Topo sur l’Irlande du Nord (2006)
Depuis la partition, en 1921, puis l’administration directe imposée par Londres en 1972, l’Irlande du Nord n’a connu que violences, affrontements et divisions, entre ses communautés catholique et protestante, entre unionistes et nationalistes. L’accord de paix de 1998 et la formation d’un gouvernement semi autonome en novembre 1999 ont changé la donne. Mais démocratisation, démilitarisation et développement économique doivent être les priorités de Belfast pour l’établissement d’une paix durable.
Aujourd’hui, l’Irlande est divisée en 32 comtés, 26 forment la République d’Irlande, encore appelée État libre ou Éire, capitale Dublin. Les 6 autres forment l’Irlande du Nord improprement appelée Ulster, l’Irlande du Nord n’étant que la partie Nord-Est de l’Ulster.
Avant toutes choses, il est nécessaire pour se pencher sur le conflit irlandais de balayer un lieu commun selon lequel la guerre qui fait rage en Irlande serait une guerre de religion. Il n’en est rien. Il s’agit en revanche d’un peuple, le peuple irlandais qui mène une lutte de libération nationale face à l’impérialisme britannique et aux troupes d’occupation. L’Irlande du Nord peut d’ailleurs par analogie être qualifiée d’Harlem européen.
L’analyse politique du conflit irlandais ne peut se faire sans une connaissance approfondie des éléments historiques de ce conflit. C’est pourquoi, par souci de clarté et de simplicité, le plan d’étude sera chronologique mais traversé par nombre de questions politiques essentielles : l’impérialisme, la dualité de pouvoir, l’État, le parti, la lutte armée…
1541 :
Henri VIII, roi d’Angleterre, se proclame roi d’Irlande et le nouveau statut impérial stipule que « le roi et ses successeurs seront souverains impériaux du royaume d’Irlande en tant qu’uni et rattaché à la Couronne impériale d’Angleterre ». Cet évènement n’est rien d’autre que le début de la longue domination impérialiste anglaise sur l’Irlande.
1688 :
Guillaume d’Orange monte sur le trône anglais. L’Irlande se divise alors entre Orangistes (protestants favorables à Guillaume) et Jacobistes (catholiques menés par Jacques Talbot, insoumis au nouveau roi), soutenus par Louis XIV. Le 12 juillet 1690, une armée de 36000 Orangistes écrase 22000 catholiques sur les rives de la rivière Boyne. En 1698, c’est le début du terrorisme religieux. Les évêques ne peuvent résider en Irlande, pas plus que les prêtres, à moins qu’ils ne prêtent serment d’allégeance à la Couronne ; et ceux qui se convertissent au protestantisme touchent une rente de l’État. Le terrorisme économique, quant à lui se développe allègrement et en 1740, une famine fait 400000 morts. Il faut bien voir que ce qui peut sembler être un conflit religieux est en réalité avant tout un affrontement entre ceux qui soutiennent la domination anglaise et ceux qui veulent une Irlande indépendante même si bien entendu cet affrontement comporte une forte dimension religieuse.
1791 :
En 1791, on assiste à la naissance du club des « Irlandais unis », sous la houlette d’un jeune avocat, Wolfe Tone. Ce mouvement est ouvert indifféremment aux deux confessions. Selon Wolfe Tone, la lutte pour l’émancipation sociale, économique et politique du peuple irlandais ne pouvait être séparée de la lutte pour l’indépendance nationale. L’Angleterre céda du terrain, ne voulant pas s’engager dans une aventure aussi sanglante que fut celle de la Vendée pour la Convention en France. Les catholiques retrouvèrent le droit d’enseignement et le droit de vote. Conscients de la faiblesse des anglais, ils demandèrent alors l’égalité complète avec les protestants. Ces derniers réagirent alors violemment, et face à l’inertie britannique, ils créèrent en 1795 l’Ordre d’Orange, société secrète, destinée à défendre les privilèges anglicans en Irlande et plus spécialement en Ulster. La revendication des Irlandais unis n’était autre que la séparation totale de l’Irlande et de l’Angleterre. Sur l’impulsion de Londres, les protestants créent une milice puissante, la Yeonmary, ancêtre de l’UDA, et ils parcourent les campagnes perpétrant des massacres sanguinaires.
