La Révolution de 1848 et ses conséquences

Topo sur la Révolution de 1848, fait lors de la formation Grand-Ouest, ainsi que les documents annexes.

La Révolution de 1848 et ses conséquences.

S’il y a eu des révoltes, significatives de l’accroissement des tensions dans la société française, comme en 1831 (première révolte des canuts lyonnais), en 1832 (insurrections républicaine autour de Saint Merry) ou encore en 1834 (deuxième révolte des canuts lyonnais), 1848 marque un tournant dans l’histoire du mouvement ouvrier, et ce à plusieurs niveaux. D’une part, mondial, puisqu’il s’agit d’une vague révolutionnaire internationale, animée par le prolétariat, qui fournit les troupes et les leaders les plus radicaux. Il en est ainsi en Allemagne, en Hongrie, en Italie, en Pologne, etc.(on les a appelé les révolutions « feu de paille »). Et d’autre part, national, car lors de cette année 1848 le prolétariat finit par se dissocier du reste de la révolution pour constituer son mouvement de classe, qui débouche sur l’insurrection de Juin : il y a une prise de conscience de l’opposition fondamentale avec la bourgeoisie ; on arrive à la fin de l’ère des révolutions bourgeoises. 1848 démontre que la bourgeoisie n’est plus révolutionnaire. Autrement dit, le mot «révolution» change de sens, il passe d’une simple signification de changement de l’ordre politique à une offensive contre l’ordre bourgeois.

L’ouvrage de base utilisé pour ce topo est bien évidemment celui de Karl Marx, Les luttes de classe en France. Cet ouvrage est en fait une série d’article paru au cours de l’année 1850 dans la Nouvelle Gazette Rhénane, série d’article qui ne sera rassemblée par Engels que bien plus tard en 1895 pour former l’ouvrage que nous connaissons. Pour présenter plus précisément cet ouvrage reprenons les termes utilisés par Engels dans sa préface : «Le présent ouvrage de Marx fut sa première tentative d’explication d’un fragment d’histoire contemporaine à l’aide de sa conception matérialiste et en partant des données économiques qu’impliquait la situation. [… Il réussit] à ramener les conflits politiques à des luttes d’intérêts entre les classes sociales et les fractions des classes existantes, impliquées par le développement économique, et à montrer que les divers partis politiques sont l’expression plus ou moins adéquate de ces mêmes classes et fractions de classes».

Dans ce topo, nous nous attacherons à voir les différentes étapes de l’épisode révolutionnaire d’un point de vue chronologique bien évidemment tout en mettant en parallèle l’évolution de l’attitude des différentes classes sociales suivant les situations. Si la Révolution de 1848 est l’élément central de notre topo, nous ne nous bornerons pas à cette date. Pour expliquer cet épisode révolutionnaire, nous partirons de la situation d’avant 1848 à l’abolition du suffrage universel par Bonaparte. Pour cela, le présent topo se décompose en trois grandes parties. Dans un premier temps, nous verrons la situation française avant 1848 à travers la société mais aussi le contexte politique et économique. Puis dans un second temps, nous verrons la période allant de Février à Juin 1848 marquée par la première partie de la révolution et la guerre des classes qui commencent à poindre. Et enfin, dans un troisième et dernier temps, nous verrons la période allant de Juin 1848 à la suppression du suffrage universel, période qui voit s’affirmer la guerre des classes et la victoire de la bourgeoisie sur le prolétariat…

I-     La situation avant 1848

La première partie du XIXe siècle est marquée par l’avènement du capitalisme. Sous la « Monarchie de Juillet », pour citer Marx, «ce n’est pas la bourgeoisie française qui [règne] sous Louis-Philippe, mais une fraction de celle-ci : banquiers, roi de la bourse, roi des chemins de fer, propriétaire des mines de charbon et de fer, propriétaire de forêts et la partie de la propriété foncière ralliée à eux, ce qu’on appelle l’aristocratie financière. Installé sur le trône, elle [dicte] les lois aux Chambres, [distribue] les charges publiques, depuis les ministères jusqu’aux bureaux de tabac». Les banquiers spéculent sur le budget de l’Etat et les emprunts qu’il fait, fondant leur fortune sur une rente payée par le régime. Toute une activité pamphlétaire dénonce cela (« la dynastie Rothschild »), signe d’un mécontentement général. L’activité industrielle relativement embryonnaire a donné naissance à un prolétariat composé de petits artisans, de compagnons ouvriers très qualifiés et de manœuvres. Dans cette première partie, nous verrons dans un premier temps les différentes composantes de la société française, puis dans un second et dernier temps, nous verrons le contexte économique et social marquant la période révolutionnaire.

