De la colonisation aux révoltes contre les violences policières : comment mettre fin au racisme, pilier fondateur du capitalisme ? [Topo du WEF oct 2024]
En 2023 le nouveau ministre de l’intérieur Retailleau chantait les belles heures de la colonisation française. Un an plus tard, le racisme déroulé par le haut ne manque pas, entre Trump qui promet la remigration et annonce que les migrants haïtiens vont manger ton chien, la gauche allemande qui prévoit toujours plus de flicage aux frontières et la prévision d’une nouvelle loi immigration co écrite avec le RN. Mais si le racisme vient d’en haut, il n’en reste pas là. Les railleries racistes et les préjugés chauvins sont présents chez bien des travailleurs. Et parmi les émeutiers anglais de cet été qui attaquaient des centres d’hébergement de demandeurs d’asile, nombreux étaient ceux qui venaient des rangs de la classe ouvrière.
Ces préjugés et attitudes racistes ne sont pas tirés d’une pseudo nature humaine ou d’un réflexe psychologique abstrait de type peur de l’étranger, pas plus qu’ils ne forment un problème à l’échelle individuelle seulement. Ce sont des rapports sociaux façonnés par l’histoire, plus précisément par l’histoire de ce qui met en mouvement les sociétés humaines : la lutte des classes.
Car les classes dominantes se sont servi du déni d’humanité et des discours de supériorité culturelle ou naturelle pour justifier la domination et le pillage. C’est la xénophobie des propriétaires et généraux grecs contre les barbares, les aristocrates espagnols qui se disaient sang bleu pour se différencier de la plèbe, des étrangers et des juifs, ou encore le système de castes indiennes. Mais si la xénophobie existait bien avant l’apparition du capitalisme, le racisme tel qu’on le connaît aujourd’hui est irrémédiablement lié au capitalisme, en raison du chemin emprunté par la bourgeoisie pour en arriver à dominer la société. A première vue, ce n’est pas évident que le capitalisme et le racisme se lient ainsi : a priori, le patron qui exploite l’ouvrier n’a pas besoin de stigmatiser et d’opprimer les hommes selon leur couleur de peau, ethnie ou origine. D’un certain pdv c’est même le contraire : à l’échelle de l’histoire, le capitalisme unifie l’humanité sous le talon de fer de l’exploitation salariée.
→ Ne s’agit pas ici de faire faire la liste de toutes les situations où le racisme s’exprime, mais de comprendre d’où il vient, quels liens avec le capitalisme, à quoi il répond, et comment le combattre.
1- Le racisme, pilier fondateur du capitalisme de la traite négrière :
Et pour comprendre ça, c’est essentiel de comprendre que le racisme tel qu’on le connaît aujourd’hui, il est apparu dans la transition entre le féodalisme et le capitalisme. Et le point de bascule entre ces deux modes de production c’est la traite négrière. En effet, on a tout d’abord en Europe occidentale du 9e au 13e siècle un mode de production spécifique qu’est le féodalisme, qui permet une première accumulation de capital via le servage. On voit alors un début d’économie marchande et bancaire mais limité à l’Europe occidentale. Puis entre le 15 et le 16eme siècle, les monarchies choisissent de financer une bourgeoisie constituée alors des petits marchands dans son projet des pseudos grandes découvertes. Vous savez le fameux Christophe Colomb et Vasco De Gama qui “découvrent” avec d’énormes guillemets des terres sur lesquelles vivent en réalité déjà des peuples.