1798 :
La « Vendée » irlandaise éclate cette année là. Il s’agit d’un soulèvement populaire, « le peuple en armes » face à la tyrannie. La répression fut sanglante et sans retenue (plus de 30000 victimes) mettant un coup d’arrêt à la résistance irlandaise pour plusieurs décennies.
1843 :
Avec la maladie de la pomme de terre, une nouvelle famine survient. A Dublin, on a coutume de dire que si le ciel envoya la pomme de terre, l’Angleterre elle envoya la famine.
1846 :
« Le rapide développement de l’industrie anglaise n’aurait pas été possible si l’Angleterre n’avait disposé d’une réserve : la population nombreuse et misérable de l’Irlande. L’Angleterre, pays de production capitaliste développée, et pays industriel avant tout, serait morte d’une saignée de population telle que l’a subie l’Irlande. Mais l’Irlande n’est plus aujourd’hui qu’un district agricole de l’Angleterre, séparé d’elle par un large canal, et qui lui fournit du blé, de la laine, du bétail, des recrues pour son industrie et son armée.
La famine de 1846 tua en Irlande plus d’un million d’individus, mais ce n’était que des pauvres diables. Elle ne porta aucune atteinte directe à la richesse du pays. L’exode qui s’ensuivit, lequel dure depuis vingt années et grandit toujours, décima les hommes, mais non – comme l’avait fait en Allemagne, par exemple, la guerre de Trente Ans, – leurs moyens de production. » K. Marx, Le Capital Livre Premier Chapitre 25.
1850-1921 :
Au cours de cette période, plusieurs mouvements vont s’illustrer au sein de la résistance irlandaise :
- The Ancient Order of Hibernians constitué d’une poignée de fanatiques catholiques.
- Les Socialistes Républicains de James Connoly qui fut le premier à penser une idéologie socialiste dans l’Irlande des années 1915.
- The Irish Republican Brotherhood regroupe plusieurs mouvements de lutte armée. C’est l’organisation secrète ancêtre de l’IRA. Seule véritable héritière des révoltes passées, elle est liée au Sinn Fein (Nous seuls) d’Arthur Griffith qui n’est autre en fait que la couverture idéologique et politique de l’IRB.
Face à ces mouvements de résistance, les Britanniques, plutôt que d’intervenir directement, favorisent les milices anglicanes. A Dublin, en 1913, une grande grève donne naissance à la Citizen Army, organisation paramilitaire des socialistes de Connoly. C’est alors que le coup de force fut prévu pour Pâques 1916. The Irish Volunteers est un groupement comprenant la Citizen Army de Connoly et contrôlé par l’Irish Republican Brotherhood (IRB) mis en place en vue d’organiser le coup de force. Le Conseil suprême de l’IRB fixe alors le jour de l’insurrection au 23 avril 1916. Ce lundi de Pâques, les insurgés, sous la direction de Connoly (Commandant général des forces d’insurrection), prirent la grande poste de Dublin. L’armée socialiste y installe son quartier général. Mais, la réaction des habitants ne sera que très limitée et les insurgés ne tiendront que 5 jours. Ce fut toutefois assez pour écrire une page de l’histoire en proclamant pour la première fois la République d’Irlande. La répression fut sévère à l’égard des leaders de l’insurrection. Seize dirigeants furent fusillés dont Connoly, nouveau martyr de la cause irlandaise. Les élections qui suivirent furent un succès sans précédent pour le Sinn Fein. Les parlementaires élus refusèrent alors de se rendre à Londres et décrétèrent la formation d’une Assemblée Nationale représentative, à Dublin sous le nom de Dail Eireann. Eamon de Valera fut élu président de cette République d’Irlande que venait de proclamer aussitôt réunie, l’Assemblée irlandaise, le Dail Eireann. Par ailleurs, à partir des structures des Irish Volunteers, et sous la direction de Michael Collins et Cathal Bruggha, venait de naître l’Irish Republican Army (IRA), et désormais le sort de l’Irlande fut lié à ces trois lettres.
