigeant urbain, Frank Pais, solidaire de la guérilla, est assassiné.
Mais dans ce processus, il y a une combinaison, tout à fait original, de colonnes armées, de réformes agraires, de conquêtes de territoires libérés, de mouvements urbains, des alliances démocratiques – le pacte de Caracas, en août 58 –, avec une série de forces bourgeoises. Mais la spécificité cubaine, c’est la colonne armée qui va accumuler des forces jusqu’à la victoire.
Ils bénéficieront d’une situation où la bourgeoisie américaine et internationale voulait aussi se débarrasser de Batista qui devenait de plus en plus corrompu et décomposé… Et il est apparu à postériori un problème de visibilité sur « Qui était Fidel ? ».
En 1958, Fidel est interviewé par Gilles Dubois et déclare : « qu’il n’est pas communiste, qu’il ne nationalisera pas et qu’il appellera à des élections… »
Fidel est effectivement à ce stade sur ces positions politiques… Et l’administration nord-américaine, à 110 Km de ses côtes, ne s’imagine pas que Cuba leur échappe. Ils sont convaincus qu’ils s’entendront avec Fidel.
Mais en même temps, Fidel est très ferme sur 3 choses : 1. Se débarrasser de Batista et de tout son appareil politico militaire. 2. Ne pas dissoudre l’armée rebelle qui doit être la nouvelle armée du pays 3. Mettre au centre la question démocratique et sociale… – commencer la réforme agraire, une politique de besoins sociaux…
Dans ce processus, Fidel et tous les cadres de l’armée rebelle vont se radicaliser, surtout que certains des responsables politiques sont influencés par le marxisme, le Che d’abord, Raul Castro, le frère de Fidel et d’autres. Et ce marxisme sera « indépendant » du stalinisme dans le sens où la dynamique de la révolution cubaine se heurte à la politique traditionnelle du PSP – le parti stalinien Cubain dirigé par Blas Roca, Escalante, Carlos Rafael Rodriguez – qui, au début , a dénoncé les guérilleros comme des provocateurs…
2 janvier 1959 : prise du pouvoir, démantèlement de tout l’édifice politico militaire, du vieil appareil d’Etat, gouvernement d’exception. Fidel reste chef de l’armée –« Commandante »-, mais le président est Urrutia – une personnalité de l’opposition bourgeoise.
Février 59 : nationalisation des terres et des biens des hommes de Batista.
Mai 59 : Réforme agraire : la terre aux paysans ».
Juillet 59 : Urrutia démissionne et Fidel le remplace.
Novembre 59 : Nationalisation de la banque, dirigée par le Che.
* De Février à Octobre 60 : mesures de nationalisation et expropriation des entreprises, et en particulier des entreprises nord-américaines. Mesures d’expropriation sans indemnité ni rachat. Dans ce mouvement, il y a eu, sans doute, trop de nationalisations… on parle des coiffeurs.. animateurs de sortie à cheval….
Pour répondre aux besoins sociaux, la terre, le financement des mesures sociales, donner la propriété à l’Etat.. il ya incursion dans la propriété capitaliste puis expropriation des capitalistes. Cette direction sera très sensibles aux demandes et revendications des masses populaires. Elle ira jusqu’au bout dans l’affrontement avec le système capitaliste et avec l’impérialisme américain… qui envahira Cuba en avril 1961, à Playa giron.
De 60 à 65 : c’est la phase d’enthousiasme révolutionnaire, avec expropriation, nationalisation, participation des masses.. avec un pic de la tension mondiale avec la crise des fusées en 1962-Durant 13 jours, il ya des tensions après la tentative des soviétiques, appuyés sur les cubains, de faire une man ?uvre internationale pour contraindre les USA à retirer leurs missiles de Turquie en implantant des missiles à Cuba.
Après cette crise internationale, Cuba se retrouve sous protection soviétique face à l’impérialisme US et cela va conduire les cubains à une position ambivalente : internationaliste, mais subordonnée à l’URSS. De 65 à 67, Déclaration à Alger du Che, intervention en Afrique, en Bolivie avec le Che ; préparation de la conférence de l’OLAS à la Havane. Mais en août 68, ils appuient l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie… ce sera un gage donné à la politique internationale de l’URSS.
En 1970, les Cubains s’engagent dans ce qu’ils appellent la ZAFRA, une récolte de 10 millions de tonnes de sucre. Ce sera un échec et cela accroitra la subordination à l’URSS.
Cuba est confronté depuis la révolution à la difficulté de construire le socialisme dans un seul pays… Pays de monoculture, extrêmement dépendant des USA, le défi était majeur. La direction cubaine a choisi pendant 30 ans la monoculture plus les liens avec l’URSS. Pourtant il y a eu des débats à Cuba, d’autres choix étaient possibles et c’est là que la question de la démocratie a aussi une efficacité économique. René Dumont, un des pères de l’écologie, agronome, sympathisant de la révolution cubaine, avait proposé une diversification agricole dès les années 60. Mais pour cela, il fallait un débat, la confrontation de plusieurs options… Comment diversifier la production agricole : monoculture de tabac et sucre ou diversification pour une agriculture vivrière. Quels choix de gestion ou de production dans l’industrie des biens de consommation… Quels rapports entre secteur public et privé : 75 % des emplois dans le public, 25 % dans le privé. La démocratie est aussi un bon instrument pour discuter et surmonter les inégalités, notamment sur tout ce qui est circulation des dollars et peso convertible, tout ce qui est développement du secteur informel et de la corruption ambiante qu’il peut y avoir dans la société cubaine – l’existence d’un marché noir. Les revenus de l’économie touristique sont plus importants que celle du sucre et constitue le terreau de rentrée de devises mais aussi de nombre d’activités parallèles.
