Madagascar : la mobilisation de la jeunesse réprimée par la force

Après l’Indonésie et le Népal dénonçant les #NepoKids (enfants de riche) et, depuis plusieurs jours, le Maroc, le peuple de Madagascar est en révolte depuis le 25 septembre. Un groupe de jeunes Malgaches ont lancé le collectif Gen Z Madagascar sur les réseaux sociaux. Une référence directe au mouvement népalais largement investi par la « Gen Z ». Ce collectif a lancé, à travers les réseaux Instagram et TikTok, le mouvement actuel contre la corruption ainsi que les coupures d’eau et d’électricité, en proposant de manifester partout dans le pays le jeudi 25 septembre 2025. Ce jour-là, c’est l’explosion de colère qui a éclaté à la face des dirigeants malgaches !

Les délestages d’eau et d’électricité de plusieurs heures sont monnaie courante à Madagascar, l’eau potable est loin d’être accessible partout et, bien que l’île soit dotée de ressources naturelles importantes, 75 % de la population vit dans la pauvreté avec moins de 0,77 euros par personne et par jour. Une situation insupportable alors que Salim Ismail, un des plus riches capitalistes de l’île, PDG du groupe Socota, a des actifs estimés (par Forbes) à plus de 1,2 milliard d’euros ; ou encore un ami du président Andry Rajoelina, le patron de Sodiat Mamy Ravatomanga, deuxième fortune de Madagascar, dont le revenu annuel est d’environ 250 millions de dollars.

C’est dans ce contexte que s’est créé le collectif « Gen Z Madagascar » qui a d’abord appelé à manifester le 24. Rejoint bien vite par trois conseillers d’opposition (Alban Rakotoarisoa, Clémence Raharinirina et Lily Rafaralahy) qui s’étaient présentés le 18 septembre 2025 devant le Sénat avec des bidons jaunes et des lampes solaires pour interpeller les parlementaires sur les problèmes de fourniture d’électricité. Deux d’entre eux ont été arrêtés et la manifestation a été interdite par la préfecture. Mais la jeunesse a bravé l’interdiction et est sortie dans la rue. Les manifestants ont subi une répression violente, à coup de grenades lacrymogènes et de tirs à balles réelles faisant plusieurs morts et blessés. Cette répression n’a pas empêché les manifestants de continuer le week-end suivant, brandissant le drapeau de l’équipage de Luffy au chapeau de paille, issu du manga One Piece, devenu l’étendard des révoltes au Népal et en Indonésie.

Ni la répression, ni l’annonce du limogeage, vendredi 26 septembre, du ministre de l’Énergie, n’ont suffi à calmer la colère et la jeunesse de continuer le week-end suivant, brandissant les drapeaux One Piece. Le bilan de la répression serait d’au moins 22 morts au cours de ces jours de manifestation. Le lundi, c’est tout son gouvernement que le président malgache, Andry Rajoelina congédiait, promettant « un gouvernement qui travaillera pour le peuple ». Mais les manifestations se sont poursuivies dans plusieurs villes du pays et c’est maintenant la démission du président lui-même que demandent les manifestants.

Si le mouvement a pris au départ pour cible la corruption du régime, ce sont surtout les conditions de vie déplorables, le prix de l’électricité, le manque d’eau qui en sont l’arrière fond et qui pourraient bien entraîner derrière la jeunesse la classe ouvrière et mettre en danger bien plus que le gouvernement : la domination des riches.

Prix de l’électricité : dictat du FMI et ancienne puissance coloniale

Avec un salaire mensuel moyen de 41 euros (inférieur de 10 euros à l’officiel salaire minimum) et même un salaire moyen de 22 euros pour les travailleurs occasionnels, rien que le prix de l’électricité, semblable à celui qu’on paye en France (0,14 euros le KWh contre 0,16 à 0,18 en France) est inabordable pour bien des foyers. Pourtant, il est déjà subventionné par l’État, la compagnie nationale d’électricité Jirama estimant son coût de production à 0,30 euros le KWh. L’État débourse ainsi entre 150 et 250 millions de dollars chaque année pour soutenir la Jirama, dont une partie disparaît en corruption. De plus, l’entreprise nationale doit payer une bonne part de l’électricité à des producteurs privés et la revendre à perte : la production publique (par la Jirama elle-même) ne représente plus que 28 % du total, le reste provenant des sociétés privées. Et c’est ainsi que 33 % des Malgaches ont accès à l’électricité et que la couverture rurale est inférieure à 6 %.

Pour redresser la barre des dépenses de l’État jugées abusives, le FMI est intervenu pour ordonner à Madagascar un certain nombre de réformes austéritaires dont il a l’habitude. Parmi ces réformes, la privatisation de la Jirama elle-même, ce qui pourrait se traduire par un arrêt pur et simple de la fourniture d’énergie aux foyers les plus pauvres de Madagascar. Certaines entreprises occidentales, américaines, françaises ou autre se mettraient sur les rangs. Même la misère les engraisse. Les entreprises françaises sont bien placées : par exemple, à Volobe (dans l’est du pays), Colas (filiale du groupe Bouygues) prévoit de construire un barrage hydroélectrique de 120 MW avec un projet qui réunit autour d’elle une société malgache, Jovena (Groupe Axian), une compagnie norvégienne, et une succursale de la banque africaine de développement, Africa 50. GreenYellow, filiale du groupe Casino destinée à « l’électricité verte », vient d’achever la construction de la plus grande centrale solaire de l’océan Indien et bénéficie d’un contrat d’achat d’électricité d’une durée de 25 ans par la Jirama. Bien que Madagascar ait gagné son indépendance politique en 1960, l’impérialisme français est toujours bien présent.

Le problème n’est pas la couleur du gouvernement…

Les gouvernements à Madagascar se sont succédé en réponse à bien des révoltes. En 2002, Marc Ravalomanana – dont la première entreprise, le groupe agroalimentaire Tiko, avait été financé par la Banque mondiale – a ensuite investi dans les médias (papier, radio et télévision), a pris le pouvoir en truquant les élections. Il a été renversé par un mouvement de révolte en 2009. Le président actuel, Andry Rajoelina, à l’époque maire de la capitale, a alors été nommé « président de la haute autorité de transition », par les militaires qui avaient dégommé le président détesté, n’ayant d’autre choix que de changer la tête de l’État pour conserver l’essentiel. L’Union européenne avait alors condamné cette prise du pouvoir en parlant de coup d’État, avant de se faire au nouveau chef, homme d’affaires dans la publicité et la communication, à la tête d’une société créée avec l’appui financier d’une compagnie d’assurance d’État. Sa position fut ensuite formalisée par une élection présidentielle en décembre 2018. Entretemps la France lui avait accordé la nationalité française : un président « français » quoi de mieux pour une ancienne colonie ?
Dans ce pays de corruption, Rajoelina promet un nouveau gouvernement. Si sa manœuvre échoue à étouffer le mouvement, l’armée proposera-t-elle comme dans le passé de le déboulonner lui aussi pour un autre ? Plus d’un million de Malgaches connaissent des épisodes de famine depuis 2020 dans le sud, où la sécheresse, qui empire avec le réchauffement climatique, et les cyclones empêchent la population de produire leur nourriture. Les aides humanitaires, déjà insuffisantes, vont être drastiquement réduites avec la suppression des financements de l’USAid. Dans ces conditions, un simple ravalement de façade pourrait bien ne pas suffire à tromper la population en colère.

Arvo Vyltt