Les trois premières Internationales
Ce topo a été réalisé dans le cadre d’une formation du NPA dans la section 13eme/5eme de Paris en mai 2010. Nous reproduisons ici la première partie qui revient sur l’historique des débats sur le Parti à travers l’analyse des trois premières Internationales.
Pour comprendre ces débats, il faut s’intéresser aux conditions politiques et sociales de l’époque. A partir de ces conditions, on peut comprendre les débats théoriques qui se posaient.
1) L’Association Internationnale des Travailleurs (AIT)
Elle a été fondée en 1864 au congrès de Genève.
a) contexte de sa fondation :
situation des classes sociales :
- après la révolution de 1848 la bourgeoisie s’affirme comme seule classe dominante en Europe au niveau politique et économique. Des différentes fractions de la bourgeoisie, c’est la bourgeoisie industrielle qui domine, au détriment des financiers et des propriétaires terriens. Un mouvement d’unification de ces fractions commence.
- l’opposition entre la bourgeoisie et les ouvriers se clarifie : la première détenant le pouvoir politique n’a plus besoin des ouvriers révolutionnaires et tourne le pouvoir d’Etat contre eux.
- de son côté la classe ouvrière est naissante et peu nombreuse (14 millions d’ouvriers dans le monde). Elle est concentrée dans quelques villes industrielles : en France à Paris, Lyon ou Marseille.
la classe ouvrière commence à peine à s’organiser dans des syndicats (en particulier en Angleterre), des mutuelles ou des caisses de grève. Il existe quelques groupes socialistes, mais ce sont plus des groupuscules que de vraies organisations. On est en plein dans le Second Empire. L’organisation des ouvriers reste illégale jusqu’à la fin du XIXeme siècle. Toutes ces organisations sont clandestines et fortement réprimées.
la théorie marxiste est en développement. Le Manifeste Communiste est déjà écrit, mais il rest beaucoup d’imprécisions sur la questions de l’Etat. La mise en place du suffrage universel en France (en 1848), et l’experience de la Commune permettront de les clarifier.
b) Les liens entre l’AIT et la classe ouvrière
L’AIT représente la constitution du prolétariat en classe politiquement consciente d’avoir les mêmes intérêts en opposition à la bourgeoisie. Ce n’est pas un Parti comme on peut en connaître par la suite. C’est un conglomérat de toutes les formes d’organisations ouvrières (syndicats, mouvements, partis et groupes) nées d’après 1848. C’est la première fois que la classe ouvrière a eu un rôle autonome vis à vis des autres classes sociales, notamment vis à vis de la bourgeoisie.
l’objectif de l’AIT c’est d’organiser en son sein la classe ouvrière. Il n’y est pas fait de distinctions entre le Parti, le mouvement ouvrier et la classe ouvrière. Tout les courants se retrouvent dedans : Proudhon et Bakounine (Anarchie), les syndicalistes réformistes anglais, les blanquistes (liés à Auguste Blanqui qui préconise la prise de pouvoir par un petit groupe révolutionnaire), et Marx et Engels.
Le niveau théorique et militant est faible. Il n’y a pas de programme très précis. Si le socialisme est l’objectif il n’est pas défini par tous de la même manière et la stratégie pour y arriver est floue. Des revendications ouvrières y sont développées, en particulier la journée de 8h et le suffrage universel. Un autre indicateur du faible niveau théorique est la revendication de l’interdiction du travail des femmes.
Il est important de comprendre que ce manque d’homogénéité politique et cette faiblesse militante et théorique découlent de la faiblesse de la classe ouvrière. Celle-ci était peu nombreuse et plutôt artisanale. Peu d’ouvriers étaient concentrés dans de grosses usines. Enfin il n’y avait eu que très peu d’experiences politiques de masse capable de trancher par la pratique les débats théoriques.
L’AIT finit par se disloquer après la Commune. L’une des raisons est l’accentuation des divergences entre les différents courants notamment entre Bakounine et Marx sur l’experience de la Commune et la dictature du prolétariat. Le bilan de Marx « la classe ouvrière ne peut pas se contenter de reprendre la vieille machine d’Etat à son compte » (La guerre civile en France ?). Il cible deux erreurs de la Commune : ne pas s’être emparé de la Banque de France, et ne pas avoir écrasé les versaillais quand il en était temps. Cette expérience lui permet d’éclaircir l’attitude vis à vis de l’Etat : écraser l’Etat bourgeois et le remplacer par un Etat ouvrier, la dictature du prolétariat qui prendrait la forme de la Commune.