QUELLES SONT LES FORCES ET LES FAIBLESSES DE LA DIRECTION CUBAINE.
1. Une révolution anti-impérialiste, nationaliste révolutionnaire et internationaliste. Lorsque l’on va à Cuba et lorsqu’on discute avec les gens, on prend conscience de la fierté nationale, d’être Cubain, d’avoir tenu tête à l’impérialisme. Les acquis dans la culture, la santé, l’éducation, le sport sont vraiment des valeurs défendues par tout le peuple… Même les opposants défendent Cuba.
2. C’est en même temps une révolution internationaliste : Plus de 500.000 cubains ont se former et combattre en Afrique, ou en Amérique latine.. En Angola et au Mozambique contre l’Afrique du Sud. Au Nicaragua, au Salvador… L’exemple du Che est là pour l’illustrer : on peut discuter ses choix tactiques et stratégiques, mais c’est un magnifique exemple d’internationalisme : « il faut un, deux, trois Vietnam ». L’aide au Venezuela et à Chavez, « santé , éducation contre pétrole », constitue un bon exemple de cette continuité cubaine ou la politique de l’ALBA : échange équitable de marchandises, monnaie commune.
3. Dans sa politique internationale, il y a une faute historique de la direction cubaine, dans ses rapports avec l’URSS et la politique d’alliance avec l’URSS. On peut comprendre la nécessité d’une alliance avec l’URSS contre l’impérialisme américain, mais ni la dépendance vis-à-vis de l’URSS (plus de 80% de l’économie dépendait de l’URSS) ni la défense du modèle, y compris sur le plan du soutien à la bureaucratie contre les peuples, y compris dans les révoltes des masses dans les pays de l’Est, en Tchécoslovaquie, en Pologne… Ce qui fait qu’avec le retrait de l’URSS, et de ses achats de sucre ou de livraison de biens et de services, Cuba a vécu des temps extrêmement difficiles, et connu une « période spéciale » de restrictions de presque 10 années…
4. Sur le plan de la transition au socialisme, il y a un problème de démocratie et d’organisation des masses pour construire le socialisme. Si la direction cubaine a toujours été sensible à ses rapports avec les masses, il y a une tradition latino-américaine de caudillo. Il y a depuis le début de la révolution cubaine un problème d’auto-organisation : pas de conseils, pas de comités, pas de pluralisme interne syndical ni politique. Là, il y a un problème, c’est le « verticalisme militariste révolutionnaire ». Pas d’autogestion, pas de conseils de travailleurs. Dans ce processus de limitations de la démocratie, s’est constitué un processus de bureaucratisation de la société, c’est-à-dire à partir des différences de fonctions, un processus qui a séparé une partie de l’appareil d’Etat et de l’appareil économique du reste des masses populaires… Avec les années, ce processus s’est consolidé mais jamais comme dans les pays de l’Est. Mais La réponse au problème de la démocratie, ce n’est pas d’exiger des élections libres. avec le blocus et la pression nord-américaine, mais d’activer tous les mécanismes de la discussion et du pluralisme interne au sein du PC cubain et des organisations de masses…
5. Cuba n’était pas un pays comme les autres pays de l’Est… A la différence de ces autres Etats, il n’y a pas d’effondrement et, malgré tous les problèmes, la résistance anti-impérialiste s’est maintenue. Cuba a connu une vraie révolution anti-impérialiste et socialiste. Cette révolution est toujours vivante, avec une série d’acquis sociaux, avec un état d’esprit révolutionnaire dans une série de couches de la population-défense de Cuba, rejet de l’impérialisme américain – mais avec de grandes déformations bureaucratiques. Nous sommes aux cotés de la révolution cubaine contre l’impérialisme – d’autant que l’embargo US continue et que la politique de l’administration nord-américaine alterne pressions militaires et intervention économique. Mais , sur le plan économique, les mesures économiques sont prises au compte goutte à Cuba, car la haine de l’appareil politico-militaire américain reste très fort contre Cuba. Néanmoins, cette solidarité contre l’impérialisme doit s’accompagner d’un soutien critique avec nos conceptions démocratiques et socialistes…
6. Quel avenir : un cours à la Vietnamienne ou à la Chinoise ? Il y a une situation compliquée : des réformes qui donne plus de place au marché – occupation des terres, utilisation portables, aides des familles, stimulants matériels… mais avec un durcissement autoritaire – veille équipe autour de Raoul Castro. Mais Cuba n’est pas la Chine et la constitution d’un marché capitaliste généralisé à 110 Km des USA ne sera pas sous contrôle comme en Chine. Il y aura un risque pour Cuba d’être, alors, emporté par le marché.
SABADO François