1- La société à la moitié du XIXe siècle.

De fait, la grande bourgeoisie tient les rênes du pouvoir (il n’y a que 240000 électeurs au Parlement) et mène la grande vie. C’est une élite restreinte, composée des seules bourgeoisies financières et foncières, où l’on trouve encore des traces d’aristocratie (titres de « Pairs de France » = Lords anglais). Cf. Balzac. En-dessous se trouve la bourgeoisie industrielle et commerciale, bourgeoisie moyenne, désavantagée par le pillage de l’Etat auquel se livrent les banquiers, puisque les investissements dans la production ou le commerce n’offrent pas les mêmes rentabilités ou garanties que les emprunts d’Etat. La spéculation boursière est plus intéressante. Cette bourgeoisie-là n’a pas de pouvoir politique, puisqu’elle ne peut voter ou se faire élire. Par exemple, la conquête de l’Algérie profite essentiellement aux banquiers qui se partagent les terres fertiles de la Mitidja. Les éléments les plus plébéiens (la petite bourgeoisie : avocats, commerçants de détail, petits patrons, etc.) constituent le parti républicain, issu de sectes terroristes et de sociétés secrètes dissoutes. Un grand courant d’opposition traverse toute la bourgeoisie. Elle craint d’autant moins d’être contestataire que les émeutes ouvrières de 1831,1834 et 1839 ont été réprimées.

Vient ensuite le prolétariat, dont les conditions de vie sont pires que l’esclavage. Le salariat oblige à vendre sa force de travail, et le mot prostitution n’est pas trop fort. D’ailleurs beaucoup d’ouvrières y sont contraintes pour pouvoir compléter leurs salaires de misère. Les enfants travaillent très tôt, dès 6 ans parfois ; les patrons leur trouvent toujours un poste où on peut utiliser leur petite taille. La durée du travail est fixée par le patron, qui justifie des horaires démentiels par la « concurrence ». L’encadrement est paramilitaire (rôle des contremaîtres), les ouvriers sont traités dans les plus grandes fabriques comme du bétail. S’ajoutent à cela des contraintes administratives, tel le livret que chaque ouvrier doit posséder sur lui pour être embauché ou en cas de contrôle de police. C’est une sorte de « mouchard » où sont consignés les déplacements de l’ouvrier, ses emplois, les raisons pour lesquelles il a été chassé, etc. Au plus bas de l’échelle sociale se trouve le «lumpenprolétariat» («prolétariat en haillons»), qui aura son

importance dans les événements de juin. C’est la pègre, la masse des ouvriers au chômage tombés dans le larcin pour pouvoir survivre, les adeptes du système d, etc.

Le prolétariat ne connaît que des embryons d’organisation. Ses mouvements sont spontanés, violents, dépourvus de buts définis. Ce sont des explosions momentanées, qui se traduisent le plus souvent par des actes de sabotage. Néanmoins, le prolétariat est à l’école de la lutte, il apprend. D’autre part, il existe des organisations secrètes qui ne groupent que des minorités d’ouvriers parmi les plus conscients (Marx en rejoint une alors qu’il est en exil à Paris en 1846, la « Ligue des Justes » de l’ouvrier Weitling). Mais la répression depuis 1830 a fait fuir les éléments petits bourgeois vers des partis qui se satisfont des cadres légaux, à l’exception de quelques leaders déterminés (Blanqui). La petite bourgeoisie n’est pas une classe sociale à part entière, elle oscille entre le prolétariat, lorsque celui-ci montre sa force, et la bourgeoisie lorsqu’elle est maîtresse de la situation. Il y a un manque général de théorie dans le mouvement ouvrier.

Enfin, il reste la paysannerie. Depuis 1715, elle a subi un vaste mouvement de concentration, aboutissant à rassembler dans les mains d’un nombre toujours plus restreint de propriétaires l’essentiel des exploitations. On trouve donc au sein du monde paysan l’éventail presque complet des classes sociales existant dans la société, depuis les ouvriers agricoles et les métayers, aux intérêts proches de ceux du prolétariat, jusqu’aux grands propriétaires fonciers apparentés à la bourgeoisie. C’est un monde nettement moins politisé que celui des villes, encore qu’il y ait aussi de ce point de vue des exceptions, notamment dans le sud-ouest. La plupart du temps, le monde rural reste sous la coupe des curés.

