Léon TROTSKY – 90 Ans de Manifeste Communiste (1938)

On a peine à croire que dix années seulement nous séparent du centenaire du Manifeste du parti communiste ! Ce manifeste, le plus génial de tous ceux de la littérature mondiale, surprend aujourd’hui encore par sa fraîcheur. Les parties principales semblent avoir été écrites hier. Vraiment, les jeunes auteurs (Marx avait vingt-neuf ans, Engels vingt-sept) ont su regarder vers l’avenir comme personne avant eux et, peut-être bien, après.

Déjà, dans la préface à l’édition de 1872, Marx et Engels ont indiqué que, bien que quelques parties secondaires du Manifeste eussent vieilli, ils ne se croyaient pas en droit de modifier le texte primitif, car, au cours des vingt-cinq années écoulées, le Manifeste était devenu un document historique. Depuis, soixante-cinq années se sont écoulées. Certaines parties isolées du Manifeste ont glissé plus profondément encore le passé. Nous nous efforcerons de présenter dans cette préface, sous une forme résumée, à la fois les idées du Manifeste qui ont intégralement conservé leur force jusqu’à nos jours, et celles qui ont aujourd’hui besoin de modifications sérieuses ou de compléments.

1. La conception matérialiste de l’histoire, découverte par Marx peu de temps seulement avant la publication du Manifeste et qui y est appliquée avec une parfaite maîtrise, a tout à fait résisté à l’épreuve des événements et des coups de la critique hostile : elle constitue aujourd’hui l’un des instruments les plus précieux de la pensée humaine. Toutes les autres interprétations du processus historique ont perdu toute valeur scientifique. On peut dire avec assurance qu’actuellement il est impossible non seulement d’être un militant révolutionnaire, mais tout simplement d’être un homme politiquement instruit sans s’être approprié la conception matérialiste de l’Histoire.

2. Le premier chapitre du Manifeste débute par la phrase suivante : « L’histoire de toute société passée est l’histoire de la lutte de classes. » Cette thèse, qui constitue la conclusion la plus importante de la conception matérialiste de l’Histoire, n’a pas tardé à devenir elle-même un objet de la lutte des classes. La théorie, qui remplaçait le « bien-être commun », « l’unité nationale » et les « vérités éternelles de la morale » par la lutte des intérêts matériels considérés comme la force motrice, a subi des attaques particulièrement acharnées de la part des hypocrites réactionnaires, des doctrinaires libéraux et des démocrates idéalistes. Vinrent s’ajouter à eux, plus tard, cette fois au sein du mouvement ouvrier lui-même, ceux qu’on appelait les révisionnistes ; c’est-à-dire les partisans de la révision du marxisme dans l’esprit de collaboration et de réconciliation entre les classes. Enfin, à notre époque, les méprisables épigones de l’Internationale Communiste (les « staliniens ») ont pris le même chemin : la politique de ce qu’on appelle les « fronts populaires » découle entièrement de la négation des lois de la lutte de classes. C’est pourtant l’époque de l’impérialisme qui, en poussant à l’extrême toutes les contradictions sociales, constitue le triomphe historique du Manifeste communiste.

3. L’anatomie du capitalisme en tant que stade déterminé de l’évolution économique de la société économique de la société a été expliquée par Marx dans son Capital sous une forme achevée (1867). Mais, déjà dans le Manifeste communiste, les lignes fondamentales de sa future analyse ont été tracées d’un ciseau ferme : la rétribution du travail dans la mesure indispensable à la production ; l’appropriation de la plus value ; la concurrence comme loi fondamentale des rapports sociaux ; la ruine des classes moyennes, c’est-à-dire de la petite bourgeoisie des villes et de la paysannerie ; la concentration des richesses entre les mains d’un nombre toujours plus réduit de possédants, à un pôle et l’augmentation numérique du prolétariat à l’autre ; la préparation des conditions matérielles et politiques du régime socialiste.

4. La thèse du Manifeste sur la tendance du capitalisme à abaisser le niveau de vie des ouvriers et même à les paupériser, a subi un feu violent. Les prêtres, les professeurs, les ministres, les journalistes, les théoriciens social-démocrates et les chefs syndicaux se sont élevés contre la théorie de la « paupérisation » progressive. Ils ont invariablement découvert le bien-être croissant des travailleurs en faisant passer l’aristocratie ouvrière pour le prolétariat ou en prenant une tendance temporaire pour une tendance générale. En même temps, l’évolution même du capitalisme le plus puissant, celui d’Amérique du Nord, a transformé des millions d’ouvriers en pauvres, entretenus aux frais de la charité étatique, municipale ou privée.

