Le gouvernement veut passer en force, imposons lui une défaite
Deux mois de mobilisation d’ampleur des étudiant•e•s, des lycéen•ne•s et des salarié•e•s, balayés d’un simple revers de main par le gouvernement… En recourant au 49-3 afin d’imposer leur mesure impopulaire, Valls et consorts démontrent le mépris dont ils font preuve face aux jeunes et aux travailleurs•euses, qui ont massivement exprimé leur rejet de ce projet de loi dans la rue depuis début mars. Avec ce passage en force, le combat contre la loi Travail entre dans une nouvelle phase. Les salarié•e•s sont appelé•e•s à se mobiliser massivement dans les semaines qui viennent pour contrer le gouvernement. Par ailleurs, l’usage du 49-3 pourrait bien donner une nouvelle dynamique à la mobilisation dans la jeunesse. Après la remontée de la température sociale en mars et avril, les mois de mai et juin 2016 s’annoncent chauds !
Un mouvement qui effraie le gouvernement
Il y a trois ou quatre mois en arrière, peu de personnes s’imaginaient qu’on pourrait connaître un mouvement social d’ampleur en France au printemps 2016. Avec l’absence de mobilisation de masse des travailleurs•euses depuis le mouvement des retraites de 2010, après le passage presque sans résistances de la loi Macron en 2015, la mise en place de l’état d’urgence depuis novembre 2015 et son renouvellement dans la foulée… L’atmosphère générale ne prêtait pas forcément à l’optimisme. Et pourtant ! En quelques semaines les étudiant•e•s, et dans leur sillon les lycéen•ne•s et les salarié•e•s, ont radicalement transformé l’ambiance sociale.
Plus de 5 ans de colère accumulée
La mobilisation contre la Loi Travail est partie vite est fort. En à peine deux semaines, plus d’un million de personnes ont signé la pétition en ligne « Non à la Loi Travail ! ». Dès le 9 mars nous étions presque 500.000 à manifester partout en France ; et 1.200.000 le 31 mars pour la deuxième journée de mobilisation interprofessionnelle. Ce caractère explosif démontre que derrière l’opposition à la Loi Travail, c’est un mécontentement bien plus profond qui s’exprime : contre les politiques antisociales et la misère imposées par Hollande et ses prédécesseurs. Plus d’un million de chômeurs supplémentaires depuis 2012, fermetures d’entreprises pourtant bénéficiaires, des dizaines et des dizaines de milliards d’euros de cadeaux fiscaux pour les entreprises, démantèlement des services publics… Il y a de quoi être en colère !
Des signes de ce ras-le-bol et du réchauffement de la situation étaient déjà perceptibles les mois précédents, notamment à travers l’écho populaire dont ont bénéficié les salariés d’Air France suite à l’« affaire » de la chemise arrachée, ou les mobilisations contre l’état d’urgence en novembre et décembre derniers. En janvier et février 2016, on observait une augmentation du nombre de grèves en France. Ainsi, le mouvement actuel dépasse largement le seul cadre de l’opposition à la loi Travail. Derrière cette mesure, c’est en fait l’ensemble de la politique pro-patronale du gouvernement qui est sanctionnée. Ce qui donne une dimension fortement politique à cette mobilisation, et terrorise à juste titre le gouvernement.
Une jeunesse sacrifiée : le détonateur !
Ce n’est pas un hasard si c’est du côté de la jeunesse que la mobilisation est partie le plus vite. Contrairement à ce que raconte le gouvernement, les jeunes sont frontalement touchés par ces mesures : parce que la moitié des étudiant•e•s travaillent pour payer leurs études, avec des contrats souvent hyper-précaires, et parce que cette loi est une promesse d’un avenir plein de chômage et de précarité. Les étudiant•e•s et les lycéen•ne•s ont ainsi donné le ton à la lutte contre la loi travail, en imposant un rythme de mobilisation quasi-hebdomadaire depuis début mars.
Pour autant, la mobilisation a peiné à se massifier dans les universités. Mis à part quelques universités comme Paris 8 ou Rennes 2, les assemblées générales ont rarement réussi à rassembler plus de quelques centaines de personnes, malgré des comités de mobilisation souvent plus importants que durant le CPE en 2006. Ceci s’explique notamment par l’absence de mobilisations étudiantes d’ampleur depuis 2010 : la génération qui est entrée aujourd’hui en mouvement est souvent confrontée à sa première expérience militante. Tout est donc à apprendre depuis le début, et face à l’ampleur de la colère accumulée il est parfois tentant d’opter pour des formes d’actions minorisantes. Par ailleurs, l’arrivée rapide des vacances de Pâques et l’échec à faire reculer les dates d’examens ont aussi compliqué les possibilités de massification.
Jeunes et travailleurs : un mélange explosif
Dès le début du mouvement, les jeunes ont compris qu’ils n’arriveraient pas à gagner la lutte sans l’entrée des salarié•e•s dans l’arène. Cette question a très vite occupé une place centrale dans les discussions en AG. Dans beaucoup de villes mobilisées, des actions ont ainsi été entreprises afin de s’adresser aux salarié•e•s (notamment cheminot•e•s) et défendre l’idée d’une riposte d’ensemble par la grève générale. Ce scénario est le pire cauchemar du gouvernement : à chaque fois que les travailleurs•euses ont usé de cette arme dans l’histoire, comme en juin 1936 ou en mai 1968 en France, ils ont fait trembler les gouvernements.