Dès 1920, le Sinn Fein et l’Assemblée irlandaise furent déclarés illégaux et ces décisions ne firent qu’envenimer la situation. L’IRA mène dans toute l’Irlande une lutte de guérilla. Elle attaque partout les forces d’occupation, auxquelles Londres avait adjoint deux corps spéciaux paramilitaires composés de volontaires protestants encadrés par des officiers britanniques : les Black and Tans et les Auxis. Durant ces heures sanglantes, on put voir la 3ème brigade de l’IRA de Cork s’illustrer courageusement.
Léon Trotsky – Sur les évènements de Dublin (Irlande, 1916)
4 juillet 1916
Article de Nashe Slovo 4/7/1916. Traduction par nos soins d’après le texte anglais
Sir Roger Casement, l’ex-grand bureaucrate colonial de la Grande-Bretagne, révolutionnaire nationaliste irlandais par conviction, l’intermédiaire entre l’Allemagne et le soulèvement irlandais, a déclaré à la lecture de sa condamnation à mort : « Je préfère être assis sur le banc des accusés que sur le siège de l’accusateur ». La sentence disait, selon la formule consacrée, qu’il serait « pendu par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive », et implorait pour son âme la pitié divine.
La sentence doit-elle être exécutée ? Cette question a dû faire passer des heures pénibles à Asquith et Lloyd George. Exécuter Casement rendrait encore plus difficile au parti irlandais, opportuniste, nationaliste et purement parlementaire, la tâche de ratifier un nouveau compromis avec le gouvernement anglais sur le sang des insurgés. Mais gracier Casement, après avoir effectivement procédé à autant d’exécutions, passerait pour une démonstration ouverte d’indulgence envers un traître de haut rang, comme le chantent démagogiquement les socio impérialistes du type Hyndman, ces hooligans assoiffés de sang. Mais quel que soit le destin personnel de Casement, il conclura l’épisode dramatique de l’insurrection irlandaise.
Tant que l’affaire se limitait aux simples opérations militaires des insurgés, le gouvernement n’a, comme on le sait, pas eu grand-mal à se rendre maître de la situation. Quelle que soit la manière dont les rêveurs nationalistes se le représentaient, le mouvement national général n’a pas eu lieu du tout. La campagne irlandaise ne s’est pas soulevée. La bourgeoisie, ainsi que la couche supérieure la plus influente de l’intelligentsia irlandaise, sont restées en retrait. Les travailleurs des villes se sont battus et sont morts aux côtés des enthousiastes révolutionnaires de l’intelligentsia petite-bourgeoise. Même dans l’Irlande arriérée, la base historique de la révolution nationale a disparu. Les mouvements irlandais du siècle dernier ont eu un caractère populaire dans la mesure où ils se sont nourris de l’hostilité du fermier pauvre et privé de tout envers le tout-puissant propriétaire terrien anglais.
Mais si pour ce dernier l’Irlande était seulement un objet de pillage et d’exploitation, pour l’impérialisme britannique c’était un élément nécessaire de leur domination sur mer. Dans une brochure écrite à la veille de la guerre, Casement, spéculant de l’Allemagne, prouve que l’indépendance de l’Irlande signifie « la liberté des mers et un coup mortel porté à la domination navale de la Grande-Bretagne ». C’est vrai dans la mesure où une Irlande « indépendante » ne pourrait exister que comme l´avant-poste d’un impérialiste hostile à la Grande-Bretagne et comme sa base navale tournée contre la suprématie britannique sur les routes maritimes. C’était Gladstone qui avait le premier expliqué clairement la les implications militaires et impérialistes du soutien de la Grande-Bretagne des intérêts des propriétaires anglo-irlandais et a donné les bases de la législation agraire par lequel l’état a transféré la terre aux agriculteurs irlandais, bien sûr en indemnisant généreusement l´ancien propriétaire. De toute façon, après les réformes agraires de 1881-1903, les agriculteurs se sont métamorphosés en petits propriétaires fonciers conservateurs, dont le regard fixe la bannière verte de l’indépendance nationale, mais qui ne sont plus capables de rien arracher à leurs lopins de terre.