2- Contexte économique et politique.

Le contexte économique qui précède 1848 est un contexte de crise. Crise agricole, tout d’abord, consécutive aux mauvaises récoltes de 1845 et 1846 et à la maladie de la pomme de terre. Des émeutes de la faim sont réprimées, telle celle de Buzançais (département de l’Indre, région Centre) en 1847 où, au cours d’émeutes, 2 accapareurs sont lynchés et 5 « citoyens » exécutés en retour. Cette émeute de la faim constitue, pour Victor Hugo, le prémice de la révolution de Février. A la hausse du coût de la vie répond l’exaspération générale de la population. Le feu est mis aux poudres par la crise industrielle et commerciale qui voit le jour en Angleterre en 1845. C’est un séisme mondial, tant le capitalisme est déjà dépendant de ce qui se passe à l’échelle internationale. La France l’endigue en 1845 et 1846, et croit s’en débarrasser ainsi, mais elle subit le contrecoup à l’automne 1847. Les faillites se succèdent, le chômage devient général. En effet, du fait de la crise, les grands commerçants sont rejetés sur le marché intérieur ce qui entraine alors la faillite des petits artisans et boutiquiers. Ce sont ces derniers que l’ont va retrouver en Février 1848 lors de la révolution.

La crise prend alors une dimension politique. Aux émeutes de la faim dans les campagnes s’ajoute l’agitation républicaine, qui se traduit essentiellement par une campagne de banquets : les meetings étant interdits, on se rassemble pour un repas, où chacun paye son écot, prétexte pour écouter des discours contre Louis-Philippe. Les Républicains avancent un programme de réforme fiscale, avec à la clé le droit de vote pour plus de bourgeois, puisque c’est le « cens », c’est-à-dire la somme des impôts payés, qui détermine l’appartenance au corps des électeurs. Le 1er ministre Guizot leur répond : « Enrichissez-vous! ». C’est une impasse politique ; cela amène certains

républicains à passer à l’action révolutionnaire et à se radicaliser, d’autant que la crise en a ruiné plus d’un. Le contexte international n’est pas fait pour calmer les esprits, puisque la France s’allie à l’Autriche, le pays le plus conservateur, le plus réactionnaire d’Europe.

La situation est véritablement révolutionnaire dans certains pays européens, mais aussi en France, où le prolétariat est, avant l’insurrection, faiblement organisé, par comparaison avec la bourgeoisie d’opposition, qui, elle, est en revanche moins puissante numériquement. Mais l’agitation sociale confuse rencontre la sympathie de la petite bourgeoisie. La revendication du suffrage universel est l’expression de la tendance à l’alliance de ces 2 forces sociales.

II-  De février à juin 1848

1- Les journées de Février.

Soudainement, les journées de Février 1848 libèrent les germes de contestation disséminés au cours des décennies précédentes. L’insurrection est déclenchée par un événement finalement peu important. Guizot interdit le dernier banquet de la campagne prévue, qui doit avoir lieu à Paris le 22 Février. Les organisateurs reculent et annulent celui-ci, mais la foule est quand même présente sur la Place de la Concorde. Elle édifie des barricades et déclenche une émeute. La garde nationale, milice petite- bourgeoise qui d’habitude aide la troupe à réprimer les manifestations ouvrières, est appelée, mais, au lieu de prêter main forte aux soldats, elle s’interpose entre eux et les émeutiers. Les victimes sont portées par la foule sur des chars à travers Paris. De nouvelles personnes viennent alors s’ajouter aux émeutiers. Le 23 Février, Louis-Philippe vire Guizot. Le soir même, de nouvelles échauffourées ont lieu devant le ministère des Affaires Etrangères où se trouve encore Guizot. La troupe tire sur la foule, 16 personnes sont tuées. Le lendemain, Odilon Barrot est nommé 1er ministre, mais le général Bugeaud reste, lui, partisan de la répression. La Garde Nationale laisse faire les émeutiers qui le 25 s’approchent des Tuileries. Louis-Philippe abdique et part en exil.

2- Les conséquences de Février : l’Illusion lyrique ?