Si les politiques des directions syndicales ont jusqu’ici empêcher ce scénario de se réaliser – en proposant des dates de mobilisation en saute-mouton, et en empêchant la convergence entre les luttes des cheminot•e•s et contre la loi Travail – le gouvernement sait très bien que la colère accumulée à la base le met dans une situation instable.
49-3 et répression : pour en finir au plus vite !
Afin d’empêcher la contagion du mouvement social, sa principale réponse a ainsi été d’opposer une répression brutale à l’encontre des personnes mobilisé•e•s. A toutes les manifestations, les déploiements policiers sont dignes d’un état de siège. Les cortèges sont gazés, les manifestants sont nassés. Plusieurs centaines de personnes ont été blessées depuis le début du mouvement, dont deux manifestants qui ont perdu un œil suite à un tir de flashball. Les lycéen•ne•s ne sont pas épargén•e•s : arrestations musclées devant les lycées bloqués, gardes à vues, condamnations… Dans les Hauts-de-Seine ce sont pas moins de 42 lycéen•ne•s qui ont été convoqué•e•s à la surreté territoriale pour avoir participé à bloquer leurs lycées. Face à cette stratégie de montée en tension et d’intimidation, la meilleure des réponses est de continuer à se mobiliser pour amplifier le mouvement !
Par ailleurs, pour une partie de la bourgeoisie, la loi Travail ne va pas encore assez loin : il faudrait encore plus de garanties pour les patrons d’exploiter les travailleurs•euses à leur guise. Pris en étaux entre les injonctions du MEDEF et la mobilisation sociale, le gouvernement se retrouve dans une situation instable. Ne bénéficiant pas d’un appui parlementaire suffisant pour faire passer sa loi en l’état, mais souhaitant en finir le plus rapidement possible, il a donc fait recours à l’article le moins populaire de la constitution française.
49-3, 2° round : mettons KO le gouvernement !
Le passage de la loi par le 49-3 marque une nouvelle étape de la lutte. Alors que les salarié•e•s s’apprêtaient à se mobiliser autour de plusieurs journées de grèves interprofessionnelles, et que les cheminots s’apprêtaient à amplifier la mobilisation contre la casse de leurs conditions de travail, cet élément change la donne de la mobilisation. En imposant de la sorte son projet de loi, le gouvernement a ainsi décidé de sceller son sort avec celui de cette réforme.
Ce que le gouvernement fait, la rue peut le défaire
En 2006 aussi le gouvernement Villepin avait tenter d’imposer le CPE (contrat première embauche) en recourant au 49-3. Les jeunes et les salarié•e•s ont amplifié leur mobilisation, et ont obtenu le retrait du texte après deux journées de grève générale avec 3 millions de manifestant•e•s. En matière de lois, il n’y a jamais de fatalité, rien n’est acquis ni gagné d’avance. Car le droit, ce n’est que l’inscription des rapports de forces sociaux dans des textes de lois. Ainsi, le code du travail lui-même a été le résultat de grèves particulièrement importantes menées en 1906 afin de disposer d’un socle minimum de droits égaux entre tou•te•s les travailleurs•euses. Nous pouvons donc encore obtenir le retrait total de cette loi et d’infliger une sacré défaite à ce gouvernement : pour cela, notre nombre et notre détermination seront nos principales armes.
Censurons le gouvernement par la grève de masse !
Le gouvernement joue un pari risqué en nous imposant sa loi de la sorte. Il fait face à un discrédit important, et pourrait bien y jouer sa peau ! Mais cette victoire, nous ne pouvons l’attendre que de nous même : la motion de censure ne viendra pas de l’Assemblée mais de notre mobilisation. Pour cela, il y a nécessité à amplifier le mouvement, et à imposer une grève d’ampleur au patronat : le moyen de pression le plus fort et le plus efficace dont disposent les travailleurs•euses.
Cependant, pour gagner, des grèves de 24 heures espacées de plusieurs jours, telles que les propose les directions syndicales, ne suffiront pas. Il faudra un vrai plan de bataille pour unifier et faire converger la colère qui existe dans de très nombreux secteurs de salarié. Il faudra réussir à se coordonner pour partir tou•te•s ensemble dans la bataille.
La jeunesse a encore un rôle central à jouer
Plus que jamais, les jeunes ont un rôle déterminant à jouer dans la nouvelle partie qui commence. Les jeunes étaient massivement présent•e•s lors des nombreux rassemblements et manifestations qui ont eu lieu le soir du passage de la loi au 49-3. Parce qu’elle s’est moins conformée aux pressions de la société et parce qu’elle est sousmise à des conditions de vies plus précaires, la jeunesse est toujours un élément détonateur et moteur des mobilisations sociales.
Dans les jours et les semaines qui viennent, il s’agit donc de réactiver l’ensemble des milieux qui se sont mobilisés durant les deux dernières mois, sur nos facs et sur nos lycées. L’usage du 49-3 a crée une colère importante, et cela pourrait bien participer à relancer la mobilisation dans la jeunesse. La fin d’année approchant à grand pas, il s’agit aussi de discuter dès maintenant des possibilités pour continuer à organiser la mobilisation une fois les facs fermées. En fonction des configurations locales, la poursuite de la mobilisation autour de pôles étudiants ou lycéens à Nuit Debout peut être une des perspectives à envisager. Il importe aussi de continuer à favoriser toutes les perspectives de convergence avec les salarié•e•s, car c’est quand nous serons toutes et tous ensemble dans la rue, que nous bloquerons l’économie par la grève, que nous imposerons une défaite au gouvernement… et qui sait, peut-être irons-nous encore plus loin !
Syl Vingt (EHESS)