5. Par opposition au Manifeste qui décrivait les crises commerciales-industrielles comme une série de catastrophes croissantes, les révisionnistes affirmaient que le développement national et international des trusts garantit le contrôle du marché et mène graduellement à la domination des crises. Il est vrai que la fin du siècle dernier et le début de ce siècle se sont distingués par un développement tellement impétueux que les crises ne semblaient être que des accalmies « accidentelles ». Mais cette époque est irrémédiablement révolue. En dernière analyse, dans cette question également, la vérité s’est trouvée du côté du Manifeste.

6. « Le gouvernement moderne n’est qu’une délégation qui gère les affaires communes de toute la classe bourgeoise. » Dans cette formule concentrée qui paraissait aux chefs social-démocrates un paradoxe journalistique, se trouve en réalité contenue la seule théorie scientifique de l’Etat. La démocratie créée par la bourgeoisie n’est pas une coquille vide que l’on peut, ainsi que le pensaient à la fois Bernstein et Kautsky , remplir paisiblement du contenu de classe que l’on veut. La démocratie bourgeoise ne peut servir que la bourgeoisie. Le gouvernement de « Front populaire », qu’il soit dirigé par Blum ou Chautemps, [Largo] Caballero ou Negrin, n’est « qu’une délégation qui gère les affaires communes de toute la classes bourgeoise ». Quand cette « délégation » se tire mal d’affaire, la bourgeoisie la chasse d’un coup de pied.

7. « Toute lutte de classes est une lutte politique.  » « L’organisation des prolétaires en classe et, par suite, en parti politique. » A la compréhension de ces lois historiques, les syndicalistes d’un côté, les anarcho-syndicaliste de l’autre se sont longtemps dérobés et essaient aujourd’hui encore de se dérober. Le syndicalisme « pur » reçoit aujourd’hui un coup terrible dans son principal refuge, les Etats-Unis. L’anarcho-syndicalisme a subi une défaite irréparable dans son dernier bastion, l’Espagne. Dans cette question également le Manifeste a eu raison.

8. Le prolétariat ne peut conquérir le pouvoir dans le cadre des lois édictées par la bourgeoisie. « Les communistes proclament ouvertement que leur buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social traditionnel. » Le réformiste a essayé d’expliquer cette thèse du Manifeste par la non maturité du mouvement de l’époque et l’insuffisance du développement de la démocratie. Le sort des « démocraties » italienne, allemande et d’une longue série d’autres, démontre que, si quelque chose n’était pas mûr, il s’agissait des idées réformistes elles-mêmes.

9. Pour opérer la transformation socialiste de la société, il faut que la classe ouvrière concentre dans ses mains le pouvoir capable de briser tous les obstacles politiques sur la voie de l’ordre nouveau. Le « prolétariat organisé en classe dominante », c’est la dictature. En même temps, c’est la seule démocratie prolétarienne. Son envergure et sa profondeur dépendent des conditions historiques concrètes. Plus est grand le nombre des états qui s’engagent dans la révolution socialiste, plus les formes de dictature seront libres et souples, et plus la démocratie ouvrière sera large et profonde.

10. Le développement international du capitalisme implique le caractère international de la révolution prolétarienne. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de son émancipation. Le développement ultérieur du capitalisme a si étroitement lié les unes aux autres toutes les parties de notre planète, « civilisées » et « non-civilisées », que le problème de la révolution socialiste a complètement et définitivement pris un caractère mondial. La bureaucratie soviétique a essayé de liquider le Manifeste dans cette question fondamentale. La dégénérescence bonapartiste de l’Etat soviétique a été l’illustration meurtrière du mensonge de la théorie du socialisme dans un seul pays.

11. « Une fois que, dans le cours du développement, les différences de classe ont disparu et que toute la production est concentrée aux mains des individus associés, le pouvoir public perd son caractère politique. » Autrement dit l’Etat dépérit. Il reste la société, libérée de sa camisole de force. C’est cela le socialisme. Le théorème inverse, la monstrueuse croissance de la contrainte d’Etat en U.R.S.S. démontre que la société s’éloigne du socialisme.

12. « Les ouvriers n’ont pas de patrie. » Cette phrase du Manifeste a été souvent jugée par les philistins comme une boutade bonne pour l’agitation. En réalité, elle donnait au prolétariat la seule directive raisonnée sur le problème de la « patrie » socialiste. La suppression de cette directive par la II° internationale a entraîné non seulement la destruction de l’Europe pendant quatre années, mais encore la stagnation actuelle de la culture mondiale. Devant l’approche de la nouvelle guerre, le Manifeste demeure aujourd’hui encore le conseiller le plus sûr dans la question de la « patrie » capitaliste.