C’est à ce moment-là qu’est mise en place la traite négrière, ce que la bourgeoisie appelait alors de manière très lisse le commerce triangulaire. Le raisonnement était horrible mais simple : les conquistadors avaient décimé les populations locales et ils avaient besoin d’une main d’œuvre extrêmement peu coûteuse pour exploiter les ressources de ce “Nouveau Monde”. Pour donner une idée des massacres des populations locales, Eric Williams qui est un des pionniers de l’histoire de l’esclavage écrit dans un de ses bouquins : “On peut se faire une idée de la démographie générale en observant l’évolution démographique connue par Hispaniola (fameuse île sur laquelle Christophe Colomb arrive en premier). Selon les meilleures estimations, la population de l’île en 1492 se situait entre 200 milles et 300 milles habitants. En 1508, on n’en comptait plus que 60 milles, et enfin 14 milles en 1514. En 1548, on doute qu’on puisse encore trouver 500 véritables Indiens.”.
C’est de ce constat démographique que naît l’origine de l’esclavage des populations noires. Et ça ce même Williams, l’explique clairement, il écrit : “Nous trouvons donc ici l’origine de l’esclavage des Noirs. La cause en était économique et non raciale ; cela avait moins à voir avec la couleur de la peau du travailleur qu’avec le bas prix de la main d’œuvre. Comparé au travail des Indiens ou des Blancs, l’esclavage des Noirs étaient bien plus profitable.” C’est donc au nom d’un besoin matérielle de main d’œuvre exploitable jusqu’au sang qu’a été commis l’un des pires crimes de l’humanité. La mise en esclavage de millions et millions d’êtres humains. On estime que c’est 4 millions d’esclaves qui ont été déportés en Amérique dans des conditions qui n’ont aucun mot assez fort pour les décrire. Où les gens étaient entassés les uns sur les autres, au point qu’il y a eu des milliers de morts par asphyxie dans les cales de bateaux, où il y a eu des suicides collectifs d’esclaves qui préféraient se jeter à la mer en plein Océan plutôt que d’arriver en Amérique en esclave.
Et bah c’est cela, c’est cette première accumulation de richesse à cette échelle, c’est l’organisation d’un commerce à une échelle aussi grande, sur trois continents, avec la transformation d’hommes en marchandise, avec des transferts de marchandises et de capitaux qui circulent entre trois continents qui va créer les conditions nécessaires au développement du capitalisme. C’est la mise en escalavage pour la première fois sur des bases “raciales” qui a permis le développement du capitalisme. Pourquoi je dis pour la première fois ? Parce qu’en réalité l’esclavage existait bien avant la traite négrière, elle était pratiquée dans les empires musulmans, dans l’Empire Romain, dans l’Empire Grec etc. Mais la mise en esclavage d’un peuple venait de sa défaite dans une guerre, de son asservissement dans des conquêtes militaires et non pas de sa couleur de peau. Comme cela a été le cas des slaves. C’est même du mot slave que vient le terme esclave.
C’est avec la traite négrière qu’on a vu apparaître pour la première fois une mise en esclavage expliquée, justifiée, rationnalisée par la couleur de la peau. Et ça c’est parce que la bourgeoisie a eu besoin de justifier la mise en place de la traite négrière. Eric Williams écrivait aussi : “Les caractéristiques de l’homme, ses cheveux, sa couleur ou sa dentition, ses caractéristiques de “sous-hommes” largement invoquées, ne furent qu’une rationalisation ultérieure pour justifier un simple fait économique : les colonies avaient besoin de main d’oeuvre et dépendaient du travail des Noirs.”
C’est donc grâce au racisme, grâce à la théorisation de l’infériorité d’une partie de l’humanité à cause de sa couleur, que la bourgeoisie a pu mettre en place la plus grande accumulation de capital de cette période. Pour le dire simplement, c’est la mise en place de la traite négrière justifiée par le racisme, qui crée les conditions du développement du capitalisme. Il est donc évident que le racisme, en tant qu’oppression structurelle est liée inéluctablement au capitalisme.
Et un dernier élément qui permet d’expliquer de manière encore plus frappante que la lutte contre le racisme et contre le capitalisme doivent se mener de front. C’est que c’est l’esclavage qui a entraîné les premières formes massives de concentration de “travailleurs” entre guillements. Et ça dans les usines, dans les ateliers, dans les plantations. L’esclavage a en réalité créer d’un coup la première ébauche d’une classe ouvrière, ainsi que l’outil de sa division : le racisme.