Le gouvernement provisoire qui voit le jour est une tentative de compromis de classe. Il comprend des petits bourgeois républicains comme Lamartine, les bourgeois du « National », un journal d’opposition, l’opposition dynastique, qui veut rendre le pouvoir aux Bourbons, et 2 représentants du prolétariat, Louis Blanc et l’ouvrier Albert. Ce gouvernement est à la traîne du point de vue des attentes du prolétariat parisien. Lamartine lance dès le 25 des appels au calme, au respect de la «démocratie» (c’est-à- dire la majorité silencieuse), et convainc les ouvriers d’abandonner le drapeau rouge. Cette volonté de conciliation fait dire à Marx que « la bourgeoisie ne permet qu’une seule usurpation, celle de la lutte ». En réponse à cela, Raspail fixe un ultimatum : le Gouvernement Provisoire a deux heures pour proclamer la République, ou alors

200.000 ouvriers armés contraindront le gouvernement à prendre les mesures sociales, revendications spécifiques de la classe ouvrière. Cette opposition devient la première ligne de fracture entre le prolétariat et la petite bourgeoisie. A l’Hôtel de ville se réunit, dans la foulée des émeutes, le Paris ouvrier qui constitue un 2ème pouvoir ayant pour but la surveillance du Gouvernement Provisoire. Il y a dualité des pouvoirs entre celui-ci et

le Palais-Bourbon, où se réunit la Chambre. Les prolétaires ont en mémoire la révolution de 1830 où la manœuvre de récupération de la bourgeoisie avait abouti, alors qu’elle avait pris une part insignifiante au renversement du roi Charles X. Ils avaient été totalement dépossédés de leur lutte et leurs revendications rejetées une fois le calme revenu. Si les ouvriers gagnent du terrain pour les luttes futures en imposant la République au Gouvernement Provisoire, ils n’obtiennent pas pour autant leur émancipation.

Pour gagner du temps, le Gouvernement Provisoire octroie aux ouvriers une

«Commission» qui siège au Luxembourg et un ministère du travail. Mais ces institutions n’ont aucun poids face au Gouvernement Provisoire bourgeois étant donné qu’elles n’ont ni budget propre ni pouvoir exécutif. Pour reprendre Marx, «pendant qu’au Luxembourg, on [cherche] la pierre philosophale, à l’Hôtel de ville, on [bat] la monnaie ayant cours». De même qu’en 1830 la monarchie s’était fardée de républicanisme, de même en 1848 la République se farde de socialisme. Le rapport de force est encore en faveur du prolétariat, émeutier la veille. Cependant, vu le développement industriel, il est trop faible. Il lui faut rallier la paysannerie et la petite bourgeoisie pour aller plus loin contre la grande. Mais il faudrait le faire en plantant l’étendard des revendications sociales et en animant une agitation de classe ; cela ferait la preuve de l’impossibilité du compromis de classe. Or, c’est le contraire qui se produit : les ouvriers se rangent derrière les petits bourgeois, ce qui inspire ces mots tout à fait révélateurs à Lamartine : le Gouvernement Provisoire «suspend ce malentendu terrible qui existe entre les différentes classes». Les illusions réformistes selon lesquelles l’Etat bourgeois sorti de la révolution est acquis à la cause des émeutiers sont trop fortes. Elles conduisent tout droit à Juin 1848.

Le processus révolutionnaire est cependant profond (et il était bien malaisé de se repérer dans les événements au moment de leur déroulement, surtout au vu du manque théorique qui affectait le mouvement ouvrier). La presse redevient libre (les journaux n’attendent pas le décret du Gouvernement Provisoire), les clubs se développent. Pendant ce temps, le Gouvernement provisoire mène une politique de concessions en faveur de la bourgeoisie. D’abord, il paye les dettes du régime précédent aux banquiers, alors que la révolution a eu lieu précisément parce que ce système suscitait la colère du peuple qui se faisait tondre pour la haute finance. Puis, lorsque les banques se coulent volontairement, que les capitaux fuient à l’étranger, au lieu de laisser faire, ce qui obligerait la bourgeoisie à accepter une banque d’Etat, le Gouvernement Provisoire fait de nouveaux emprunts couverts par un impôt spécial, qui taxe toute production à hauteur de 45 centimes par franc. Ces mesures dressent les paysans contre la révolution, tandis que les ouvriers continuent envers et contre tout de la soutenir.

