Les printemps arabes, révolution et contre-révolution en Egypte [Topo WEF Juin 2024]

Topo de Sam du 92 et d’Amaury de Rouen

Les Printemps Arabes : Révolution et Contre-Révolution en Égypte

Introduction :

Dans le cadre de ce WEF, on a pensé qu’il était intéressant de parler des Printemps Arabes, en effet, souvent on pense que la Révolution c’est de l’histoire ancienne, mais en fait on oublie qu’elles ébranlent encore le monde aujourd’hui, étant donné qu’on parle d’événements qui ont eu lieu en 2011. Dans ce topo, on a choisi de se concentrer sur le cas de la Révolution Égyptienne, puisque c’est celle qui a bouleversé la vie du plus de monde, l’Egypte étant de très loin le pays Arabe le plus peuplé, et surtout qu’elle a montré les formes les plus abouties des luttes révolutionnaires du XXIème siècle et qu’elle permet ainsi de tirer de véritables enseignements pour le mouvement révolutionnaire international aujourd’hui.

A- L’Egypte, le contexte d’un pays sous domination impérialiste :

Pour comprendre la Révolution Égyptienne, il faut tout d’abord comprendre le contexte de soumission à l’impérialisme qui domine le pays.

I- Semi-colonie Britannique et économie rurale :

Dans la première moitié du 19e siècle, l’Égypte était encore sous la souveraineté de l’Empire Ottoman. Mais à partir de là fin du 19e il est sous domination de la France et de l’Angleterre. La construction du canal de Suez marque une étape décisive dans cet assujettissement de l’Égypte. Le canal de Suez porte de gros enjeux économiques car il permet aux navires d’aller d’Europe en Asie sans devoir contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance et sans devoir passer par la voie terrestre entre la Méditerranée et la mer Rouge – ce qui impacte de manière gigantesque le transport des marchandises. Pour donner une idée de ce que ça représente encore aujourd’hui : sur l’année fiscale 2022-2023, le canal de Suez avait rapporté à l’Etat Egyptien environ 8,6 milliards d’euros.

Pour financer les travaux du canal, l’État Egyptien s’endette et se retrouve mis sous tutelle par ses bailleurs franco-anglais. Symbole de la domination impérialiste, le canal de Suez devint la propriété d’une compagnie Franco-Britannique. En 1882 le Royaume-Uni envoie des troupes occuper le territoire et devient le véritable maître de l’Égypte.

En 1919, une révolution éclate qui gagne l’indépendance de l’Égypte qui devient un État formellement indépendant en 1922, avec à sa tête un roi. Mais en réalité, l’Égypte reste une semi-colonie de la Grande-Bretagne dont le contrôle était garanti par une présence militaire permanente.

Ce sont donc les Britanniques qui ont favorisé le développement de la culture du coton en Égypte. Du coup, une industrie textile connut un certain essor mais l’ensemble de l’économie Egyptienne resta peu développé et subordonné aux capitaux étrangers d’origine européenne. À la veille de la Deuxième Guerre mondiale, l’Égypte était un pays très majoritairement rural. Les campagnes étaient dominées par une minorité de grands propriétaires : 3 000 familles très riches se partageaient près de 20 % des terres pendant que la grande masse des paysans Egyptiens devaient survivre en cultivant de petites parcelles avec des moyens archaïques.

II-Nationalisme et développement capitaliste :

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, comme dans le reste du Moyen-Orient, un sentiment de révolte contre la présence impérialiste se manifesta avec de plus en plus de virulence, gagnant presque toutes les couches de la société.

1-Les “Officiers Libres” et la réforme agraire :

C’est dans ce contexte qu’en 1952, eurent lieu dans toute l’Égypte des manifestations et des grèves. Cela devait marquer le début de la fin du régime monarchique qui fut renversé par un coup d’État militaire en juillet 1952.

Le groupe d’officiers qui en était à l’origine, les « Officiers libres », dirigé par Mohamed Neguib, était inspiré par des idées nationalistes qui avaient gagné aussi une partie de l’armée, de son encadrement.

Dès leur arrivée au pouvoir, les « Officiers libres » lancèrent une réforme agraire. En fixant une limite maximum à la taille des propriétés, elle visait à faire disparaître la très grande propriété foncière, soutien traditionnel de la monarchie et des classes privilégiées liées à l’impérialisme. Cette réforme très limitée ne changea pas la situation de la grande masse des paysans. On estime que 13 % des terres furent redistribuées à seulement 8 % de la population rurale.

2-Nasser l’anti-colonial, l’Etat et les investissements de capitaux :

Au bout de deux ans, l’un de ces officiers, Gamal Abdel Nasser, évinça Neguib et s’imposa comme le principal dirigeant. L’objectif de Nasser était d’affirmer l’indépendance de l’Égypte vis-à-vis des grandes puissances impérialistes et, en particulier, vis-à-vis des Britanniques. En dirigeant nationaliste, il chercha à développer l’économie de l’Égypte et cela l’amena à s’affronter à l’impérialisme.

Nasser avait pour projet dans son plan de modernisation de l’Egypte, la construction d’un barrage sur le Nil, à Assouan, qui devait permettre de réguler les crues du fleuve et d’augmenter la production agricole. En 1956, devant le refus des États-Unis de prêter à l’Égypte l’argent nécessaire à la construction du barrage d’Assouan, Nasser se tourna vers l’URSS qui, en quête d’alliés face aux États-Unis, lui offrait son aide.

Pour trouver les ressources qui lui étaient refusées, le 26 juillet 1956, Nasser annonça la nationalisation du canal de Suez. En prenant cette mesure, il défiait ouvertement les puissances impérialistes qui avaient pendant plus d’un siècle soumis l’Égypte à leur domination et déclenche ce qu’on appelle la crise du canal de Suez. Les gouvernements Français et Britannique élaborent, en alliance avec l’État israélien, une intervention militaire dans la plus pure tradition coloniale. En novembre 1956, un contingent Franco-Britannique débarqua à Port-Saïd, sur le canal de Suez. Mais l’impérialisme américain, qui avait un certain intérêt à ce que ses concurrents Français et anglais soient évincés du Moyen-Orient, exigea l’arrêt de l’opération. La France et le Royaume-Uni furent contraints d’évacuer piteusement leurs troupes défaites. Sorti vainqueur de cette épreuve de force, Nasser devint pour toute une période le symbole de la lutte anticolonialiste du monde Arabe.