L’élite intellectuelle irlandaise, superflue, a gagné par milliers les villes de Grande-Bretagne, comme avocats, journalistes, employés de commerce, etc. Pour la majorité d’entre eux, « la question nationale » s’est ainsi bien estompée. D’autre part, la bourgeoisie commerciale et industrielle irlandaise, dans la mesure où elle s’est formée au cours des décennies passées, a immédiatement adopté un une position d´antagonisme vis-à-vis du jeune prolétariat irlandais, renonçant à la lutte révolutionnaire nationale et rejoignant le camp de l´impérialisme. La jeune classe ouvrière irlandaise, se formant dans l´atmosphère saturée par les souvenirs héroïques des rébellions nationales et se confrontant à l’arrogance égoïste, bornée, impérialiste, du syndicalisme britannique, hésite naturellement entre le nationalisme et le syndicalisme, toujours prête à unir ces deux conceptions dans sa conscience révolutionnaire. Elle attire la jeune élite intellectuelle et d´enthousiastes personnalités nationalistes, qui, à leur tour, imposent au mouvement la prépondérance du drapeau vert sur le rouge. Ainsi, « la révolution nationale », en Irlande même, est en pratique devenue un soulèvement ouvrier et le la position évidemment isolée de Casement dans le mouvement ne fait que souligner ce fait.
Seule la mollesse patriotique sourdant par tous ses pores peut pousser quelqu’un à interpréter la situation comme si les paysans irlandais avaient refusé de participer à la révolution en considérant gravement la situation internationale, sauvant ainsi « l’honneur » de l’Irlande. En fait ils n´ont été poussés que par l’égoïsme obtus de l’agriculteur et l’indifférence complète envers tout ce qui se situe au-delà des limites de son lopin de terre. C’était précisément et uniquement à cause de cela qu’ils ont fourni au gouvernement de Londres l´occasion d´une victoire si rapide sur les défenseurs héroïques des barricades de Dublin. Leur courage personnel est incontestable, mais représente les espoirs et les méthodes du passé. Mais l´arrivée du prolétariat irlandais sur la scène de l´histoire ne fait que commencer. Il a déjà injecté dans ce soulèvement – sous un drapeau archaïque – son sentiment de classe contre le militarisme et l’impérialisme. Ce sentiment ne disparaîtra pas. Au contraire, il trouvera un écho partout en Grande-Bretagne. Des soldats écossais ont emporté les barricades de Dublin. Mais en Écosse même les mineurs se regroupent autour du drapeau rouge levé par Mac Lean et ses amis. Ces mêmes ouvriers, qu´à l’heure actuelle Henderson essaye d’enchaîner au char sanglant de l´impérialisme, dirigeront eux-mêmes le vengeance contre le bourreau Lloyd George.
1921-1949 :
La répression armée des anglais ne suffisant pas à annihiler la résistance irlandaise, il ne restait à Londres qu’une solution : impensable, mais ultime ressource, dont l’échéance était ajournée depuis 300 ans, accorder l’autonomie. Mais quelle autonomie ? Lloyd George décréta que l’Irlande se gouvernerait seule… à l’exception de l’Ulster. D’une part, vingt-six comtés, un parlement : le Dail Eireann, et une capitale : Dublin ; de l’autre, les six comtés restants, le Stormont : parlement de Belfast et la tutelle de Westminster. Autonomie tronquée, indépendance usurpée, que fut obligé de signer De Valera, sous la menace « d’une guerre immédiate et terrible », selon les propres mots de Lloyd George.