Nous voyons ainsi que le petit ouvrage des deux jeunes auteurs continue à fournir des indications irremplaçables dans les questions fondamentales et les plus brûlantes de la lutte de libération. Quel autre livre pourrait se mesurer, même de loin, avec le Manifeste communiste ? Cela ne signifie nullement, cependant, qu’après quatre-vingt-dix années de développement sans précédent des forces productives et de grandioses luttes sociales, le Manifeste n’ait pas besoin de corrections et de compléments. La pensée révolutionnaire n’a rien de commun avec l’idolâtrie. Les programmes et les pronostics se vérifient et se corrigent à la lumière de l’expérience, qui est pour la pensée humaine l’instance suprême. Des corrections et des compléments, ainsi qu’en témoigne l’expérience historique même, ne peuvent être apportés avec succès qu’en partant de la méthode qui se trouve à la base du Manifeste. Nous essaierons de le montrer en nous aidant des exemples les plus importants.

1. Marx enseignait qu’aucun ordre social n’abandonne la scène avant d’avoir épuisé ses possibilités créatrices. Le Manifeste flétrit le capitalisme parce qu’il entrave le développement des forces productrices. A son époque cependant, ainsi qu’au cours des décennies suivantes, cette entrave n’était que relative : si, dans la seconde moitié du XIX° siècle, l’économie avait pu être organisée sur les fondements socialistes, le rythme de sa croissance aurait été incomparablement plus rapide. Cette thèse, théoriquement incontestable, ne change rien au fait que les forces productives ont continué à croître, à l’échelle mondiale, sans interruption jusqu’à la guerre mondiale. Ce n’est qu’au cours des vingt dernières années qu’en dépit des découvertes les plus modernes de la science et de la technique, s’est ouverte la période de la stagnation directe et même du déclin de l’économie mondiale. L’humanité commence à vivre sur le capital accumulé et la prochaine guerre menace de détruire pour longtemps les bases même de la civilisation. Les auteurs du Manifeste escomptaient que le Capital se briserait longtemps avant de transformer, de régime relativement réactionnaire en un régime absolument réactionnaire. Cette transformation ne s’est précisée qu’aux yeux de la génération actuelle et elle a fait de notre époque celle des guerres, des révolutions et du fascisme.

2. L’erreur de Marx-Engels quant aux délais historiques découlait d’une part de la sous-estimation des possibilités ultérieures inhérentes au capitalisme et d’autre part de la surestimation de la maturité révolutionnaire du prolétariat. La révolution de 1848 ne s’est pas transformée en révolution socialiste, comme le Manifeste l’avait escompté, mais ouvrit par la suite à l’Allemagne la possibilité d’un épanouissement formidable. La Commune de Paris démontra que le prolétariat ne peut arracher le pouvoir à la bourgeoisie sans avoir à sa tête un parti révolutionnaire éprouvé. Or la longue période d’essor capitaliste qui suivit entraîna, non l’éducation d’une avant-garde révolutionnaire, mais au contraire, la dégénérescence bourgeoise de la bureaucratie ouvrière, qui devint à son tour le frein principal de la révolution prolétarienne. Cette « dialectique », les auteurs du Manifeste ne pouvaient la prévoir eux-mêmes.

3. Le capitalisme, c’est, pour le Manifeste, le règne de la libre concurrence. Parlant de la concentration croissante du Capital, le Manifeste n’en tire pas encore la nécessaire conclusion au sujet du monopole qui est devenu la forme dominante du Capital à notre époque et la prémisse la plus importante de l’économie socialiste. Ce n’est que plus tard que Marx constata que dans son Capital la tendance à la transformation en monopole de la libre concurrence. La caractéristique scientifique du capitalisme de monopole a été donnée par Lénine dans son Impérialisme.