À partir des années soixante, l’État nationalisa la plus grande partie de l’économie. Malgré ce que Nasser tente de faire croire, cette politique n’avait rien de « socialiste ». En fait, la politique de Nasser s’inscrit dans le mouvement du Nationalisme Arabe, l’idée qu’il faut, dans les pays Arabes sous domination impérialiste, développer une bourgeoisie nationale qui ne soit plus les capitalistes des pays impérialistes, mais une bourgeoisie quand même, le but n’est pas du tout de mettre fin à l’exploitation de la classe ouvrière. L’objectif principal est de se débarrasser du contrôle impérialiste afin de pouvoir développer un capitalisme

national. La bourgeoisie nationale, bien qu’elle puisse jouer un rôle progressiste dans la lutte contre l’impérialisme, n’a donc aucun intérêt à mettre fin à l’exploitation et à l’émancipation complète des peuples Arabes. Même si évidemment Nasser revêt un vernis très social et même radical il faut garder en tête que ce sont ces intérêts-là qui sont défendus.

A la mort de Nasser en 1970, c’est un ancien membre des officiers libres qui lui succède, Sadate. Très vite, il opère un virage important, défendant l’ouverture de l’Egypte sur le plan économique. Il revient alors vers les impérialistes, fait la paix avec Israël en 1979 et fait de l’Égypte l’un des relais de l’impérialisme états-unien au Moyen-Orient face à l’URSS. Il est assassiné en 1981 par des militants islamistes qui l’accusent d’avoir trahi la cause Arabe.

Le successeur de Sadate, Hosni Moubarak, était lui aussi issu de l’armée. Il accentua la politique de libéralisation de l’économie : à partir du début des années 1990, les privatisations s’accélérèrent. En contrepartie d’un prêt accordé par le FMI, Moubarak s’engage à démanteler le secteur public, les monopoles d’État et à diminuer les subventions aux produits de consommation. Ces politiques ont eu pour conséquence la croissance de la pauvreté d’un côté et de la richesse de l’autre.

III-Lutte de classes en Egypte :

Comme partout dans le monde, l’Egypte est un pays où la lutte des classes fait rage, et elle prend des aspects particuliers dans ce pays sous domination impérialiste

1-Naissance d’un prolétariat qui lutte :

Le développement rapide du capitalisme implique bien-sûr la constitution d’une classe de prolétaires. Cette constitution se fait très rapidement sur la base de l’exode rural, en raison de l’accroissement démographique (l’Egypte passe de 26M habitants en 1960 à 110M d’habitants en 2022), les enfants des paysans doivent quitter leur campagne natale pour aller vendre leur force de travail dans les industries des villes. Aujourd’hui le processus ne ralentit pas et 70% des Egyptiens vivent désormais en ville et les paysans continuent de fuir toujours plus la misère des campagnes.

L’Egypte possède ainsi une classe ouvrière très nombreuse avec officiellement 35M de prolétaires, en réalité beaucoup plus car énormément d’Égyptiens vivent d’emplois informels (sans contrat de travail), y compris des emplois stables de plusieurs années.

Dès sa constitution, le prolétariat Egyptien est marqué par les luttes, en particulier car il doit se mobiliser contre l’impérialisme, même si au début du XXème siècle, c’est l’idéologie Staliniste qui parvient à étendre son emprise sur les masses en lutte. Mais ce qui qui est clair c’est que dès la création des premières grosses concentrations d’ouvriers, des grèves éclatent pour les conditions de vie et de travail.

Sous Nasser, celui-ci “concède” (en vérité cède à contrecœur car il craint la force des travailleurs) de créer une législation sociale avec une semaine de 42h et une redistribution de 25% des profits nets d’une entreprise aux travailleurs (ce qui est en partie un piège car cela les intéresse à produire plus pour l’entreprise, de plus les entreprises contournent très souvent cette règle par des niches fiscales en cachant leurs bénéfices, grugeant ainsi les primes des travailleurs), ainsi qu’à recruter dans les services publics. Cependant c’est clair, s’il fait ces concessions c’est bien pour garder la main sur le pays.

2-Dictature et ultra-répression :

En effet, toute forme de contestation est réprimée avec une violence, souvent caractéristique des états sous domination impérialiste. Sans moyens pour investir massivement et forcée de devenir rapidement concurrentielle avec le reste du monde, la

bourgeoisie Egyptienne ne peut pas se permettre de lâcher au prolétariat, même des miettes souvent concédées dans les vieux pays impérialistes qui ont fait leur révolution industrielle des décennies auparavant. Ce qui est accordé aux travailleurs, c’est le strict minimum pour acheter la paix sociale.

Ainsi, le gouvernement réprime violemment les éléments perturbateurs, en particulier les militants et syndicalistes communistes (en réalité stalinistes) qui sont jetés par milliers en prisons, intimidés et torturés. L’Etat Egyptien disposait d’une police politique, la Sécurité d’Etat qui espionnait, arrêtait et torturait sans contrôle les militants.

Pour assurer la répression, l’Etat pouvait compter sur une police nombreuse et absolument corrompue, police que le peuple savait son ennemi, celle-ci ne s’en cachait d’ailleurs pas et assumait souvent ouvertement de défendre Nasser puis Moubarak et les entreprises qui leur filaient des pots-de-vin. Il pouvait aussi compter sur une armée très nombreuse, d’autant plus nombreuse qu’il y avait un service militaire de 1 à 3 ans, imprégnant donc l’ensemble de la société. Sa présence pouvait s’imposer partout d’autant plus facilement que l’Etat Egyptien maintenait un état militaire permanent avec ses voisins (en particulier l’Etat Israélien) et que les officiers étaient organiquement liés au pouvoir et à la propriété des capitaux. Comme déjà dit en effet, cela fait des décennies que le gouvernement Egyptien est dirigé par des militaires.