Le traité de partition divisant les hommes et les partis, le Sinn Fein se scinda en deux factions opposées, et les Volontaires de l’IRA, après toutes ces années passées au combat contre l’Anglais, se découvrirent frères ennemis. La guerre civile éclata avec plus de violence et d’horreur que toute autre. Elle devait durer jusqu’en 1923. En 1949, l’Irlande quittait le Commonwealth pour devenir République libre : l’Éire. Nouvelle République à laquelle manque l’Ulster, et qui ne connaît de l’indépendance qu’une vague réalité puisqu’elle demeure tributaire économiquement, donc politiquement, de sa grande sœur tyrannique, l’Angleterre.
Acte des Pouvoirs Spéciaux, texte en vigueur en Irlande du Nord entre 1948 et les années 1970 :
« En vertu de l’Acte des Pouvoirs Spéciaux en Irlande du Nord, les autorités ont le pouvoir de :
1- Procéder à des arrestations sans mandat,
2- Emprisonner sans charge et sans procès,
3- Procéder à des perquisitions sans mandat, par la force si nécessaire à toute heure du jour et de la nuit,
4- Imposer le couvre-feu, interdire les rassemblements, y compris les foires et les marchés, interdire les défilés,
5- Autoriser les châtiments par le fouet,
6- Refuser les jugements par jurés,
7- Faire mettre en état d’arrestation les personnes citées comme témoins, les obliger à répondre sous serment à tout interrogatoire, le refus de répondre ou de prêter serment étant considérés comme infraction aux lois,
8- Ignorer pour toutes opérations de police, le droit de propriété,
9- Refuser aux prisonniers tout contact avec leurs familles ou avec leurs avocats,
10- Interdire l’ouverture d’une enquête à la mort d’un prisonnier,
11- Procéder à l’arrestation de personnes soupçonnées de répandre, même au cours de conversations privées, de « fausses nouvelles »,
12- Interdire toute publication, tout journal,
13- Interdire la possession de films, de pellicules photographiques ou de disques,
14- Procéder à des arrestations pour des actes « préjudiciables au maintien de l’ordre en Irlande du Nord », même si ces actes ne sont pas prévus par la législation d’exception en vigueur. »
Deux prêtres ont établi une liste des principales méthodes de répression. En voici quelques-unes :
Tortures physiques :
- Coups de pied entre les jambes en position de fouille.
- Mettre un homme en position de fouille (mains au mur, jambes écartées) au-dessus d’un feu électrique ou d’un radiateur.
- Coup du lapin sur la nuque en position de fouille.
- Taper la tête contre le mur.
- Coups de bâton sur la tête de plus en plus fort.
- Tordre les bras du prisonnier derrière son dos, puis les doigts.
Tortures psychologiques :
- Piqûres.
- Utilisation de fils électrifiés.
- Brûlures.
- Privation de sommeil.
- Uriner sur les prisonniers.
- Coups de feu à blanc.
- Roulette russe.
- Utilisation de produits toxiques.
- Simulation d’exécution.
1949-1972 :
Jusqu’à la fin des années 1960, la répression est telle que la résistance irlandaise, déjà minée par la partition du pays et les divisions internes, a de réelles difficultés pour se développer et soutenir l’affrontement avec l’impérialisme anglais. Les deux documents ci-dessus illustrent bien l’ampleur du désastre. « Être catholique à Belfast en octobre 1968, c’est être nègre à Dallas ou indien au Brésil. » C’est d’ailleurs en 1968 que la révolte va éclater avec pour point de départ l’Ulster et une série de manifestations pour les revendications suivantes :
- Un homme, un vote.
- Découpage équitable des circonscriptions électorales.
- Attribution plus juste des emplois et des logements.
- Liberté de parole et de réunion.
- Abrogation de la loi sur les Pouvoirs spéciaux.