Le Gouvernement Provisoire se sent bientôt assez fort pour préparer la répression d’autant plus qu’il y a toujours cette peur du prolétariat parisien de la part de la bourgeoisie. C’est pourquoi sont crées quatre bataillon de Garde Mobile, rassemblant

24.000 jeunes du lumpenprolétariat, payés 1.5F/jour, c’est-à-dire « achetés » à la classe ouvrière. La classe ouvrière les reconnait alors comme «la garde prolétarienne». Les Ateliers Nationaux, créés soi-disant pour lutter contre le chômage, sont une revendication ouvrière dévoyée par la bourgeoisie. En effet, leur direction est confiée à Marie (Libéral), bien décidé à démontrer qu’ils sont inefficaces. Les chômeurs y effectuent des travaux improductifs, qui n’ont donc pas de justification économique et peuvent être supprimés dès que le Gouvernement Provisoire l’ordonne, dans des conditions de travail digne des « workhouses » anglaises : ce sont des bagnes qui poussent les ouvriers à s’embaucher dans les autres usines à n’importe quelles conditions de

salaires et de travail, une 2ème armée de réserve. Le prolétariat n’a pas conscience de la réalité de ce que sont les Ateliers Nationaux; lorsque le Gouvernement Provisoire les supprimera, il les défendra. Marx dit des ateliers nationaux qu’ils «avaient crée une armée pour l’émeute».

3- La fin de l’illusion lyrique.

Les combats d’avant-poste ont lieu dès le 16 Avril. Le prolétariat est rassemblé au Champ-de-Mars pour les élections à la Garde Nationale. La bourgeoisie fait circuler la rumeur d’une tentative de coup d’Etat prolétarien (sous la direction de Louis Blanc, Blanqui, Cabet et Raspail) pour justifier la préparation de la répression. Si 100.000 hommes de la Garde Nationale se rassemblent à l’Hôtel de ville, c’est aussi le prétexte choisi par la bourgeoisie pour rappeler l’armée au sein de la capitale. Le rappel a été battu dans la campagne environnante ; les paysans sont ralliés contre les « partageux ». La surprise des ouvriers parisiens lorsqu’ils reviennent avec une « collecte patriotique » montre bien le décalage des consciences de classes entre les 2 forces sociales en présence.

Si le suffrage censitaire laisse une partie de la bourgeoisie dans l’opposition commune avec le prolétariat, il n’en est pas de même avec le suffrage universel. En effet, ce dernier, met au grand jour le rôle des exploiteurs lorsqu’ils sont portés à la tête de l’Etat. Le suffrage universel a donc le mérite de déchainer la lutte des classes. Les élections du 4 Mai donnent une majorité aux républicains bourgeois, la paysannerie et la petite bourgeoisie rejetant sur les révolutionnaires la responsabilité des mesures prises par le Gouvernement Provisoire (impôt des 45 centimes). La bourgeoisie reprend confiance. Le 15 Mai, suite à une manifestation populaire de soutient à la Pologne, le prolétariat envahi l’Assemblée. Barbès, Albert, Sobrier, Blanqui, Raspail ainsi que Huber sont arrêtés. Le Gouvernement Provisoire en profite pour dissoudre les institutions dès le lendemain. Pour reprendre les mots du ministre des travaux publics, Trélat, «il ne s’agit plus que de ramener le travail à ses anciennes conditions». La Commission Exécutive prend à la suite de cela toute une série de mesure visant en premier lieu les Ateliers Nationaux comme par exemple l’interdiction d’y travailler lorsque l’on est célibataire, la mise en place du salaire à la pièce, ou encore l’exile en Sologne des ouvriers non originaires de Paris. Suite à ces mesures, le prolétariat a deux solutions : soit mourir de faim, soit engager le combat.

III- Juin 1848 et ses conséquences.

1- L’insurrection de Juin 1848.

L’insurrection est provoquée par la fermeture des Ateliers Nationaux le 21 Juin, le prolétariat ne peut que réagir. Elle est violente. Les gardes nationaux et mobiles ne font pas dans le détail, la guerre de classe est portée à son paroxysme. La bourgeoisie est menée dans cette guerre par le Général Cavaignac qui a reçu le 24 Juin de la part de l’Assemblée Constituante, tous les pouvoirs exécutifs. Le prolétariat a fait peur à la bourgeoisie; la vengeance doit rassurer cette dernière : on fait donner le canon, on fusille les prisonniers. L’insurrection est inorganisée, parce que la classe ouvrière n’a pas de commandement uni. En revanche, l’acuité de la guerre de classe suscite discipline et solidarité ; la détermination tient lieu d’arme au prolétariat qui tient ainsi 5 jours dans