3-Outils de contrôle :

En plus de la force brute, l’ordre établi peut bénéficier de formes de contrôle sociales très importantes sur sa population

L’une des principales formes de contrôle social au service du pouvoir Egyptien, c’est la Religion institutionnelle. La population Égyptienne est très croyante en Dieu et est à 90% Musulmane, à 9% Chrétienne Copte et à 1% Juive. Un certain nombre de savants religieux musulmans sont de pleine connivence avec le pouvoir et sont d’ailleurs pour beaucoup eux-mêmes des propriétaires de capitaux. Ils diffusent en permanence chez les musulmans un discours de soumission à l’égard du régime et défendent un véritable mythe d’un peuple Egyptien de nature profondément docile et soumise. Le clergé Copte est lui aussi de totale connivence avec l’ordre en place et passe son temps à condamner toute forme de violence et à prôner la paix sociale. Enfin, la minorité Juive sert de bouc-émissaire dans les conflits sociaux, d’autant plus évidemment que l’Etat Egyptien est en guerre permanente avec l’Etat Israélien. La religion est d’ailleurs utilisée largement comme outil de division, par exemple le mariage est impossible entre Coptes et Musulmans ce qui réduit les possibilités d’unité du prolétariat Egyptien.

L’Etat bénéficie aussi de la connivence de toutes les “oppositions politiques”. Évidemment toutes les oppositions politiques réellement menaçantes pour l’ordre établi sont réprimées dans la violence par la Sécurité d’Etat mais l’Etat laisse vivoter un semblant de démocratie via quelques partis politiques parfaitement inoffensifs et qui se rallient au gouvernement à la première occasion. Le seul “vrai” parti d’opposition est celui des Frères Musulmans. Ce groupe de l’Islam politique est apparu dans les années 1920 dans différents pays du monde Arabo-Musulman avec comme précepte de “revitaliser la société Arabe et remettre le pouvoir sur le droit chemin” (celui de l’Islam). Ils sont utilisés par Sadate – le successeur de Nasser – qui y voit une force Musulmane qui peut contrebalancer le pouvoir des forces impérialistes, mais aussi par la bourgeoisie en général, dont les impérialistes eux-mêmes, car ils concurrencent aussi l’influence du mouvement ouvrier. En effet ils proposent “d’améliorer” les dirigeants et pas du tout que le peuple prenne le pouvoir. Leur influence dans les masses, en particulier pauvres, est de plus en plus importante du fait de l’importance de leurs œuvres sociales et à partir des années 1980, ils deviennent des candidats sérieux à la gestion du pouvoir, mais encore une fois ils rejettent l’indépendance politique des masses et leur objectif politique est l’établissement de la Charia (la loi Islamique).

Dans la même logique de neutralisation de la contestation ouvrière, l’Etat peut aussi compter sur les bureaucraties syndicales. La classe ouvrière Egyptienne a en effet rapidement saisi l’intérêt de s’organiser pour défendre ses droits à travers des syndicats qui sont bien-entendus interdits. Le pouvoir de Nasser y voit une opportunité pour encadrer la classe ouvrière et en 1957 est créé l’ETUF, une centrale syndicale unique. Sa bureaucratie est tellement intégrée à l’appareil d’Etat qu’en 1962, le président de l’ETUF est nommé Ministre du Travail. Les ouvriers vont s’organiser à travers des syndicats indépendants mais ceux-ci seront soit réprimés dans la plus grande violence, soit intégrés à leur tour à l’ETUF. Enfin, le pouvoir dispose d’un contrôle total sur les médias. La censure règne bien évidemment et les chaînes de télévision du gouvernement diffusent en permanence des informations favorables au régime. En plus de ça, le régime n’hésite pas à couper internet ou les réseaux sociaux lorsqu’éclatent des troubles sociaux.

B- L’irruption des masses sur la scène politique :

Mais à partir de décembre 2010, tout s’accélère. Les masses vont faire irruption sur la scène politique contre tout ce système qu’on vient de décrire, et la Révolution va une nouvelle fois “ébranler le monde”.

I-Le climat des Printemps Arabes :

En effet, c’est de décembre 2010 à mi-2012 (principalement sur l’année 2011) que l’on va connaître la période dite des Printemps Arabes, un nom qui fait référence au Printemps des Peuples, le grand mouvement révolutionnaire qui traversa l’Europe en 1848.

1-Révoltes au Maghreb et au Moyen Orient :

Le “Monde Arabe” connaît en effet de façon simultanée, une série de Soulèvements allant de grandes grèves à des Révolution nationales et qui toucheront tout le Maghreb (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Sahara Occidental, Tunisie) et le Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Bahreïn, Egypte, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Oman, Palestine, Syrie, Yémen ; pas vraiment les Emirats-Arabes-Unis et le Qatar) et même au-delà du Monde strictement Arabe (Iran, Israël, Somalie, Djibouti, Soudan, Mali, Burkina-Faso).

Il s’agit principalement d’une vague de protestations sociales pour une amélioration des conditions de vie et contre l’autoritarisme de ces Etats, en particulier face à l’augmentation du prix des denrées alimentaires, qui se sont souvent accompagnées de revendications démocratiques, dans ces pays marqués par la domination impérialiste.

Ces mouvements de protestation qu’on désigne sous le terme général de Printemps Arabes ont en réalité pris des formes très différentes, allant de quelques manifestations, à des grèves de masse avec occupation et aboutissant à des résultats allant de quelques réformes sociales (comme au Maroc) à des Révolutions (comme en Egypte ou en Tunisie), éventuellement à des guerres civiles intenses (comme en Syrie).

L’explosion sociale simultanée de cette région du monde n’est évidemment pas un hasard si l’on considère que d’une part les pays de la région ont des liens économiques intenses entre eux et sont sous la domination des mêmes puissances impérialistes, et sont donc soumis aux mêmes crises ; d’autre part si l’on considère que ces mouvements se sont influencés les uns les autres par leur proximité géographique et structurelle mais aussi par l’intermédiaire des communications et des médias aidés par la langue commune Arabe.