La principale raison de la disloquation de l’AIT est qu’elle ne correspondait plus aux nécessité de la nouvelle pèriode. La classe ouvrière se multipliait et les conditions légales devenaient plu favorables après la chute de l’Empire. Il y avait moins de nécessité d’organisations clandestines. Et l’alliance entre tous les groupes ouvriers n’étaient plus non plus nécessaire face à la répression et devenait un frein à leur développement.
Bibliographie
- La place du marxisme dans l’histoire, Ernest Mandel (passage sur la construction de la théorie marxiste). www.ernestmandel.org
- La guerre civile en France, Marx et sa préface d’Engels (1891)(sur la Commune et la dictature du prolétariat). marxists.org
- Lettre d’Engels à Sorge du 12 septembre 1874, dans le recueil Inventer l’Inconnu de Marx et Engels ( sur la fin de l’AIT). Et plus généralement les correspondances de Marx et Engels. Une partie en est disponible sur marxists.org
- Le Manifeste du Parti Communiste, K. Marx et F. Engels
2) L’Internationnale ouvrière : la seconde internationalle
Des nouveaux Partis Sociaux-Démocrates se fondent à partir de l’éclatement de la première internationnale. Ils se construisent sur les bases théoriques tirées de la Commune par Marx et Engels. L’objectif est de construire des partis plus important et plus homogènes politiquement. Ces partis se regrouperont dans la Seconde Internationale, fondée en 1889 à l’initiative d’Engels.
Elle correspond à un contexte économique et social différent de la première Internationale.
- la bourgeoisie nationale se transforme en bourgeoisie impérialiste : la fusion du Capital banquaire et industriel permet de développer massivement la production industrielle.
- le prolétariat augmente en nombre et est de plus en plus concentré dans des usines regroupant des milliers d’ouvriers.
- de plus après la crise de 1874, on est dans une reprise économique et une augmentation des profits qui permet à la bourgeoisie d’avoir des marges de manoeuvre pour satisfaire des revendications ouvrières.
Ces conditions permettent le développement de syndicats et de partis de masse : on n’est plus dans les groupuscules socialistes de l’AIT.
La légalisation des organisations ouvrières et le suffrage universel offrent de nouvelles perspectives de développement : l’objectif de ces partis est d’organiser la classe ouvrière dans son ensemble.
Ce contexte économique et le développement important des organisations ouvrières permettent l’aboutissement de revendications ouvrières : sur la journée de travail, les salaires et les contrat de travail. Il permet aussi à la sociale-démocratie d’obtenir des places dans les institutions notamment dans les parlements bourgeois. C’est à partir de là que commence un processus de bureaucratisation. Par peur de perdre ces conquètes partielles, les dirigeants de ces partis acceptent des compromis, frènent les ambitions socialistes, et en viennent dans les faits à abandonner la perspective de la révolution.
En parallèle ces mêmes dirigeants des garnds partis et syndicats sociaux-démocrates s’intègrent petit à petit dans la société bourgeoise, se détachent de la base des ouvriers et se mélangent avec la petite bourgeoisie radicale : à ce moment là ils commencent à défendre leur intérêt en tant que couche sociale bureaucratique plutôt que la révolution. Le premier social-démocrate a participé à un gouvernement bourgeois fut Millerand en France
Au niveau théorique on assiste à une modification de la théorie marxiste qu’on appel le révisionisme. Ce révisionisme intervient pour justifier l’entrée dans les parlements et les gouvernements bourgeois, et la tactique des conquètes partielles. Le plus en vue est Bernstein dans les années 1890.
La théorie de Bernstein s’appuie sur la prévision que le système capitaliste ne produirait plus de crises systémiques. Celui-ci aurait développé des mécanismes qui permettaient d’amortir les crises et de réguler le système comme les grands trusts et le crédit. En ne produisant plus de crise, le capitalisme priverait du même coup la classe ouvrière de l’occasion de le renverser. En plus de l’impossibilité de le renverser, la classe ouvrière n’en aurait plus la nécessité : les conditions de vie des ouvriers progresseraient en même temps que le système, et l’addition de réformes graduelles permettraient de réduire le pouvoir de la bourgeoisie.