Et la bourgeoisie s’est donnée beaucoup de mal pour diffuser cette idéologie raciste. Elle a mis en avant un racisme biologique. Les noirs ne seraient pas des êtres humains comme eux. On a alors une mise en avant de thèses basées sur la biologie, sur la physiologie en comparant les tailles des crânes, des dentitions, des muscles etc pour justifier le racisme. La bourgeoisie est même allée jusqu’à l’idée que les noirs n’auraient pas d’âmes et ne seraient donc pas des êtres humains. Ces idées ont été reprises largement, étayées longuement par des scientifiques, par des intellectuels et par l’Eglise. C’est par ce matraquage que les idées racistes ont infusées chez la masse de la population et dans la classe ouvrière. C’est cette idéologie produite pour défendre ces intérêts colonisateurs que la bourgeoisie répand durant des siècles et des siècles.
Et si la bourgeoisie est obligée de concéder l’abolition de l’esclavage ce n’est pas parce qu’elle aurait perçu en elle un brin d’humanité, mais bel et bien parce que des révoltes d’esclaves comme celle de Saint-Domingue en 1791 ont arraché à la bourgeoisie le droit d’être libre. C’est la multiplication de ces révoltes d’esclaves qui se sont faites dans le sang qui ont permis l’abolition de l’esclavage. Évidemment ça s’est fait avec l’indemnisation des propriétaires d’esclaves et la soumission des anciennes esclaves à divers codes ségrégationnistes pour les empêcher de concurrencer leurs anciens maîtres.
Mais malgré l’abolition de l’esclavage, la bourgeoisie a toujours intérêt à entretenir les idées racistes afin de justifier la colonisation qu’elle mène en Afrique et en Outre-mer et ce d’autant plus qu’elle lance une vague coloniale dans la seconde moitiée du 19e siècle . En effet, cette époque de développement de l’impérialisme se caractérise par un surplus de capitaux entre les mains des monopoles des pays impérialistes. Ils se mettent donc à la recherche de nouveaux territoires d’investissements que vont être les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Et ce développement de la production impérialiste ne s’est pas cantonnée à l’établissement d’un contrôle financier et industriel, mais bel et bien à l’établissement du contrôle de la bourgeoisie impérialiste sur des pays entiers. Mandel, un des dirigeants de la 4ème internationale, écrit dans “Introduction au marxisme” : “L’ère impérialiste est avant tout placée sous le signe de la conquête coloniale”.
Et c’est au nom d’une pseudo “mission civilisatrice” que le gouvernement français explique l’asservissement de peuples entiers. Jules Ferry prononce dans cette logique un discours qui servira de propagande raciste justifiant la colonisation. Il dit : “Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures..”. On le voit dans ce discours : les arguments biologique du racisme, même s’ils sont toujours évoqués à ce moment-là, sont renforcés par d’autres arguments : les arguments culturels. Il faudrait coloniser car il existe des peuples barbares, non-civilisés, il faudrait sauver leurs femmes de leur sauvagerie et y apporter la lumière de l’occident.
2- Le racisme comme réponse aux besoins politiques de la bourgeoisie :
Donc négriers, conquistadors, industriels du coton et cie ont ainsi lié le développement du capitalisme à la colonisation et à la transformation de l’homme en bien meuble à vendre à la criée. D’une certaine manière, chaque sursaut de cet histoire a été accompagné par le matraquage idéologique de la bourgeoisie, et le racisme actuel en est l’héritier. Seulement ce racisme est loin d’être un héritage en voie d’extinction car il continue de répondre aux besoins politiques d’une minorité de parasites arrimés au pouvoir. Lesquels ? Peut-être pas l’expérience la plus agréable, mais essayez de vous mettre dans la tête de ceux qui doivent assurer les intérêts des classes possédantes.