2-Chute du régime Tunisien :

On peut considérer que la Tunisie a été “l’étincelle” des Printemps Arabes. En effet, sur fond d’un climat social très tendu en particulier dû au coût de la vie et au niveau de corruption et de violence du régime, Mohamed Bouazizi, un marchand de légume s’immole par le feu en décembre 2010, suite à la confiscation de sa marchandise par la police. Vont s’en suivre d’énormes manifestations continues durant quatre semaines qui pousseront le dictateur Ben Ali à fuir le pays en janvier 2011.

Malgré la répression féroce des forces de police, les manifestations ne désemplissent pas et les couches dominantes se voient contraintes d’accepter une révolution démocratique pour mettre fin au mouvement. La chute rapide du régime de dictature sous la pression des masses va alors avoir une influence sur les pays voisins et donner confiance aux masses Arabes pour faire leurs propres révolutions.

II- Explosion Égyptienne :

A partir de janvier 2011, c’est au tour du peuple Egyptien de connaître sa Révolution. C’est une “explosion” qui va avoir lieu dans le pays durant un mois.

1-Protestations contre la dictature :

Suite à l’assassinat du jeune Khaled Saïd par la Sécurité d’Etat (la police politique) après des heures de torture, de nombreux Egyptiens, en particulier des jeunes, décident de manifester contre le régime de dictature de Hosni Moubarak.

Des manifestations spontanées, organisées à la dernière minute sur les réseaux sociaux pour déjouer la Sécurité d’Etat ont lieu dans les grandes villes et réclament la fin de la torture et de la censure. Très vite, les manifestants réclament la chute de Moubarak et commencent à remettre en cause l’ordre établi, la place de la religion ou l’accaparement des richesses du pays par des fonctionnaires corrompus.

2-Grèves massives :

A travers tout le pays, des grèves éclatent dans les usines, dans la continuité en réalité d’une vague de grève ayant commencé dès 2006-2007. La principale raison de ces grèves est le fait que les primes prévues dans les contrats de travail (et qui représentent une part importante voire dominante du revenu des travailleurs Égyptiens) ne sont pas versées (alors qu’obligatoires) sous prétexte que les entreprises ne font pas assez de profits.

Les travailleurs se mettent donc en grève par milliers et occupent souvent leurs usines. On peut prendre l’exemple des ouvriers de la filature Misr, usine géante de 20 000 ouvriers et foyer de révolte ayant connu de nombreuses grèves depuis les années 2000, où les ouvriers plantent leurs tentes dans l’usine et placardent leurs revendications écrites dont la démission du dirigeant corrompu de l’entreprise, l’augmentation des salaires et l’attribution de logements.

Ces occupations bien que parfois réprimées, ne subissent pas toute la violence de l’Etat car l’armée va laisser faire en partie, au moins dans les usines qui appartiennent à des capitalistes Occidentaux. On observe alors des embryons de contrôle ouvrier sur certaines usines où des conseils de gestion composés de travailleurs sont élus pour organiser la production.

Cependant ces conseils de gestion sont occupés souvent par des syndicalistes combatifs mais dévoyés par les bureaucraties. Ils tiennent à agir dans le plus grand respect des cadres pour ne pas risquer le conflit ouvert avec l’armée et ne prélèvent sur la marchandise que les salaires contractuels (certes bien supérieurs aux salaires qui étaient réellement payés avant) et continuent de verser tous les bénéfices aux patrons.

Ainsi les patrons ont le beurre et l’argent du beurre, les travailleurs (qui sont bien entendu les plus à même de gérer la production comme on le dit tout le temps) gèrent la production de ce qu’ils considèrent d’une certaine manière comme leur usine (ce qui améliore la production), et versent les bénéfices aux patrons qui n’ont même plus à se creuser la tête pour optimiser la production ou pour assurer la répression.

3-La Place Tahrir ou faire tenir la lutte :

Mais le lieu emblématique de la Révolution Égyptienne, c’est la Place Tahrir. Après les premières manifestations dans les rues du Caire, les manifestants se retrouvent encerclés par la police place Tahrir et en commencent l’occupation.

Les milliers de personnes (majoritairement des jeunes) présentes, élisent un comité pour organiser l’occupation. Ils organisent un service d’ordre pour contrer les attaques de la police. En se basant sur la grande solidarité des occupants, ils organisent l’approvisionnement en nourriture. Ils s’occupent aussi de contacter et d’accueillir la presse internationale pour apparaître immédiatement sous un autre jour que celui que montre le régime.

Dans ce grand mouvement d’occupation, on assiste surtout au dépassement des divisions sociales. Ainsi, dans une société qui assure aux femmes une place rétrograde, on observe pourtant énormément de femmes sur la place Tahrir, celles-ci sont totalement mélangées aux hommes (ce qui ne se fait pas normalement) et même si quelques-uns élèvent la voix contre (en particulier des membres des Frères Musulmans), ils sont remis à leur place par les autres. Les femmes voilées comme non voilées circulent librement et on ne relève pas de cas d’agressions entre manifestants. Sur le plan religieux, les Musulmans et les Coptes qui sont habitués à un climat de méfiance réciproque, se côtoient quotidiennement et dépassent les divisions artificielles de la religion institutionnelle, organisant même des prières / messes communes avec imam et prêtre pour officier.

Le mouvement de lutte collective adopte ainsi un caractère fondamentalement progressiste que ce soit sur des critères sociétaux où sur la possibilité de voir un monde où ce sont les gens qui dirigent eux-mêmes la société de façon démocratique. C’est à tel point que certains commentateurs viennent à parler de “Commune de Tahrir”.

4-L’outil répressif :

Mais bien évidemment, le pouvoir en place ne peut pas laisser faire ça et il va déployer tout l’arsenal répressif.