Cette révision du marxisme est dénoncée dès 1898 par Rosa Luxembourg dans son livre Réforme sociale ou révolution? Elle démonte les « amortisseurs de crise » de Bernstein et l’accuse de s’adapter au capitalisme jusqu’à en abandonner la perspective de le dépasser. La pratique lui donnera raison : le capitalisme engendre toujours des crises et les prétendus amortisseurs comme le crédit ou les trusts les empirent ; et la sociale-démocratie, après avoir adoptée petit à petit les orientations des révisionistes, finit par voter les crédits de guerre en Allemagne en 1914. Cet épisode provoquera le départ de groupes comme le parti bolshévik en Russie ou de militants autour de Rosa Luxembourg en Allemagne. C’est plus une scission qu’une explosion : la 2de Internationale se maintient après ça.
Le bilan de la Seconde Internationale est tiré par Lenine. Il adopte dès 1903 une forme de Parti différente même s’il reste adhérent de la Seconde Internationale. A l’époque il justifie ce mode d’organisation par la situation en Russie : sous le tsar, la répression est féroce contre toutes les tentatives d’organisation des ouvriers, l’organisation clandestine est obligatoire. A partir de cette expérience et de la dégénéressence de la sociale-démocratie il va théoriser une certaine forme de Parti. Il conteste l’assimilation entre le Parti et la classe :
- la classe ouvrière n’est pas homogène : sa conscience de classe est différente selon les couches, les expériences, et elle subit les flux et les reflux de la lutte des classes. Quand on est en période de lutte de masse, ou quand on est dans une spirale de défaite, on a tendance à être plutôt révolutionnaire ou plutôt réformiste.
- la classe ouvrière subit une aliénation perpétuelle du système capitaliste. Et la majorité d’entre elle est éduquée à être réformiste et à ne pas remettre en cause le système.
Essayer d’organiser la classe ouvrière dans son ensemble dans un Parti c’est condamné ce Parti à subir des changements de cap en fonction de la démoralisation. C’est aussi accepter que le Parti soit dirigé par une couche de bureaucrates qui s’appuient sur l’aliénation des ouvriers.
Lénine décide d’organiser la minorité la plus consciente des ouvriers, la plus compéhensive du programme socialiste et des taches qui incombent aux révolutionnaires : c’est en ce sens qu’il parle d’un « Parti d’avant-garde ». C’est un Parti de militant fomés et non d’adhérents comme dans la Seconde Internationale.
Bibliographie :
- Réforme sociale ou révolution ? Rosa Luxembourg (sur Bernstein)
- L’Etat et la révolution, Lénine (sur le révisionnisme et la seconde internationale)
- Que faire? Lénine (sur les conditions en Russie et la formation du Parti Bolshévik)
3) Le Komintern, la Troisième Internationale avant Staline
le contexte : la 3ème Internationale se forme à partir de l’expérience du Parti bolshévik dans la révolution russe. Elle se pose aussi à cause de la rupture avec la sociale-démocratie pour son soutient à la guerre de 14-18. Ces deux expériences lui permettent d’obtenir un écho chez les ouvriers à une échelle très importante : c’est plus facile de comprendre des expériences politiques comme les guerres ou les révolutions. Ca permet la création rapide de Partis Communistes de masse: soit par scission de courants de la 2de Internationnale (congrès de Tours, PCF) soit par adhésion directe de Partis entiers emportant leurs bureaucrates réformistes avec eux.