une infériorité numérique de 1 contre 4. L’armée massacre 3000 prisonniers (selon différentes études les chiffres divergent, ils passent de 1500 pour ce qui est des chiffres officiels à 30.000 morts selon l’historienne Michèle Perrot). Comme nous l’avons vu dans l’introduction, il existe toute une série de révolution en Europe, or c’est à partir de ce moment que la France cesse de les soutenir. En effet, la bourgeoisie française doit préserver la paix extérieure pour pouvoir pleinement mener la guerre intérieure.

Mais l’insurrection n’est pas inutile car la classe ouvrière va pouvoir en tirer quelques leçons. La petite bourgeoisie a suivi la bourgeoisie, lutté pour la propriété privée. En fait, elle a moins suivi ses intérêts que le plus fort. Une fois les prolétaires sur le pavé, nombre de petits commerçants font faillite. La grande bourgeoisie ne se gêne alors pas pour liquider les petits commerces.

2- De Juin 1848 à Napoléon.

Après les journées de Juin et plus précisément à partir du 28, Cavaignac (fait récemment Maréchal de France pour son action lors des journées de Juin…) devient président du conseil des ministres jusqu’au 20 Décembre 1848, précisément pour remettre de l’ordre dans le pays. Il se comporte comme un véritable dictateur en fermant les Clubs ou en interdisant les journaux révolutionnaires par exemple. Il est soutenu d’une part par la bourgeoisie et d’autre part par les paysans car il incarne le retour à l’ordre et contrecarre la menace des «partageux». Depuis les journées de Juin 1848, l’Assemblée Constituante ne représente que le républicanisme bourgeois. La bourgeoisie a aussi conscience de la lutte des classe puisqu’elle avoue, elle-même, punir non pas des criminels mais des ennemis en la personne des insurgés de Juin. D’ailleurs, la République mise en place est paradoxale puisqu’elle donne, de part le suffrage universel, la possibilité aux deux classes ennemies de la République que sont la grande bourgeoisie et le prolétariat d’arriver au pouvoir.

La nouvelle Constitution, est adoptée le 4 Novembre 1848. De part sa rédaction, elle rend impossible sa violation car chacune de ses dispositions contient sa propre antithèse. Par exemple, «le suffrage est direct et universel-excepté les cas que la loi déterminera». Elle semble garantir la liberté mais d’une part cette dernière n’est garantie que sous réserve «d’exceptions faites par la loi», d’autre part, les libertés individuelles ne sont pas respectées non plus car tout citoyen français peut être arrêté si un seul fonctionnaire délivre un mandat à cet effet. Les seules clauses qui soient indiscutables et définitives dans toute la Constitution sont celles relatives à l’élection du président (art.45) et à la révision de la Constitution (art. 111). Cette constitution montre que si la bourgeoisie peut être démocrate en paroles, elle ne le sera pas dans les actes. Pour limiter au maximum les droits et les libertés des ouvriers, un livret les concernant est mise en place. L’ouvrier est obligé d’y inscrire le nom de l’entrepreneur pour lequel il travaille ainsi que les raisons pour lesquelles il le quitte. Mais ce n’est pas tout. Ce livret doit être remis au maitre qui le remet personnellement à la police. Ainsi la situation de l’ouvrier dépend non seulement de la bourgeoisie mais aussi de la police.

3- Du 10 Décembre 1848 à l’abolition du suffrage universel.

Le 10 Décembre 1848, Bonaparte est élu Président de la République. S’il arrive au pouvoir, c’est grâce à la paysannerie qui y voit un garant de la petite propriété privée et

de l’ordre. Le poids de l’arriération paysanne est donc encore lourd. La petite bourgeoisie et le prolétariat y présentent chacun un candidat : Ledru-Rollin pour la première, et Raspail pour le deuxième. Mais une partie de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie vote aussi pour Bonaparte, c’est seulement parce qu’il ne représente rien donc qu’il peut tout représenter… Puis, de la part de ces deux dernières catégories, il s’agit plus d’un vote contre Cavaignac et la République bourgeoise que d’un vote pour Bonaparte à proprement parlé. Un fois élu, Bonaparte choisit comme premier ministre, le dernier premier ministre de Louis-Philippe, Odilon Barrot. Il s’empresse de dissoudre la Garde Mobile qui incarne la fraction armée de la bourgeoisie républicaine, de plus, en Juin 1849, les Clubs sont définitivement interdits car ils sont un lieu de conspiration.