Bien-sûr le gouvernement a recourt à toute la répression violente habituelle : intimidations individuels, torture, assassinats… Il décide aussi d’envoyer la police, totalement à son service, tirer à balles réelles sur la foule (ce qu’elle fera sans hésiter), tuant environ 900 personnes et faisant au moins 4k blessés. La police va aussi mener une politique de répression par l’humiliation spécialement à l’intention des femmes, très impliquées dans le mouvement et décidément trop émancipées pour le régime, en pratiquant des humiliations sexuelles et des “tests de virginité” sur de nombreuses femmes arrêtées dans le but de les briser psychologiquement. Le gouvernement va aussi faire appel à des lumpenprolétaires qu’il arme, les beltagui, pour aller casser les manifestants de la place Tahrir.

Face au danger révolutionnaire bien réel, la bourgeoisie va mettre tout en œuvre pour écraser le mouvement, par la violence mais aussi par une immense machine de propagande faisant appel aux propriétaires de médias et aux célébrités. Ces membres de la bourgeoisie nationale savent très bien à qui ils sont redevables de leurs avantages matériels et choisissent pour beaucoup avec zèle le camp de l’Etat et n’ont aucun scrupule à répandre de fausses informations. Mais quand certains sont un peu trop scrupuleux ou bien n’ont pas envie de dépenser leur précieux argent pour le gouvernement et préfèrent laisser leurs concurrents le dépenser à leur place pour prendre de l’avance dans la course au profit, l’Etat n’hésite pas à les menacer à leur tour, en effet la situation est trop critique et les régimes dictatoriaux savent contrôler leur bourgeoisie quand c’est nécessaire (sans bien-sûr arrêter d’assurer leurs profits).

En particulier, les médias vont répandre une propagande comme quoi cette révolution n’est qu’un “complot organisé par les Juifs et les Francs-Maçons” (sic) et que les jeunes de la place Tahrir ont été payés plusieurs milliers de dollars par des puissances étrangères pour déstabiliser le pays et ont suivi un entraînement à l’agitation politique en Israël. En réalité c’est un phénomène absolument courant de rattacher les désordres internes causés par la lutte des classes, au complot d’éléments allogènes cherchant à déstabiliser le pays, au détriment du “peuple”. C’est une mécanique qui sert à faire jouer des principes nationalistes et à rétablir la crédibilité du pouvoir en place par une “cohésion nationale”, ce qui est encore plus facile dans un pays déjà plus ou moins en guerre.

Enfin, les institutions religieuses vont dévoiler au grand jour où se trouvent leurs véritables intérêts. Les grands savants Musulmans vont comme de coutume soutenir le régime et vont même émettre des fatwas qui condamne la révolution comme contraire à la volonté de Dieu et parler énormément sur “l’immoralité” des manifestants. Le clergé Copte va lui aussi appeler à cesser la révolution en la désignant comme contraire aux intérêts des Coptes qui feraient mieux de se faire tout petits étant donné que l’Etat Egyptien les laisse magnanimement vivre leur foi en paix, alors que les manifestants eux “brûlent des églises” (ce sont en réalité des attentats commis par la Sécurité d’Etat). Cette position est d’autant plus ironique puisqu’elle s’oppose à celle du Pape qui lui, en bon émissaire du monde Occidental, voit plutôt l’intérêt de l’Eglise dans la réalisation d’une révolution démocratique. Les Frères Musulmans quant à eux, adoptent une position très pacificatrice, ils participent au début au mouvement des masses mais ils le font pour se présenter comme une solution de secours satisfaisante pour le régime. Ils négocient avec lui le fait de calmer les choses et d’assurer en cas d’échec de la répression, une transition calme et qui ne transitionne pas trop quand même

III-Au-delà de la Révolution démocratique :

Malgré la répression, le mouvement ne s’éteint pas du tout, au contraire il ne fait que grandir. Ce qui sort de toute cette émulation, ces discussions, ces expériences de lutte, c’est une conscience de classe renforcée. Hosni Moubarak, dictateur depuis des années, va démissionner. Et pourtant, beaucoup de militants du mouvement se rendent bien compte que ce n’est pas suffisant, et qu’il ne suffit pas de couper une tête pour obtenir un réel changement. Alors le mouvement continue, les mouvements de grèves contre les patrons, mais aussi le mouvement de rue au slogan de “le peuple veut la chute du régime”. De nombreux militants le clament, ce qu’ils font, ce qu’il faut, c’est une véritable Révolution !

1-La Révolution Nationale et le caractère de classe :

En Egypte, comme dans toute les Révolutions, c’est la classe ouvrière qui a pu faire chuter le dictateur en place (Moubarak) en particulier à travers leurs grèves et les débuts de contrôle ouvrier dans les usines qui rendait l’économie ingouvernable pour le régime.

Les militants révolutionnaires du monde entier ont eu évidemment les yeux tournés sur l’Egypte et en particulier sur l’expérience de la place Tahrir. Il s’agit alors de comprendre le lien entre cette occupation, majoritairement opérée par des jeunes aussi bien ouvriers qu’étudiants, indigents, petits-bourgeois ou enfants de bourgeois, et les grèves ouvrières massives.

Le caractère de classe de la Révolution était en fait extrêmement flou, en témoignent les nombreux drapeaux Egyptiens ou le chant de l’hymne nationale par les manifestants. Pourtant cela n’a pas empêché la mise en place d’expériences de démocratie ouvrière exemplaires, une auto-organisation démocratique et à la base qui pose la question du pouvoir et de gestion de la production. Pourtant on le voit bien, la Révolution Égyptienne n’a pas vraiment dépassé le stade de la révolution démocratique ou de la révolution nationale.

2-Que manquait-il à la Révolution ?

On peut alors se demander ce qu’il a manqué à la Révolution Egyptienne.

Ce qui est clair c’est que le pays ne manquait pas d’une classe ouvrière nombreuse et combative, en témoignent les grèves massives avec occupation.