le contexte de guerre civile en Russie et l’urgence d’extension de la révolution à d’autres pays nécessite une Internationnale et des Partis qui soient des machines de guerre. Les Partis doivent adopter des programmes assez précis : 1)être clair sur la stratégie, entre réforme et révolution. Cette question suppose la séparation avec la sociale-démocratie. 2) la question du Front Unique : « marcher séparement, frapper ensemble ». Le Front Unique Ouvrier répond à la nécessité d’unifier la classe ouvrière, y compris sa frange influencée par les réformistes, pour faire la révolution. Cette tactique est théorisée à partir de la mise en échec du coup d’Etat de Kornilov pendant la révolution russe. Lénine en écit les bases dans La maladie infantile du Communisme en 1919. 3) La forme de Parti : le centralisme démocratique à l’échelle internationnale. C’est une forme d’organisation qui permet une unité vers l’exterieur. On a une totale liberté de discussion dans le Parti, mais une fois les décisions prises, tout le monde les applique. On est dans une pèriode de guerre civile et de révolution, il est donc nécessaire d’avoir des partis semi-clandestins pour échapper à la répression. Cela implique un pouvoir important de la direction entre les congrès. Le niveau international suppose une soumission des Partis nationaux à la direction de la 3ème internationale : l’extension de la révolution au niveau mondial passe avant les considérations nationales. Ces programmes sont synthétisés dans 21 conditions draconiennes préalables à l’adhésion au Komintern. L’objectif est clair : empécher les opportunistes de tout bord d’adhérer à la 3ème internationale pour empecher sa bureaucratisation.
liens entre les Partis et la classe : ce ne sont pas des partis de classe (dont l’objectif est d’organiser par des partis d’adhérents toute la classe ouvrière). Les PC sont pourtant des partis de masse qui organisent des dixaines voire des centaines de milliers de personnes sur des bases militantes. Ca leur permet d’organiser une contre-société ouvrière à travers les syndicats ou les coopératives. Dans ces nouveaux partis il y a une séparation plus nette entre la classe ouvrière et la petite bourgeoisie. On ne fait plus de concessions aux intérêts petits-bourgeois dans le programme du Parti. Celui-ci est centré sur ceux de la classe ouvrière. En terme de composition, ça s’éclaircit aussi : le part est centré sur l’intervention ouvrière.
la dégénéressence : dans la pratique les 21 conditions ne sont pas vraiment respectées, et les groupes et les partis qui y adherent emportent leurs bureaucrates avec eux. En plus l’internationnale est principalement dirigée par le PCUS, dont la guerre civile entraine la perte de nombreux cadres et une bureaucratisation importante. L’internationnale est de plus en plus dirigée en fonction des intérêts diplomatiques de l’URSS. Des oppositions à la politique de Staline se forment mais sont radicalement réprimées. Sa politique face à la montée du fascisme est bourrée d’erreur. Toute cette situation conduit Trotsky à appeler à la formation de la 4ème internationale. Sur le plan théorique, elle reprend les bases des trois premiers congrès de la 3ème, jusqu’à la mort de Lénine. Sur le plan militant elle reste faible, ne regroupant pas de partis ouvriers importants.
Bibliographie :
- les sauts, les sauts, les sauts, texte de D.Bensaid (sur la théorie léniniste du Parti)
- Sources historiques et théoriques du bolshévisme, 3 textes d’Ernest Mandel (sur les liens entre le Parti et la classe chez Lénine)
- La maladie infantile du communisme, Lénine (sur le front unique)
- Comment vaincre le fascisme, L.Trotsky (textes sur le front unique et les mauvaises tactiques de la 3ème internationale)
- le programme de transition, L.Trotsky (texte fondateur de la 4ème internationale)
4) A partir du stalinisme (à travailler)
a) séparation entre Parti et classe disparaît. Promotion Lénine : à sa mort Staline fait rentrer 100 000 personnes dans le PCUS. Tend vers un parti d’adhérent.
b) intégration dans l’appareil d’Etat. Communes : banlieues rouges dans les année 30. Après la guerre participation au gouvernement dans pays d’Europe de l’ouest (45-47). Développement de bureaucraties syndicales : au niveau nationale, négociations avec gouvernements; au niveau local, intégration dans les conseils d’entreprise…
c) confusion en terme de classe qui grandit (années 70 à aujourd’hui)
reflux de lutte de classe, recul de combativité dans contexte économique
Bibliographie :
- Critique de l’eurocommunisme, Ernest Mandel (sur la dégénéressence des PC sur le plan théorique)
Conclusion de première partie :
Grandes leçons à tirer:
- Ière internationnale : constitution en classe indépendante de bourgeoisie
- 2ème internationale : différentiation entre partis et classe
- 3ème internationale : questions programmatiques