Topo Palestine Mai 2011
Face au retour de la violence du régime israélien et des tentatives d’intimidation des autorités palestiniennes, un mouvement palestinien populaire de résistance s’organise.
À Gaza et en Cisjordanie, des milliers de Palestiniennes et Palestiniens ont répondu présent à l’appel « citoyen » lancé via les réseaux sociaux.
Si le 15 mars a connu un réel succès, ce mouvement a relancé en même temps un véritable débat au sein de la société civile palestinienne.
Différences politiques entre le Hamas et le Fatah ?
Quel objectif pour l’unification du mouvement palestinien en Cisjordanie et à Gaza ?
Le périmètre de l’union des forces : l’ensemble du peuple palestinien en intégrant la diaspora, les réfugiés des camps du Liban, de Jordanie, de Syrie, ou bien l’espace de l’Autorité nationale palestinienne découlant des accords d’Oslo ?
Quelle réforme en profondeur de l’OLP ?
Ce « mouvement du 15 mars » a sans nul doute reposé un vrai débat au sein de la population : les questions politiques de la résistance face aux politiques sionistes, (débat qui va au delà des Etats majors palestiniens).
Reprises des négociations entre Hamas et Fatah : il appartient aux Palestiniens de ne pas se faire avoir.
Face aux débats démocratiques, la position israélienne ne varie pas. Le gouvernement israélien menace de représailles, d’une rupture avec Mahmoud Abbas, si un compromis politique se réalise entre les deux factions palestiniennes. Au-delà des menaces verbales, l’armée israélienne relance la violence. Dix Palestiniens ont été assassinés à Gaza, dont deux enfants et un vieillard. Un crime odieux commis dans une colonie est attribué derechef aux Palestiniens bien qu’il existe une autre piste fort probable concernant l’auteur de ce crime. Un attentat au colis piégé a eu lieu à Jérusalem, là encore le coupable est désigné d’office, sans qu’aucune organisation palestinienne connue ou inconnue ne revendique cet acte. La police et l’armée israéliennes sont inefficaces contre les exactions commises par les colons : voitures et maisons palestiniennes incendiées, population violemment tabassée, colons coupables non identifiés et non interpellés.
Face à l’échec des « plans de paix », c’est bien la question de l’élaboration d’une nouvelle stratégie qui est posée aux Palestiniens.
Le bilan de l’agression militaire dans la bande de Gaza est connu :environ 1330 morts et 5450 blessés du côté palestinien. (6 soldats Israéliens et 3 civils)
Pourtant pas de destruction de l’infrastructure et du mouvement Hamas
Le Hamas en sort renforcé globalement, prestige politiquement alors que le Fatah condamnait le Hamas qui rompait alors selon lui le processus de paix., réprimait les manifs de soutiens, emprisonne toujours 600 membres du Hamas.
Une guerre dans une fin de cycle
Fin de cycle car fin de la législature de Bush, victoire en 2008 du Hezbollah au Liban, rapprochement de la Syrie, Iran dans les négociations en Égypte sur la question palestinienne, Obama qui a une autre vision diplomatique avec l’Iran, et évidemment révolution en Égypte qui change la donne sur la question de la frontière avec Gaza. En Israël, échec d’Olmert, renforcement de la droite de Netanahou et extrême droite de Lieberman.
Rappeler cependant que ce n’est pas une défaite Israélienne en 2009 mais une nouvelle technique de guerre adoptée par Israël et qui refuse le face à face long avec ennemis.
Un mouvement national palestinien au tournant
Quel avenir pour le mouvement national palestinien ? Divisé, en crise. Hamas a regagné de la légitimité avec 2009 après avoir en partie baissé avec prise de pouvoir en 2007 à Gaza.
Gestion de Gaza avait été critiquée par les autres orgas : FPLP, FDLP, PPP dénonce eux autant un Fatah réprimant le Hamas en Cisjordanie et négociant à fond perdu avec les israéliens et les puissances occidentales, qu’un Hamas autoritaire favorisant lui aussi le processus de division entre la Cisjordanie et Gaza (même si dans les fait le FPLP s’est allié à des élections municipales et à voté sa confiance au gouvernement de Gaza).