Mais on constate qu’il a clairement manqué une coordination entre les différents embryons de démocratie ouvrière qui aurait permis d’organiser la démocratie ouvrière et la production à l’échelle du territoire entier. Sans cette coordination, impossible de résister à la répression (elle ultra-organisée) du régime, d’organiser une politique coordonnée à un niveau national avec des revendications en positif et une riposte efficace et d’imposer en fait une situation de double pouvoir qui doit se résoudre par le triomphe du pouvoir ouvrier.

Pour ça, il a principalement manque un élément d’une importance capitale, des militants révolutionnaires organisés, un parti, qui soit capable de poser dans tous les instants de la révolution, les problèmes que la classe ouvrière doit résoudre. On peut penser notamment que des militants révolutionnaires organisés, auraient pu faire comprendre beaucoup plus rapidement aux masses que l’armée n’était pas leur alliée, qu’il fallait organiser des milices armées pour résister à la police, qu’il fallait coordonner les embryons de démocratie ouvrière ou encore qu’il fallait militer en direction de l’extension de la révolution et donc bien au delà de son caractère national.

En fait, c’est artificiel de penser que la révolution s’arrête bien nettement au stade de “révolution démocratique”. La révolution d’elle-même dépasse évidemment les frontières arbitraires et pose toujours la question de la société débarrassée de l’exploitation et des oppressions, la remise en cause du système. On le voit bien dans la remise en cause de la place des femmes par exemple où dans le contrôle ouvrier des usines mais il n’est pas possible de faire franchir à ces luttes le stade de non-retour, celui où la bourgeoisie ne pourra plus rétropédaler dessus quand elle aura repris les choses en main, s’il n’y a pas de parti capable de poser la question de la prise du pouvoir par les travailleurs et de leur proposer pour ça une direction et un programme. Et de fait, après la révolution, vint la contre-révolution.

C- La contre-Révolution :

Le premier gouvernement mis en place après le départ de Moubarak était dirigé par un militaire, Ahmed Chafik, qui avait été désigné par Moubarak lui-même avant son départ. À part Moubarak, la plupart de ceux qui avaient dirigé le pays sous sa direction restaient à la tête de l’État.

Quelques ministres, les plus compromis aux yeux de la population ont été arrêtés, le parti de Moubarak fut dissous, mais l’appareil d’État, son armée, l’appareil judiciaire, la police, tout restait en place, jusqu’à la police politique du régime.

I-Le rôle ambigu de l’armée :

Après la chute de Moubarak, c’est le conseil suprême des forces armées (les dirigeants de l’armée donc) qui reprend la main, avec à sa tête Tantaoui qui était le ministre de la défense sous Moubarak.

1-L’armée, “l’amie du peuple”

Tout au long de la révolution l’armée s’est placée en position d’arbitre et d’amie du peuple pour éviter de se discréditer, c’est ce qui lui a permis de prendre le pouvoir en assurant qu’elle allait assurer une “transition démocratique”.

Pour en convaincre les Egyptiens elle s’appuie sur les Frères musulmans, la force d’opposition qui avait le plus de poids dans la population, notamment dû à leur important réseau d’institutions religieuses et d’associations caritatives. Dans les quartiers populaires complètement délaissés par les services de l’État, cela arrangeait bien le régime que les Frères musulmans s’occupent de l’aide sociale aux plus pauvres. Ainsi ce sont les militants islamistes qui organisaient des soupes populaires, donnaient des cours du soir aux enfants des familles qui ne pouvaient payer des cours particuliers ; les médecins de la confrérie soignaient gratuitement les plus pauvres. Toutes ces activités leur permettaient de gagner une influence et un soutien importants dans les milieux populaires.

En novembre 2011, malgré la chute de Moubarak, la situation des travailleurs et des jeunes Egyptiens n’avait pas changé. On a alors une reprise des manifestations, réprimées dans le sang. L’armée fait passer des lois antigrèves rendant l’organisation de grève ou de manifs passibles de peines de prison et d’amendes.

Mais la répression n’a pas suffi à stopper les grèves : la mobilisation d’une partie de la classe ouvrière s’est d’ailleurs aussi manifestée par l’émergence de syndicats indépendants cherchant à s’affranchir de la tutelle de la centrale syndicale officielle. Un an après le départ de Moubarak, deux confédérations se sont constituées, regroupant ces syndicats indépendants. Elles revendiquent ensemble 3 millions d’adhérents.

Face à l’ampleur du mouvement que l’armée n’arrivait pas à stopper, une concurrence pour le pouvoir s’engagea entre les dirigeants de l’armée et les Frères musulmans.

2-Les Frères Musulmans prennent le pouvoir :

Les FM apparaissaient comme la force du changement face au système mis en place du temps de Moubarak. Et les années de persécution qu’ils avaient vécues sous Nasser, qui craignait leur capacité de constituer une véritable force d’opposition, leur donnaient cette légitimité.

Cette image leur permit de remporter les élections législatives qui se déroulèrent entre la fin de novembre 2011 et le début de l’année 2012, avec 37,5 % des suffrages exprimés. Un autre groupe islamiste, les salafistes du Bloc islamique, arriva en deuxième position avec 27,8 % des suffrages. Ainsi, les islamistes, toutes tendances confondues, recueillent plus de 60 % des suffrages. Ils apparaissent alors comme ayant été les opposants les plus radicaux à la dictature, tout en disposant de l’organisation nécessaire pour s’adresser le plus efficacement aux milieux populaires.

Pour nuancer l’image de « raz de marée » islamiste qui a souvent été donnée de cette élection, si la majorité des 27 millions de personnes qui se sont déplacées pour voter leur ont apporté leurs voix, l’abstention à cette élection est énorme : le corps électoral est estimé en Égypte à environ 50 millions de personnes. Et la majorité de ceux qui ne sont pas allés voter appartiennent à coup sûr aux couches les plus pauvres de la société Egyptienne. Aux élections présidentielles qui ont suivi c’est Morsi, le candidat des Frères Musulmans, qui gagne avec seulement 51,7% des voix au 2d tour, et avec encore une fois une abstention très élevée.