Premier point. A vos yeux et aux yeux de l’ensemble de la société, vous devez justifier idéologiquement l’ordre social en place, c’est-à-dire les inégalités à tous les niveaux. A l’échelle du globe d’abord. Avec la colonisation, la mondialisation du marché économique, la division sociale du travail toujours plus poussée à l’international, il faut garder chacun à sa place. Quitte à inventer des théories comme le fait que la race asiatique serait particulièrement adaptée aux usines, la race noire aux plantations et la race blanche à la dure tâche d’être maître. Ce qui est bien pratique quand tu es le maître. D’ailleurs de ton point de vue de propriétaire d’une chaîne de production allant de la plantation à l’usine textile, la colorimétrie est loin d’être quelque chose de fixe. En Indochine, la différence entre le cambodgien catégorisé noir et vietnamien catégorisé asiatique, tu prétend la faire selon la pigmentation de la peau, alors qu’elle se fait en termes de place dans l’appareil productif : le premier est exploité dans les plantations, le second à l’usine. Place que tu viens justifier par une théorisation raciale.
Ce n’est pas seulement à l’échelle du globe que s’applique cette logique, mais aussi à l’organisation capitaliste du travail, à l’échelle des boîtes aussi. Celle-ci ne peut se passer de travailleurs immigrés, migrations intérieures d’abord, puis internationales. L’exemple le plus probant, c’est peut être l’extrême droite italienne élue sur un programme démago et raciste de fermeture des frontières, et qui pourtant doit bien assurer les besoins du patronat italien et relever à 450 000 les quotas d’immigration. Seulement, il ne s’agit pas de faire venir des travailleurs dans n’importe quelle condition, pour ne pas renforcer la classe ouvrière d’un point de vue numérique, organisationnel et politique. Il faut maintenir cette fraction ouvrière dans la misère pour faire pression sur l’ensemble. Pour cela les patrons peuvent compter sur l’arsenal de loi anti-immigrées qui servent de point d’appui pour pourrir la vie d’une partie des travailleurs, la dernière en date étant la loi Darmanin et la prochaine à venir celle de Retailleau. Les travailleurs immigrés sont privés de droits politiques et syndicaux, soumis à tous les arbitraires, patronaux comme policiers, au triple chantage emploi-logement-papier. Ils servent de variable d’ajustement au patronat : corvéable à merci dans les pires conditions, utilisables pour briser des grèves ou faire du chantage au reste des travailleurs sur les salaires, et facile à licencier selon les besoins, sous prétexte de défendre la main d’œuvre nationale. La bourgeoisie doit bien donner raison à ces discriminations à l’embauche, au salaire, au poste et à la promotion. Elle doit donner raison à la hiérarchie interne des boîtes, qui est teintée de racisme pour empêcher la solidarité en faisant des exploités blancs les contremaîtres des collègues de couleur OS ou intérimaire comme dans le BTP ou la sidérurgie où c’est particulièrement visible. C’est le rôle du racisme que de justifier cette mise en concurrence. Et il prospère sur ce terrain.
On le voit dans la tendance que les préjugés xénophobes ont à se cristalliser contre la dernière strate de travailleurs arrivés. Non pas parce que ce serait un réflexe naturel, mais parce que c’était en grande partie diffusé et organisé par le haut. C’était d’abord contre le paysan exproprié breton ou auvergnat qui rejoint les faubourgs miséreux et qui se trouve traité d’animal inassimilable. Puis contre les ouvriers italiens, polonais ou hongrois que le patronat appelle pour faire tourner les ateliers textile à Lyon ou les mines et les ports. Ils sont vite rejoints par les ouvriers coloniaux au 20e siècle. Puis par les travailleurs des ex-colonies, en particulier quand le patronat français organise directement son recrutement dans les villages marocains pour remplir les houillères du nord, pendant que les portugais sont envoyés à Citröen et les Algériens dans le BTP de la pétrochimie où pleuvent les accidents de travail. Contre ceux-là, le racisme va prendre une teneur particulière du fait du poids des habitudes coloniales, on y reviendra.