4. Se référant surtout à l’exemple de la « révolution industrielle » anglaise, les auteur du Manifeste se représentaient de façon trop rectiligne le processus de liquidation des classes intermédiaires sous la forme d’une prolétarisation totale de l’artisanat, du petit commerce et de la paysannerie. En réalité, les forces élémentaires de la concurrence sont loin d’avoir achevé cette œuvre à la fois progressiste et barbare. Le Capital a ruiné la petite bourgeoisie beaucoup plus vite qu’il ne l’a prolétarisée. En outre, la politique consciente de l’Etat bourgeois vise depuis longtemps à conserver artificiellement les couches petites bourgeoises. Le développement de la technique et la rationalisation de la grande production, tout en engendrant un chômage organique, freinent, à l’opposé, la prolétarisation de la petite bourgeoisie. En même temps, le développement du capitalisme a accru de façon extraordinaire l’armée des techniciens, des administrateurs, des employés de commerce, en un mot de tout ce qu’on appelle « la nouvelle classe moyenne ». Le résultat en est que les classes moyennes, dont le Manifeste prévoit de façon si catégorique la disparition, constituent, même dans un pays aussi industrialisé que l’Allemagne, à peu près la moitié de la population. La conservation artificielle des couches petites-bourgeoises depuis longtemps périmées n’atténue cependant en rien les contradictions sociales. Au contraire, elle les rend particulièrement morbides. S’ajoutant à l’armée permanente des chômeurs, elle est l’expression la plus malfaisante du pourrissement du capitalisme.

5. Le Manifeste, conçu pour une époque révolutionnaire contient (à la fin de son second chapitre) dix revendications qui correspondent à la période de la transition immédiate du capitalisme au socialisme. Dans leur préface de 1872 Marx et Engels indiquèrent que ces revendications étaient en partie vieillies et qu’elles n’avaient plus en tout cas qu’une signification secondaire. Les réformistes se sont emparés de cette appréciation ; ils l’on interprétée dans le sens que les mots d’ordre révolutionnaires transitoires cédaient définitivement la place au « programme minimum » de la social-démocratie qui, lui, comme on le sait, ne sortait pas du cadre de la démocratie bourgeoise. En réalité, les auteurs du Manifeste ont indiqué de façon très précise la principale correction à apporter à leur programme de transition, à savoir : « Il ne suffit par que la classe ouvrière s’empare de la machine d’état pour la faire servir à sa propre fin ». Autrement dit, la correction visait le fétichisme de la démocratie bourgeoise. A l’Etat capitaliste, Marx opposa plus l’état de type de la Commune. Ce « type » a pris, par la suite, la forme beaucoup plus précise des soviets. Il ne peut y avoir aujourd’hui de programme révolutionnaire sans soviets et sans contrôle ouvrier. Quant à tout le reste, aux dix revendications du Manifeste, qui, à l’époque de la paisible activité parlementaire, apparaissaient « archaïques », elle ont jusqu’à présent revêtu toute leur importance. Ce qui est, en revanche, vieilli sans espoir, c’est le « programme minimum  » social-démocrate.

6. Pour justifier l’espoir que « la révolution bourgeoise allemande ne peut être que le prélude de la révolution prolétarienne », le Manifeste invoque les conditions générales beaucoup plus avancées de la civilisation européenne par rapport à l’Angleterre du XVI° siècle et à la France au XVII°, et le développement bien supérieur du prolétariat. L’erreur de ce pronostic ne consiste pas seulement dans l’erreur sur le délai. Quelques mois plus tard, la révolution de 1848 montra précisément que, dans la situation d’une évolution plus avancée, aucune des classes bourgeoises n’est capable de mener jusqu’au bout la révolution : la grande et moyenne bourgeoisie est trop liée aux propriétaires fonciers et trop soudée par la peur des masses ; la petite bourgeoisie est trop dispersée et trop dépendante, par l’intermédiaire de ses dirigeant de la grande bourgeoisie. Comme l’a démontré l’évolution ultérieure en Europe et en Asie, la révolution bourgeoise, prise isolément, ne peut plus du tout se réaliser. La purification de la société des défroques féodales n’est possible que si le prolétariat, libéré de l’influence des partis bourgeois, est capable de se placer à la tête de la paysannerie et d’établir sa dictature révolutionnaire. Par là-même, la révolution socialiste pour s’y dissoudre ensuite. La révolution internationale devient ainsi un chaînon de la révolution internationale. La transformation des fondements économiques et de tous les rapports de la société prend un caractère permanent. La claire compréhension du rapport organique entre la révolution démocratique et la dictature du prolétariat et, par conséquent, avec la révolution socialiste internationale, constitue, pour les partis révolutionnaires des pays arriérés d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique, une question de vie ou de mort.