On se retrouve donc dans une nouvelle situation politique : les dirigeants de l’armée, confrontés à la montée du mécontentement, sont contraints de se mettre en retrait. Et deux camps se constituent, avec d’un côté, les islamistes au pouvoir et, de l’autre, un camp se disant « moderniste » et partisan du maintien de la laïcité, avec une partie des dirigeants de l’armée. C’est Morsi lui-même qui nomme le général Al Sissi au poste de ministre de la défense.

Le 22 novembre 2012, Morsi prit un décret qui lui permettait de s’octroyer une partie des pouvoirs judiciaires, dans le but de pouvoir mieux réprimer la contestation qui continuait de sévir. Mais cette mesure fait reprendre les manifestations et les grèves encore plus fort, car la population craignait le retour d’un régime dictatorial, moins de deux ans après la chute de Moubarak. Il a d’ailleurs fini par devoir le retirer en grande partie face à la puissance de la mobilisation. Morsi fait également adopter une constitution qui intègre les préceptes religieux, avec notamment des reculs sur les droits des femmes, ce qui continue d’alimenter la contestation.

Pendant un an, sous la présidence de Morsi, les travailleurs ont pu constater que l’arrivée des islamistes au pouvoir n’avait rien changé. Face à la dégradation de la situation économique, Morsi, comme Moubarak avant lui, a dû engager des négociations avec le FMI et la Banque mondiale. Pour obtenir un prêt de 4,8 milliards de dollars, tout comme son prédécesseur, il a dû s’engager à diminuer les subventions aux produits de première nécessité. Le gouvernement a donc annoncé des augmentations de prix des produits subventionnés qui ont été ensuite reportées devant la crainte des réactions populaires. Les classes populaires ont dû faire face à des pénuries d’essence, de pain et de nombreux autres produits alimentaires, à une flambée des prix. Les conditions de vie se sont énormément aggravées en quelques mois.

Sous la présidence de Morsi, le gouvernement, comme les gouvernements précédents, a envoyé la police contre les travailleurs qui faisaient grève et qui manifestaient. Et ils ont été nombreux à le faire pendant toute l’année 2012, qui a connu une forte augmentation des mobilisations : on en a recensé 1 969 cette année-là, et 2 400 au premier trimestre 2013. Morsi gagne même le surnom de « Morsilini » en référence à Mussolini.

3-L’armée revient :

Une coalition anti-Morsi se forme alors, qui regroupe des partis allant de l’extrême gauche à la droite. Ce front constitué en partie par des anciens dirigeants de l’époque de Moubarak, met en avant l’opposition à une dictature religieuse mais ne propose absolument pas l’émancipation des travailleurs Egyptiens sur le plan social.

A partir d’avril 2013, ceux qui avaient lancé les premières manifs en 2011 lancent la campagne Tamarod (Rébellion), une pétition qui appelle à la destitution de Morsi et à l’organisation d’une nouvelle élection. Cette campagne est très vite reprise par tous les opposants à Morsi, même des chaînes de télé en font la promotion et la pétition fait 22 millions de signatures.

Le 30 juin, jour anniversaire de l’élection de Morsi ont lieu des manifestations massives, même encore plus massives qu’en 2011 avec environ 2 millions de personnes, avec beaucoup de travailleurs et notamment de l’industrie du textile qui y participent.

Le 3 juillet l’armée démet Morsi de ses fonctions et le général Al Sissi prend le pouvoir par coup d’Etat. A ce moment là les manifestants font la fête dans les rues.

II-Tout change mais rien ne change :

1-L’ordre avant tout :

On a donc à nouveau l’armée au pouvoir. Tout de suite, Al Sissi va mettre en œuvre une répression sanglante, premièrement à l’égard des FM. Les FM ont appelé à des manifs contre le nouveau pouvoir et Al Sissi a envoyé l’armée tirer à balles réelles, avec plusieurs centaines de morts et des milliers de militants islamistes en prison. Il dissout l’organisation des FM et la déclare terroriste, avec des procès de masse contre leurs membres réels ou supposés.

Et évidemment cette répression s’abat aussi sur le mouvement ouvrier avec l’armée qui intervient pour briser des grèves : exemple de l’usine Suez Steal Company, une aciérie où plus de 2 000 travailleurs étaient en grève depuis un mois, pour obtenir le paiement de primes. Des travailleurs ont été arrêtés et d’autres licenciés.

Les patrons, de leur côté, ont procédé à des licenciements parmi les travailleurs qui se sont mis en avant dans des grèves depuis 2011.

De nouvelles lois sont adoptées pour restreindre la liberté de la presse et les activités des médias. Une nouvelle loi sur les manifestations impose des restrictions sévères sur les rassemblements publics, nécessitant une autorisation préalable du ministère de l’Intérieur.

2-Pas de fin de l’exploitation :

Somme toute, malgré la chute des islamistes, les travailleurs Egyptiens sont encore et toujours aujourd’hui sous le joug de la dictature d’Al Sissi, qui pour la blague a été réélu démocratiquement pour son troisième mandat en décembre dernier avec 89,6% des voix (c’est plus que le score de Poutine !).

Allié de l’impérialisme américain, il mène une politique pro-patronale agressive, avec une casse des services publics et en parallèle une inflation qui atteint 35% et une diminution des impôts sur les revenus des grandes fortunes. La pauvreté a progressé entre 2016 et 2019 de plus de 11 % dans les plus grandes villes du pays. L’Égypte est le deuxième bénéficiaire de l’aide financière américaine après Israël, avec 1,3 milliard de dollars qui vont chaque année aux dépenses militaires du régime. « Si le prix du progrès et de la prospérité est d’avoir faim et soif, ne mangeons pas et ne buvons pas » (Al Sissi).

Les conditions pour le mouvement ouvrier se sont grandement détériorées : les manifestations sont interdites et les grèves illégales, à moins qu’elles ne soient approuvées par la centrale syndicale de l’État, complètement intégrée à l’appareil d’État. Toute tentative d’organisation autonome des travailleurs, notamment au travers des nouveaux syndicats indépendants qui avaient commencé à surgir pendant la révolution, est pourchassée. Environ 60 000 personnes sont actuellement détenues en Égypte pour délit d’opinion.