Deuxième point. Plus le racisme sert à justifier l’ordre en place et la mise en concurrence des exploités entre eux, plus on en voit l’enjeu politique pour la classe dominante : diviser pour mieux régner … au niveau des consciences aussi. En 1930, lorsque la crise capitaliste frappe de plein fouet la classe ouvrière américaine, le gouvernement organise la déportation des travailleurs mexicains, sans que ça n’améliore rien aux conditions de vie des travailleurs « blancs » (s’il fallait encore le démontrer). A mesure que les tensions sociales s’exacerbent, que la lutte des classes travaille la société, la bourgeoisie a besoin de solidariser les ouvriers derrière leurs patrons, de se les attacher. Pour cela, il faut qu’elle tente de créer une communauté d’intérêt entre eux, en remplaçant dans la tête des travailleurs la lutte des classes par un pseudo pacte national, voire racial (dont les arguments protectionnistes sont la version édulcorée). Elle a alors d’autant plus besoin de boucs émissaires et d’autant plus besoin d’insister sur la politique de préférence nationale. Le tout pour dresser les exploités les uns contre les autres, y compris au sein de la population immigrée ou descendante d’immigrés chez qui infusent aussi les préjugés réactionnaires. Logique qui avait déjà été appliquée dans les colonies, ex. divers code de l’indigénat pour privilégier une fraction des colonisés dans le but de se trouver des points d’appuis locaux comme avec les tribus berbères marocaines que l’Etat colonial français tenait de monter artificiellement contre la population arabe, cad vieille (et efficace) rengaine de diviser pour mieux régner. Et ce n’est pas non plus l’apanage des grandes puissances impérialistes de faire ça. En Tunisie, Kaïs Saïed tente de détourner la colère sociale en menant la chasse aux migrants subsahariens sur l’axe du grand remplacement, encourageant par là les agressions racistes, les licenciements et les expulsions. Tout ça pour trouver un dérivatif à la colère contre le chômage, la pénurie et la hausse des prix.
Et ça peut prendre chez les travailleurs. D’autant plus quand le mouvement ouvrier n’arrache pas ou peu de victoires et que ses directions, syndicales comme politiques, l’envoie dans le mur en fragmentant les luttes, en jouant du corporatisme ou en renvoyant toute mobilisation au plan institutionnel. Ces défaites sont le meilleur terrain de la démoralisation. Qui est elle-même un terreau fertile aux idées individualistes et réactionnaires. Derrière tout ça, c’est un boulevard pour l’extrême droite, à mesure que la tentation du pacte national se fait plus forte. Car quand les riches, bourgeois, puissants, paraissent intouchables, ça donne corps aux illusions que refuser l’AME aux étrangers serait le seul moyen d’avoir un meilleur accès à la santé pour soi.
Et cette logique de mise en concurrence des travailleurs pour en surexploiter toute une partie, elle ne s’applique pas qu’à la première génération d’immigrée. Mais aussi à celles et ceux qui sont nés ici, qui sont ce qu’on appelle la deuxième, la troisième génération d’immigrée. Ceux qui n’ont pas vécu d’immigration directe, qui ne sont pas soumis aux lois sur l’immigration mais qui subissent de plein fouet un racisme d’Etat qui tend à se renforcer.
On pense que c’est essentiel pour mener une politique contre le racisme que de comprendre et d’être en capacité d’expliquer non seulement l’histoire du racisme, mais aussi sa réalité aujourd’hui. Notamment sur la question du racisme dans les entreprises. Et ça pour une raison simple : il n’est pas meilleur terrain pour les révolutionnaires pour convaincre de la nécessité d’une réponse de classe face au racisme que dans les entreprises. Là où le lien entre l’oppression raciste et l’exploitation capitaliste est le plus frappant, le plus “naturel”.