Ajoutons que ces revendications qui peuvent nous apparaître quelque peu réformistes, sont de véritables slogans révolutionnaires dans le contexte nord irlandais de 1968-1969. Face au nouveau souffle de la résistance nord irlandaise, la Couronne britannique va encourager l’Ordre d’Orange à multiplier les exactions à l’égard des catholiques. Ce climat de violences suscité par l’Angleterre va lui permettre de légitimer l’envoi de milliers de soldats britanniques supplémentaires pour soi-disant assurer la protection des quartiers catholiques nord irlandais. Évidemment, il n’en est rien et les forces d’occupation britannique ne servent en réalité qu’à couvrir les exactions dont sont victimes les catholiques et à maintenir le système d’oppression existant. Mais, les catholiques ne sont pas restés sans rien faire face aux violences orangistes. En effet, dans de nombreux quartiers catholiques, des barricades ont été construites et l’autonomie des ghettos nord irlandais commence à germer. Les forces d’occupation britanniques lancent en vain des appels aux rebelles pour qu’ils détruisent leurs barricades. Les rebelles ne cèdent pas malgré leur crainte de se voir écrasés par l’armée britannique. L’IRA en proie à une grave crise interne s’illustre par son absence dans la lutte qui est en train de se mener jusqu‘en 1970.
L’IRA bien faible mais vivante a servi de prétexte systématique à la répression anglaise (fouilles, arrestations, perquisitions des maisons catholiques…). A partir de l’été 1970, l’IRA devient militairement opérationnelle et la lutte armée prend son essor. A l’insurrection succède la guérilla. En une année, l’IRA « Provisoire » (puisque, l’IRA est divisée en deux branches : « Officielle » et « Provisoire ») devient la première organisation de résistance armée. Le soutien et la confiance que lui accorde la population catholique sont entiers. L’Ulster s’installe dans la guérilla urbaine. L’armée d’occupation britannique tente par tous les moyens de nettoyer les Volontaires de l’IRA. Une répression de plus en plus féroce s’installe.
« Descente. Six soldats britanniques (quatre armés de fusils SLR) ont débarqué récemment à Divis Flats avec un mandat d’arrêt pour un des résidents. Son crime… avoir jeté des pierres sur l’armée britannique. Après avoir interrogé ce « rebelle », les soldats décidèrent de le laisser à ses parents… Il avait trois ans ! » Extrait de Tattler, journal de l’IRA à Belfast.
L’autonomie des ghettos et la dualité de pouvoir :
L’autonomie des ghettos catholiques nord irlandais est un phénomène unique dans l’histoire contemporaine sur lequel il est bon de revenir. Durant trois ans, des hommes et des femmes ont organisé des quartiers libres et indépendants. Microsociété libertaire où ne figuraient ni hiérarchie, ni police.
Les quartiers sont ceinturés de barricades, ils forment un énorme bastion où la résistance s’est développée, efficace et organisée. Quelques usines fonctionnent tant bien que mal, la moitié de la population est au chômage. Partout on peut lire des inscriptions telles que : « Victory for the IRA » (Victoire pour l‘IRA), « You are now entering free Derry » (Vous pénétrez maintenant dans la zone libre de Derry). Les rues sont patrouillées par les volontaires de l’IRA, cagoulés et armes automatiques au poing. L’IRA est l’armée du peuple. Elle défend chaque barricade, chaque rue. Mais ni la police unioniste protestante, ni l’armée ne se hasardent dans les ghettos autonomes.
Dans ce climat communautaire, de nombreuses expériences ont été tentées, souvent avec succès. Parmi les plus intéressantes, les coopératives alimentaires, les comités de quartiers, les comités de relogement, etc. Déjà à Belfast, des coopératives fonctionnaient, généralement lancées par les Clubs Républicains, émanation politique de l’IRA.
La gestion des quartiers se déroulait dans la stricte application des principes démocratiques. Le comité de quartier réunit en assemblées les représentants des comités de rues, eux-mêmes désignés par leurs concitoyens pour les représenter. On décide de l’ensemble des questions liées à l’organisation de la vie quotidienne, cela va du ramassage des ordures à la défense militaire des ghettos. Très souvent, à partir du comité de quartier existe le Comité d’entraide, destiné à prendre en charge les enfants dont les parents sont morts ou internés. Le Comité de relogement joue aussi un rôle primordial. Il est chargé notamment de rebâtir les habitations détruites. Chaque initiative populaire est soutenue par l’IRA mais directement prise en charge par la population elle-même :
« Il se développe une situation de double pouvoir : certains quartiers étant contrôlés par l’État et d’autres par le peuple » (Unfree citizen, journal de The People’s Democracy, groupe d’étudiants)
Cette expérience, même si elle a pris une autre forme depuis le 31 juillet 1972, représente un acquis formidable pour les catholiques nord irlandais. La communauté soudée a été capable de s’organiser économiquement et a eu pleine confiance en son armée, l’IRA.