Al Sissi s’est illustré dans les derniers mois par sa complicité dans le génocide en Palestine, en réprimant violemment les manifestations en solidarité avec le peuple palestinien et en jetant même des manifestants en prison, et en participant au blocus de Gaza en refusant d’accueillir les réfugiés palestiniens.

III-Quelques bilans politiques :

Mais alors, que peut-ont tirer de tout ça pour nous, les révolutionnaires d’aujourd’hui ?

1-L’actualité de la révolution :

Il arrive qu’on nous dise que « c’est bien beau ce qu’on raconte, mais que la révolution c’est plus possible dans la société d’aujourd’hui, voire même que la classe ouvrière ça existe plus vraiment… ». On a là un exemple récent de révolution, avec des grèves qui ont joué un rôle central, des expériences d’auto-organisation poussées, et un rapport de force suffisant pour faire tomber deux régimes dictatoriaux !

En réalité, le capitalisme a connu dans les dernières décennies une évolution qui a restructuré l’industrie à l’échelle mondiale, mais la classe ouvrière est aujourd’hui plus nombreuse que jamais. Rien qu’en Corée du Sud aujourd’hui il y a plus de travailleurs salariés que dans le monde entier à l’époque de Marx. La classe ouvrière constitue aujourd’hui entre 80 et 90% de la population dans les pays les plus industrialisés et presque la moitié de la population mondiale. Les délocalisations de nombreuses industries n’ont pas causé une disparition mais un redéploiement, une restructuration mondiale de l’industrie depuis les années 70. Sans industrie, le monde ne tournerait pas : pas d’essence, pas de transports… Le redéploiement du capital a aussi développé de nouveaux secteurs comme les centres d’appels et la grande distribution, qui connaissent des luttes alors que personne ne s’y attendait au moment de leur apparition… mais les « vieux secteurs » sont toujours là et mènent des luttes toujours importantes (après tout, la révolution a commencé dans le textile en Egypte et dans les mines en Tunisie juste avant ! Et on a bien vu même en France dans les dernières années l’impact que ça peut avoir quand les raffineurs de Total ou les éboueurs se mettent en grève.

Et en Egypte la question de la grève et de la classe ouvrière a été centrale, notamment on pourrait regarder de plus près le rôle des travailleurs de l’usine de textile de Mahala. Pour citer le bloggeur et militant révolutionnaire Hossam El-Hamalawy : « Tout le temps où nous étions place Tahrir, nous pouvions contrôler la place Tahrir, mais nous ne contrôlions pas le reste du pays. Hosni Mubarak et son entourage étaient toujours en place et tenaient le bâton du pouvoir entre les mains. (…) Mais les grèves généralisées de mercredi et jeudi ont changé la situation. Les étudiants pouvaient manifester et occuper leurs universités pendant toute une année. Le gouvernement peut les fermer. Les juges pouvaient organiser des manifs héroïques. Le gouvernement peut fermer les tribunaux-il a des cours militaires. Si les journalistes manifestent, le gouvernement peut fermer les journaux. Mais les travailleurs, s’ils font grève, c’est « game over ». La partie est terminée parce que la machine ne marchera pas. Il n’y a pas d’argent qui circule, il n’y a plus de trains, plus de bus, les usines ne tournent plus. C’est « game over ».

Evidemment que le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière est là. La force qui permettra de soulever des montagnes existe bien. Et d’ailleurs détail, les réseaux sociaux ont été un moyen de propagation des informations et d’agitation important, qui n’existait pas en 1917. (Notons que l’aspect « réseaux sociaux » a été utilisé pour décrédibiliser les Printemps Arabes en le présentant comme un conflit générationnel. L’intérêt de présenter les choses ainsi pour les médias au service du capital, c’est qu’ainsi il ne peut s’agir que de révolutions dont l’objectif fondamental est une simple modernisation de la société capitaliste.)

Mais donc pourquoi la révolution de 2011 en Egypte comme dans les autres pays qui ont vécu le Printemps Arabe, n’a pas abouti au communisme, à la société débarrassée d’exploitation et d’oppression que nous aspirons à construire ?

2-Le rôle du parti :

En fait, une grande partie de la CO et des forces progressistes s’est laissée piéger dans sa lutte par les débats imposés à la fois par les anciens régimes qu’elle venait de faire tomber et les forces réactionnaires intégristes.

Les discussions sur les constitutions ou la religion, si elles sont évidemment importantes pour répondre aux aspirations démocratiques, ne peuvent être prétexte à une quelconque alliance avec des forces laïques bourgeoises ; tout comme la volonté d’en finir avec les anciens régimes ne saurait faire croire que les opprimés et les exploités peuvent partager des intérêts avec les forces intégristes, tout aussi bourgeoises.

C’est bien l’absence d’une direction ouvrière révolutionnaire indépendante de la bourgeoisie qui a manqué pour empêcher la récupération du soulèvement par des forces contre-révolutionnaires. C’est surtout de partis révolutionnaires que les prolétariats doivent se doter dans chaque pays pour être capables d’imposer leurs intérêts de classe en toute indépendance.

Nous au NPA-Révolutionnaires c’est ça qu’on veut construire, un parti qui permette de regrouper des militants révolutionnaires implantés dans la classe ouvrière et dans la jeunesse, capables à la fois de comprendre le monde dans lequel on vit et d’analyser les situations d’un point de vue de classe et surtout capables d’intervenir, dans les situations de paix sociale comme dans les moments d’explosion, pour proposer une stratégie gagnante à notre camp social.

Aujourd’hui on ne manque pas de raison de se révolter, mais de gens capables d’organiser la révolte. Donc si vous êtes ici c’est que vous êtes intéressé par ce qu’on fait et par ce qu’on dit, je m’adresse à vous, je vous invite à discuter avec les militants du parti, à rejoindre le NPA-Jeunes-Révolutionnaires, parce que y’a un enjeu énorme aujourd’hui à grossir les rangs des révolutionnaires et à construire cet outil pour l’émancipation.