Une des actions contre-révolutionnaire les plus marquantes de ce début de

«règne» de Bonaparte, est l’expédition en Italie contre la République Romaine en Mai 1849. En effet, cette République menace le pape, or pour conserver l’Ancien Régime nécessaire au maintient de son pouvoir, Bonaparte se doit de tout faire pour conserver l’intégrité et les pouvoirs du pape.

Le 13 Juin a lieu une manifestation pacifique qui est en fait une tentative de soulèvement petit bourgeois mais c’est un gros échec. La Montagne, déjà faible, est alors dépouillée et de sa force parlementaire et de sa force armée avec la dissolution des 8, 9 et 12e légions de la Garde Nationale. De plus, la bourgeoisie réprime aussi le prolétariat pour lui enlever toutes velléités de révolte partout en France. La Chambre devient alors le repaire du Parti de l’Ordre. Etant donné que le Parti de l’Ordre est hégémonique dans la Chambre, c’est à partir de ce moment que des tensions commencent à apparaitre entre lui et Bonaparte. En effet, ce dernier, une fois l’ordre revenu et pour s’assurer les bonnes grâces des deux oppositions, propose dans un même temps le retour des familles royales et l’amnistie des insurgés de Juin (Octobre 1849). Pour les royalistes, cette proposition est vue comme un affront étant donné que Bonaparte semble traiter à égalité les Bourbons/d’Orléans et le bas peuple socialiste. Bonaparte va ensuite provoquer petit à petit toutes les catégories de la population pour l’amener à déclarer l’Etat de siège et ainsi contrôler les prochaines élections (impôt sur les boissons dont les paysans ne veulent pas…). En Février 1850 (un mois avant les élections), a lieu la dernière tentative de provocation du peuple, il fait couper les arbres de la liberté. Mais ses provocations ne fonctionnent pas.

Comme prévue, le 10 Mars 1850, ont lieu les élections législatives. Les résultats sont inquiétants pour le pouvoir. A Paris, trois socialistes sont élus : De Flotte (ancien déporté de Juin), Vidal (écrivain communiste) et Carnot (ministre de l’Enseignement du Gouvernement Provisoire). Tous les trois, ils représentent les trois classes alliées que sont le prolétariat révolutionnaire (cette fois à la tête du mouvement), le socialiste doctrinaire (petite bourgeoisie socialiste) et le bourgeois républicain. Face à ce danger, on voit la bourgeoisie taire ses différents et se réunir une nouvelle fois sous la direction de Bonaparte. Ces élections démontrent à tous que l’ascendant moral de la bourgeoisie est terminé, le suffrage universel n’a donc plus lieu d’être car il devient dangereux pour la bourgeoisie. Le suffrage universel est définitivement aboli le 31 Mai 1850. Cette abolition s’accompagne d’une loi sur la presse qui interdit les articles anonymes. La presse devient donc une série de contribution littéraire au lieu d’être le pouls de l’opinion publique. Face à ses attaques personnes ne réagit que cela soit à l’Assemblée ou dans la rue car la prospérité économique est revenue (depuis un an) et 150.000 hommes en armes sont présents à Paris. La bourgeoisie peut célébrer sa victoire. C’est un pas de plus vers le coup d’Etat du 2 Décembre 1851…

Conclusion :

Si Marx et Engels voient en Mars 1848, l’Allemagne comme l’avant-garde de la révolution en Europe, ce n’est plus le cas après Juin 1848. En effet, selon Marx, la France est devenu l’avant-garde de la lutte des classes, «le drapeau tricolore [étant devenu] le drapeau de la révolution européenne, le drapeau rouge». Cette période de tension a mis au jour un certain nombre de chose. Tout d’abords, la véritable nature de la République s’est révélée au grand jour, le Gouvernement Provisoire a fait de la République «une nouvelle tenue de bal pour la vieille société bourgeoise» (Marx). La petite bourgeoisie en plus de s’allier avec la grande, a montré son inconséquence, «leur énergie révolutionnaire se bornait à des sorties parlementaires, au dépôt d’actes d’accusation, à des menaces, à des élévations de voix, à des discours tonitruants et à des extrémités qui ne dépassaient pas les paroles» (Marx). Mais pour expliquer la victoire de la bourgeoisie, il ne faut pas oublier de prendre en compte les spécificités du bonapartisme, ce dernier s’exerçant dès Décembre 1848. Pour y voir un peu plus clair, reprenons la définition qu’en donne Michael Löwy dans son article «Karl Marx, Friedrich Engels et les révolutions de 1848» (in Contre Temps, n°6, 2e trimestre 2010, p.61 à 68) : Le bonapartisme est «une forme de pouvoir politique qui semble s’autonomiser entièrement par rapport à la société civile, se prétend arbitre au dessus des classes sociales, mais sert, en dernière analyse, au maintien de l’ordre bourgeois – tout en s’assurant, par la démagogie, le soutien de la paysannerie et de certaines couches populaires urbaines».