Positionnement du FPLP aujourd’hui : le « document des prisonniers » (signé par Barghouti -Fatah-, Hamas via un membre de sa direction, FPLP et FDLP) :ses points principaux sont « la refondation de l’OLP et l’intégration du Hamas et du Jihad islamique » au sein de la centrale palestinienne, et la formation « d’un nouveau Conseil national palestinien de façon à assurer la représentation proportionnelle de toutes les forces palestiniennes nationales et islamiques », la formation « d’un gouvernement d’unité nationale qui assure la participation de tous les blocs parlementaires, en particulier le Fatah et le Hamas, et toutes les forces politiques qui souhaitent participer sur la base de ce document et du programme conjoint pour redresser la situation palestinienne aux niveaux arabe, régional et international », la libération des détenus palestiniens des prisons israéliennes et enfin le soutien à la revendication au droit au retour des réfugiés palestiniens [7]. Jamais appliqué, ce programme reste la base programmatique de discussion des groupes palestiniens.
Mais la gauche palestinienne ne fut pas le seul à soutenir cette « troisième voie » entre le Fatah et le Hamas. Le Mouvement du Jihad islamique en Palestine (scission des frères musulmans qui associent islamisme et nationalisme, cf Khomeny) n’a en effet pas ménagé ses critiques à l’égard du Hamas depuis juin 2007 (créé en 1987, par les Frères musulmans) et qui est venu tardivement sur les questions nationales. Du coup collusion politique avec la gauche palestinienne. Hamas aujourd’hui dans une position paradoxale et complexe : sont, par les urnes, portés au pour de l’ANP sur certains territoires, autorité qu’ils ont toujours considérés comme fruit des accords d’Oslo et donc instrument de la gestion de l’occupation et participent aussi à la division de la Palestine.
Il faut relativiser la bipolarisation de la vie politique palestinienne : les deux orgas sont elles même divisées (brigades des martyrs d’al-Aqusa, direction dure du Fatah, membres plus conscensuel du Hamas en Syrie et Jordanie).
Ensuite, existe bien un troisième camp : constitué pour l’essentiel de la gauche palestinienne –même minoritaire– et du Jihad islamique, il dénonce une lutte de pouvoir entre le Hamas et le Fatah et appelle à la résistance et à l’unité.
Les dernières guerres ont poussé les différentes orgas à se reparler, le Fatah n’ayant pas d’autres choix et le Hamas devenant un interlocuteur avec l’Occident.
Nouvelle donne diplomatique occidentale et émergence d’un nouvel acteur : les « arabes de 48 »
Un autre élément à suivre sur le moyen terme est naturellement l’évolution d’une partie des acteurs politiques occidentaux et, en partie, israéliens, vis-à-vis du Hamas. Paris, Washington, anciens ministres israéliens se rendent bien compte que le Hamas est une force avec qui il faut discuter.
Cependant, cela met le Hamas dans une situation particulièrement difficile, politiquement parlant : sa résistance militaire à Gaza a fait de lui un acteur incontournable dans le jeu politique palestinien, et il apparaît à beaucoup, désormais, comme la force politique légitime et majoritaire dans le champ politique palestinien. Tout l’ enjeux du deal proposé est le même qui fut proposé à Yasser Arafat à la fin des années 1980 : l’abandon de la stratégie de résistance contre une reconnaissance internationale. La question de « l’évolution » du Hamas reste encore posée.
Un élément pourrait cependant venir perturber tout ce jeu politique : l’entrée en scène des « arabes de 48 », c’est-à-dire des palestiniens ayant la citoyenneté israélienne. Ils composent près de 20% de la population israélienne. Depuis 2000, leurs mobilisations sociales et politiques se sont accrues. Tout le paradoxe est là : alors que le Hamas semble se rabattre sur une solution à deux États, juif et arabe, avec le concept de « Hudna » (trève) sur les frontières de 1967, un nouvel acteur politique semble gagner sa place dans le jeu palestinien. Or, à l’inverse de la perspective des deux États, juif et palestinien, le mouvement des « arabes de 48 » propose majoritairement une désionisation de l’État d’Israël, c’est-à-dire la création d’un État « de tous ses citoyens », juifs et arabes.