« Bloody Sunday » et ses conséquences immédiates :
Dimanche 30 janvier 1972, à Derry, un nouvel échelon est franchi dans l’escalade de la répression britannique. L’armée abat treize manifestants d’une marche pacifique.
L’après midi du 30 janvier 1972, les Droits civiques organisent une manifestation pacifique, Bernadette Devlin en tête, pour demander la fin de l’internement administratif. 5000 manifestants que l’armée britannique va très rapidement réprimer. Dans un premier temps, les soldats anglais font usage de balles en caoutchouc mais très vite, ils vont commencer à tirer à balles réelles dans le dos des manifestants qui tentent désespérément de s’enfuir. 13 personnes sont assassinées en moins d‘une heure. Aucune sanction n’a jamais été prise à l’égard des officiers britanniques responsables de l’opération.
Face à la réaction forte de l’IRA (renforcée par le massacre de Derry et l’attitude des britanniques) et à toute une série de manifestations de masse, l’Angleterre sent qu’elle va être contrainte à des réformes. L’opposition obstinée des protestants à vouloir écraser la population catholique nord irlandaise va inciter la Couronne britannique à placer l’Irlande du Nord sous son administration directe.
A ce moment là, les principales revendications de l’IRA sont les suivantes :
- Droit du peuple irlandais tout entier à disposer de lui-même
- Amnistie de tous les internés
- Retrait total des troupes britanniques dans un délai maximum de deux ans
A la fin du mois de juillet 1972, c’est plus de 21000 soldats britanniques qui investissent les ghettos catholiques. Cela n’empêchera pas l’IRA de poursuivre sa lutte de guérilla.
Éléments les plus récents du conflit nord irlandais :
1994 : Cessez-le-feu de l’IRA puis des paramilitaires unionistes. Londres accepte d’ouvrir des négociations.
10 avril 1998 : Signature de l’accord de paix, surnommé par la suite « accord du vendredi saint ».
28 juillet 2005 : L’IRA annonce la fin de la « lutte armée » et la poursuite de son objectif de réunification de l’Irlande par des voies démocratiques.
24 novembre 2006 : Les deux principaux partis politiques nord irlandais, le Sinn Fein (catholique) et le Parti unioniste démocrate (DUP, protestant), doivent avoir trouvé un accord pour la formation d’un gouvernement « semi- autonome ».
L’Irlande du Nord en quelques chiffres (2001) :
Population : 1 685 300 habitants.
Religion : 53 % de protestants, 44 % de catholiques et 3 % sans religion ou sans réponse (recensement 2001).
Capitale : Belfast.
Statut politique : province administrative du Royaume-Uni.
Langues : anglais (90 %), irlandais, scot.
Superficie : 13 843 km2.
Statistiques du conflit nord irlandais :
Les tensions en Irlande du Nord sont pudiquement qualifiées de « troubles ». Le nombre de victimes est cependant considérable pour une population de 1 600 000 personnes environ sont cependant éloquents.
De 1969 à 2003 on compte en effet :
• 3 500 tués
• 47 500 blessés
• 19 600 emprisonnements
• 37 000 fusillades
• 16 200 attentats à la bombe ou tentatives
• 2 200 incendies volontaires
• 22 500 armes dérobées
Sur les 3 480 victimes des 30 années de conflit en Irlande du Nord, de 1969 à 1998 :
• 60 % furent tués par les forces paramilitaires républicaines
• 28 % furent tués par les forces paramilitaires loyalistes
• 11 % furent tués par les forces de sécurité britanniques
• 91 % étaient des hommes
• 53 % avaient moins de 30 ans
• 30 % étaient protestants