Tout d’abord quelques chiffres pour illustrer ça. Selon l’INSEE, le taux de chômage pour une personne originaire, ou dont l’ascendance est originaire du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Turquie, est de 10 à 20 % plus important que le taux de chômage des personnes sans “ascendance migratoire”. Et le taux de chômage chez les moins de 30 ans dans les quartiers dits « prioritaires », terme de l’Etat pour désigner les quartiers populaires où vivent massivement des travailleurs noirs et arabes, est de 30,4 %, soit deux fois plus que dans les autres quartiers.
Et ce racisme dans l’accès à l’emploi est équivalent dans le privée ou dans le public. En 2020, c’est 7 entreprises françaises, dont Renault et Air France qui sont épinglées suite à un testing démontrant qu’un candidat dont le nom ayant une consonance maghrébine a 25% de chance en moins d’avoir un retour sur sa candidature. Et ce sont les travailleurs noirs et arabes qui sont le plus touchés par les formes de précarité au travail. Que ce soit le travail intérimaire, les difficultés d’accès à des CDI, ou les temps partiels contraints. En effet, le temps partiel contraint touche principalement les femmes immigrées du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Le taux de femmes ayant un temps partiel contraint est supérieur de 12 % chez ces femmes-là comparées aux femmes désignées comme sans ascendance migratoire.
Ces chiffres, ils viennent corroborer un phénomène qu’on constate au quotidien : le racisme permet de maintenir dans une situation de surexploitation une partie de la classe ouvrière. Et ça en divisant les travailleurs sur la base de leurs couleurs de peau, de leurs origines, de leurs langues et de leurs religions. Ce sont les mêmes qui vivent toutes ces politiques dégueulasses et racistes qui vivent aussi l’exploitation la plus forte. Et cette réalité, elle peut mener à une réalité explosive, à une forme d’avant-garde qui en se battant contre son oppression spécifique se bat contre tout un système d’exploitation ! Et qui serait capable d’entraîner autour d’elle une frange bien plus large qu’elle-même, d’être un point d’appui pour l’ensemble de la classe ouvrière.
3- Trahison des organisations de gauche, et leur rôle de relai du racisme d’Etat : montée de courants post-coloniales, indigénistes
Et une de nos tâches dans cette perspective, c’est de comprendre les raisons de la pénétration des idées racistes dans notre classe et de les combattre pieds à pieds. Trotsky, un des dirigeants de l’opposition au stalinisme, écrivait à ce sujet : “Il faut une lutte sans merci et sans compromis, […] contre les préjugés colossaux des travailleurs, en ne leur faisant aucune concession”.
Et si aujourd’hui ces idées, si elles diffusent dans la classe ouvrière, c’est aussi parce que des organisations de gauche s’en sont fait le relais au cours de l’Histoire. Mais avant d’arriver à cette période, c’est important de comprendre que ça s’est fait au fur à mesure de l’intégration de ces partis, du Parti socialiste et du Parti Communiste de l’époque, à la gestion de l’Etat et donc des colonies. Des années 1880 à 1914, c’est une condamnation unanime des politiques coloniales par les partis socialistes européens. En réalité, dès 1907, on voit la naissance de divergences politiques profondes qui reflètent la division des rangs socialistes entre réformistes et révolutionnaires. C’est en 1907 que Bernstein, principal porte-parole de la tendance révisionniste du parti socialiste allemand, argumente : « le devoir de pratiquer une politique coloniale positive. [..] Les socialistes aussi doivent reconnaître la nécessité pour les peuples civilisés d’exercer une certaine tutelle sur les peuples non civilisés…Une grande partie de notre économie a pour base des produits coloniaux, produits dont les indigènes ne savaient que faire ».