Décision de rapprochement est une décision pour prévenir une vague de contestation populaire. A Gaza, multiples rassemblements systématiquement réprimés par Hamas et en Cisjordanie par l’Autorité palestinienne.
les questions essentielles que sont la création d’un État avec une continuité territoriale avec Jérusalem comme capitale, retour des réfugiés seront résolues que par une mobilisation populaire d’envergure.
Cependant décision de réouverture de la frontière Egypte-Gaza, décisions de l’ONU constituent des points d’appuis, avec la grande mobilisation attendue du peuple palestinien le 15 mai.
En bonus :Israël et les révolutions arabes : entretien avec Michel Warschawski vendredi 8 avril 2011
A la mi-mars, Michel Warschawski, militant antisioniste et fondateur du Centre alternatif d’information de Jérusalem, est intervenu dans plusieurs assemblées publiques en Suisse romande consacrées à la levée de l’impunité des crimes de guerre commis à Gaza, aux côtés de Stéphane Hessel. Son intervention portait plus particulièrement sur la question de la nouvelle donne que représentent les révolutions arabes pour la politique israélienne. A cette occasion, nous lui avons posé quelques questions.
A la lecture de la presse israélienne, on a le sentiment qu’Israël dénie toute légitimité aux mouvements populaires dans les pays arabes. Est-ce exact ?
Tout à fait. Je dirais même que cela va au-delà du fait de nier cette légitimité. C’est simplement un facteur qui n’existe pas. Israël connaît des Etats, des gouvernements, des armées, peut faire la guerre, négocier, faire la paix, mais cela se fait toujours au niveau des Etats. Lorsqu’il s’agit des peuples arabes, cela devient une espèce de masse, identifiée au terrorisme, à un danger pour Israël. Par définition, les masses arabes sont anti-israéliennes, voire antisémites. Et l’irruption soudaine de ces masses comme acteur a représenté un élément qui a complètement déstabilisé les commentateurs et les politiciens israéliens. Donc, la réaction israélienne ne se fonde pas seulement sur la crainte de perdre l’atout que représenterait le traité de paix avec l’Egypte, mais aussi sur ce refus de prendre en compte les masses arabes ? Oui, mais plus qu’un refus, c’est un véritable sentiment de menace. La paix avec l’Egypte existe maintenant depuis quelques décennies et elle n’a jamais fait l’objet d’un sentiment profond, partagé, qu’il s’agissait là d’un acquis pour Israël. Et maintenant, de manière presque comique dirais-je, on se pose soudainement des questions, on fait semblant de découvrir que « oui, c’est un enjeu », etc. Mais Israël n’a rien fait pour maintenir cette paix. Il n’a rien fait, par exemple, pour renforcer le gouvernement égyptien qui avait fait la paix ou pour simplement écouter ce qu’il disait. Plusieurs fois, le président Moubarakh a mis en garde Israël pour sa politique au Liban ou a Gaza. La réponse était plutôt du genre « mais qui c’est, ce Moubarakh ? » et tout d’un coup, maintenant, on découvre le processus de paix, et on se demande ce qu’il en adviendra. Il prend en quelque sorte sa signification par défaut, négativement.
Parce qu’il est mis en danger ?
Non, il n’est pas mis en danger, mais celui qui semblait en être le garant n’est plus là.
Ce sentiment de menace expliquerait aussi les déclarations de Shimon Peres à Angela Merkel, selon lesquelles la démocratie était d’une certaine manière réservée à ceux qui se reconnaissent dans la civilisation occidentale, mais qu’il fallait en user avec parcimonie avec les autres ?
Ça, c’est typiquement le regard colonial israélien et plus particulièrement celui de Shimon Peres, qui a une vision binaire du monde, avec d’un côté les civilisés, ceux qui appartiennent à la civilisation judéo-chrétienne, et de l’autre, les sauvages. Et ceux-là, il faut savoir les gouverner. Cela aussi, c’est profondément ancré dans l’opinion israélienne et c’est la raison pour laquelle on n’a pas eu une once de la joie que l’on a retrouvée partout dans le monde, qui se disait « il y a un printemps arabe ! ». Là, c’était plutôt l’automne…
Justement, cette attitude est-elle propre aux sphères gouvernementales ou est-elle partagée par la population israélienne ?