7. En montrant comment le capitalisme entraîne dans son tourbillon les pays arriérés et barbares, le Manifeste ne mentionne pas la lutte des peuples coloniaux et semi-coloniaux pour leur indépendance. Dans la mesure où Marx et Engels pensaient que la révolution socialiste, « dans les pays civilisés tout au moins », était l’affaire des années prochaines, la question des colonies était, à leur yeux, résolue, non comme résultat d’un mouvement autonome des peuples opprimés, mais comme résultat de la victoire du prolétariat dans les métropoles du capitalisme. C’est pourquoi les questions de la stratégie révolutionnaire dans les pays coloniaux et semi-coloniaux ne sont même pas effleurées dans le Manifeste. Mais ces question exigent des solution particulières. Ainsi, par exemple, il est bien évident que si la « patrie nationale » est devenu le pire frein historique dans les pays capitalistes développés, elle reste encore un facteur relativement progressiste dans les pays arriérés qui sont obligés de lutter pour leur existence et leur indépendance.  » Les communistes, déclare le Manifeste, appuient dans tous les pays tout mouvement révolutionnaire contre l’ordre politique et social existant. » Le mouvement des race de couleur contre les oppresseurs impérialistes est l’un des mouvement les plus puissants et les plus important contre l’ordre existant et c’est pourquoi il lui faut le soutient complet, sans réticence, du prolétariat de race blanche. Le mérite d’avoir développé la stratégie révolutionnaire des peuples opprimés revient surtout à Lénine.

8. La partie la plus vieillie du Manifeste – non quant à la méthode, mais quant à l’objet – est la critique de la littérature « socialiste » de la première moitié du XIX° siècle, et la définition de la position des communistes vis-à-vis des différents partis d’opposition. Les tendances et partis énumérés dans le Manifeste ont été balayés si radicalement par la révolution de 1848 ou par la contre-révolution qui suivit, que l’histoire ne les mentionne même plus. Cependant, dans cette partie également le Manifeste nous est peut être aujourd’hui plus proche qu’à la génération précédente. A l’époque de la prospérité de la II° internationale, lorsque le marxisme semblait régner sans conteste, les idées du socialisme d’avant Marx pouvaient être considérées comme définitivement révolues. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La décadence de la social-démocratie et de l’Internationale Communiste engendre à chaque pas de monstrueuses récidives idéologiques. La pensée sénile retombe pour ainsi dire dans l’enfance. A la recherche des formules de salut, les prophètes de l’époque du déclin redécouvrent les doctrines depuis longtemps enterrées par le socialisme scientifique. En ce qui concerne la question des partis d’opposition, les décennies écoulées y ont apporté les plus profonds changements : non seulement les vieux partis ont été remplacés depuis longtemps par de nouveaux, mais encore le caractère même des partis et de leurs rapports mutuels s’est radicalement modifié dans les conditions de l’époque impérialiste. Le Manifeste doit donc être complété par les principaux documents des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, par le littérature fondamentale du bolchevisme et les décisions de conférences de la IV° internationale.

Nous avons rappelé ci-dessus que, pour Marx, aucun ordre social ne quitte la scène avant d’avoir épuise ses possibilités. Cependant l’ordre social, même périmé, ne cède pas la place à un ordre nouveau sans résistance. La succession des régimes sociaux suppose la lutte de classe le plus âpre, c’est-à-dire la révolution. Si le prolétariat, pour une raison ou pour une autre, s’avère incapable de renverser l’ordre bourgeois qui se survit, il ne reste au capital financier, dans sa lutte pour maintenir sa domination ébranlée, qu’à transformer la petite bourgeoisie, qu’il a conduite au désespoir et à la démoralisation, en une armée de pogrome du fascisme. La dégénérescence bourgeoise de la social-démocratie et la dégénérescence fasciste de la petite bourgeoisie sont entrelacées comme cause et effet.

Aujourd’hui, la III° internationale mène dans tous les pays avec une licence plus effrénée encore, son œuvre de tromperie et de démoralisation des travailleurs. En frappant l’avant-garde du prolétariat espagnol, les mercenaires sans scrupules de Moscou non seulement, fraient la voie au fascisme, mais encore réalisent une bonne partie de sa besogne. La longue crise de la culture humaine, se ramène au fond à la crise de la direction révolutionnaire.

Héritière de la grande tradition dont le Manifeste du parti communiste est le chaînon le plus précieux, la IV° Internationale éduque de nouveaux cadres pour résoudre les tâches anciennes. La théorie est la réalité généralisée. La volonté passionnée de refondre la structure de la réalité sociale s’exprime dans une attitude honnête à l’égard de la théorie révolutionnaire. Le fait qu’au sud du continent noir, nos camarades d’idées aient traduit pour la première fois le Manifeste dans la langue des Africains Boers constitue une confirmation éclatante du fait que la pensée marxiste n’est aujourd’hui vivante que sous le drapeau de la IV° internationale. L’avenir lui appartient. Au centenaire du Manifeste communiste, la IV° Internationale sera la force révolutionnaire déterminante sur notre planète.