Les révolutions de 1848 ont été l’occasion pour Marx et Engels de théoriser pour la première fois l’idée de «révolution permanente». En effet, dans L’adresse du Comité central à la Ligue des Communistes (Londres, Mars 1850), ils expriment la nécessité qu’a le prolétariat à s’allier avec les forces démocratiques de la petite bourgeoisie, contre la coalition réactionnaire entre la monarchie, les propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie. Cette coalition doit cependant être transitoire dans un processus révolutionnaire «permanent» jusqu’à l’abolition de la propriété privée bourgeoise et l’établissement d’une nouvelle société, une société sans classes. Pour cela, il faut que le prolétariat s’auto-organise. Durant cette période, le prolétariat a fait une fois de plus, l’expérience de la nécessité de s’organiser en classe indépendante, expérience qui a porté ses fruits, puisque lors de la Commune le problème de l’organisation se posera à un autre niveau.

Pour conclure définitivement sur la révolution de 1848, reprenons la conclusion de l’article de Maurizio Gribaudi et de Michèle Riot-Sarcey, «1848 : Au commencement était l’espoir» (in Contre Temps, n°6, 2e trimestre 2010, p. 47 à 60) : «La Seconde République cherche à engloutir la fracture sociale sous les tentures des monuments enveloppés d’un linceul lors des cérémonies baroques qu’elle organise quelques temps plus tard : fastes dérisoires qui anticipent les mises en scène impériales. Pourtant la vivacité des associations ouvrières, en 1849, montre combien l’expérience ouvrière fut ancrée dans une pratique bien réelle de gouvernement direct des travailleurs, conformément aux souhaits de la majorité absente de la représentation républicaine, laquelle avait été amputée de sa dimension démocratique et sociale. L’Association des association, qui réunit bientôt plus de cent associations, et dont les statuts sont rédigés par Jeanne Deroin – ouvrière de l’aiguille, devenue institutrice, candidate aux élections législatives de 1849, en prise à l’hostilité de

Proudhon -, développe un projet d’une modernité étonnante. L’expérience fut courte mais suffisante pour figurer, sinon dans l’histoire, au moins dans les mémoires ouvrières».

Bibliographie indicative pour topo sur la Révolution de 1848.

Fixation du cadre général :

René Rémond, Introduction à l’histoire de notre temps, Points Histoire, Editions du Seuil, Paris, 1974, 248 pages.

Serge Bernstein et Pierre Milza, Histoire du XIXe siècle, Collection Initial, Hatier, Paris, 2006, 538 pages.

Sur 1848 :

Engels Friedrich, Marx Karl, Adresse du Comité central à la Ligue des communistes, Londres, Mars 1850.

Gribaudi Maurizio, Riot-Sarcey Michèle, 1848, La révolution oubliée, La Découverte, Paris, 2009, 288 pages.

Gribaudi Maurizio, Riot-Sarcey Michèle, «1848, au commencement était l’espoir…» in Contre Temps, n°6, 2e trimestre 2010, p. 47 à 60.

Löwy Michaël, «Karl Marx, Friedrich Engels et les révolutions de 1848» in Contre Temps,n°6, 2e trimestre 2010, p. 61 à 68.

Marx Karl, Les luttes de classe en France, Folio Histoire, Gallimard, Paris, 2007, 685 pages. Marouk Victor, Juin 1848, 1998, 126 pages.

Ménard Louis, Prologue d’une révolution, Février-Juin 1848, Paris, 2007, 300 pages.

Vidéo de la soirée organisée par la Société Louise Michel et la Compagnie Jolie Môme sur 1848: http://www.npa2009.org/npa-tv/1335?page=3