Elle est largement partagée par la population et les médias. Certes, il y a des opinions et des commentaires qui sont plus intelligents et plus ouverts par rapport à cet immense changement dans le monde arabe, mais de manière générale c’est une opinion partagée par la grande majorité des médias et donc de l’opinion publique.
La politique extérieure israélienne ne va donc pas changer ? Elle va poursuivre sa ligne de « défense d’un Etat assiégé » en attendant le retour des Républicains à Washington ?
Effectivement. Bien avant les événements régionaux que nous connaissons, le gouvernement Obama a toujours été perçu comme une parenthèse, une mauvaise parenthèse. Il faut attendre que cette parenthèse se referme, pour revenir à la normalité, et la normalité à un nom : George W. Bush. Même si ce ne sera plus lui, cette normalité se décline au passé, dans la guerre globale, permanente et préventive, dans une stratégie de recolonisation du monde. Benyamin Nethanyaou [actuel chef du gouvernement, réd.] a été l’un des pères de cette stratégie il y a trente ans. Pour lui, le règne de Bush et de sa stratégie a permis la réalisation de tous ses objectifs. Le départ de Bush, qui faisait suite à l’échec de cette stratégie de guerre globale, qui a été un fiasco pour les Américains, a été surtout perçu en Israël comme une parenthèse avant un proche retour à la normalité.
Peut-on espérer, en fonction des avancées du mouvement démocratique et social dans la région, un changement dans l’opinion publique israélienne ou est-ce que la situation est complètement rigidifiée ?
Ce sera médiatisé par Washington. Si la politique américaine change en fonction d’une nouvelle lecture de la réalité au Moyen-Orient, elle forcera la main à un changement de la politique israélienne, de l’opinion publique israélienne et vraisemblablement du gouvernement. Avec un problème, c’est que nous n’avons pas de gouvernement de réserve. « Tzipi » Livni et Kadima ? [dirigeante et principal parti d’opposition, réd.].Peut-être. Mais cela ne se fera que par le biais de Washington. Comme par le passé, où chaque tournant important de la politique israélienne a suivi un tournant de la politique américaine et a été pour ainsi dire imposé ou impulsé par celle-ci. Il n’y aura pas de prise de conscience autonome ; elle sera forcée, d’une certaine manière.
Mais est-ce que Washington a les moyens de le faire ? La politique israélienne de poursuite de la colonisation s’est faite contre les réticences et les critiques des Etats-Unis ; n’y a-t-il pas une certaine autonomie du gouvernement israélien ?
Il y a certainement une grande autonomie du gouvernement israélien. Ce n’est pas une marionnette que l’on manipule depuis Washington et si tu m’avais posé la question il y a deux mois, je t’aurais dit : « il n’y aura pas de changement ». Les Américains sont conscients — et c’est ce qui explique le recul d’Obama après le discours du Caire, qui laissait entendre plein de choses et qui a rapidement été « oublié » — qu’ils devront faire de grosses pressions pour faire reculer le gouvernement d’extrême droite actuel et l’opinion publique israélienne, passablement droitière. Ce n’est plus une discussion politique amicale sur le mode « écoutez, les gars, il faut se calmer, vous en faites un peu trop et nous ça nous crée des problèmes… ». Là, il va falloir forcer la main. Forcer la main, cela veut dire affaiblir Israël, donc affaiblir aussi les Américains. Ce qui explique le recul des Etats-Unis, et pas du tout l’action supposée de divers lobbies pro-israéliens.
Washington a été placé devant ce choix : Israël devrait changer de politique, mais si on se donne les moyens de la faire changer, on s’affaiblit. Dilemme, donc, puisque dans les deux cas, on est faible. Et de la même manière qu’en Israël on attend la fin de la présidence d’Obama, aux Etats-Unis, on attend la fin du gouvernement de droite actuel et le retour d‘un gouvernement plus modéré. Cela, c’est la réponse que j’aurais donnée il y a deux mois. Les bouleversements dans la région arabe pourraient toutefois amener les Américains à considérer qu’il y a urgence et qu’Israël commence à gêner ; ils pourraient estimer que les intérêts américains commandent à Israël de s’adapter et le lui faire comprendre fermement.
Propos recueillis par Daniel Süri