A ce moment, cette politique est encore minoritaire, mais elle va se faire retentissante dès 1914 et l’entrée en guerre mondial des puissances impérialistes. La plus grande partie des dirigeants des partis socialistes européens passent alors dans le camp de leur bourgeoisie respective. Lénine disait alors qu’ils avaient pris leur place dans cette « guerre des esclavagistes modernes pour le maintien et le renforcement de l’esclavage capitaliste », et explique cette trahison des partis socialistes par l’embourgeoisement d’une partie des ouvriers (à savoir l’aristocratie ouvrière ) par suite de ses privilèges coloniaux. Il parle alors de passage dans le camp de la bourgeoisie des chefs de la classe ouvrière et de ses couches supérieures achetés par les miettes des profits distribués par la bourgeoisie.
C’est cette trahison, cette séparation entamée entre réformistes et révolutionnaires qui, sous l’impulsion du Parti bolchevik, engendre une nouvelle internationale, l’Internationale Communiste. Une des conditions d’admission des partis dans l’Internationale Communiste était l’opposition à la colonisation, notamment de leur propre impérialisme et le soutien à tout mouvement d’émancipation. Et c’est cette position que le Parti Communiste va défendre jusqu’en 1936, en militant pour le droit à l’indépendance, en organisant ses militants et en diffusant cette idée dans la classe ouvrière. En faisant cela, elle s’opposait alors non seulement à la colonisation, mais aussi à la propagande raciste qui en était la justification.
Mais la politique du Front Populaire, dirigé par les socialistes et soutenu par les communistes, signe alors le début des trahisons répétés aux aspirations des peuples colonisés et à la lutte contre le racisme. Le Front Populaire, pleine de belles promesses sur le droit de vote pour les Algériens et l’abrogation du code de l’indigénat, abandonne bien vite toutes ces réformes minimales pour se lancer dans une politique de répression.
Ce tournant dans la politique du Parti Communiste n’est pas sans lien avec la période de stalinisation que connaît l’URSS. C’est au moment de la signature du pacte Laval-Staline, Pierre Laval étant le Premier ministre français de l’époque que la bureaucratie stalinienne s’allie aux puissances occidentales rivales de l’Allemagne. Le Parti Communiste devient sur le champ le défenseur de la « démocratie française ». Il faut attendre jusqu’à la guerre d’Algérie pour voir le retour d’une politique d’opposition à la colonisation. Politique bien timide car le PC n’a rejoint la mobilisation qu’une fois que l’UNEF n’avait mis dans la rue par ses propres forces 20 milles personnes. La première grande manifestation organisée contre la guerre d’Algérie par le PCF n’était que fin 1961, six mois avant la fin du conflit.
On pourrait encore continuer bien longtemps à détailler la trahison de la gauche réformiste et du Parti Communiste stalinisée aux aspirations des peuples colonisés et à la lutte contre le racisme. Mais on n’en aura malheureusement pas le temps ! Ce qui est essentiel à comprendre c’est que le relai du racisme dans les consciences de la classe ouvrière, il a été permis aussi par les politiques de ces partis. Partis qui ont aussi fait la démonstration de leur incapacité à produire une politique réelle de lutte contre le racisme.
Et c’est ces trahisons, cette absence de politique, qui laisse le champ libre à des courants qui théorisent que la classe ouvrière est raciste par essence, que les blancs qu’importe qu’ils soient exploités ou exploiteurs participent de la même manière au racisme en tant que système structurel. Qui théorisent aussi que la lutte contre le racisme ce n’est que la lutte des premiers concernés contre le reste de la société. Et que ce serait possible de mettre fin au racisme sans mettre fin au capitalisme. Ces courants, ils se nomment à tour de rôle indigénistes ou post-coloniales.
Mais avant d’en venir à la critique qu’on adresse à ces courants, et je laisserai Gaell revenir dessus juste après, c’est essentiel de se pencher sur ce que les révolutionnaires proposent et ont proposé comme politique contre le racisme.
4- Notre politique contre le racisme :
Pour ça, on va revenir sur une expérience qui a été faite à un moment donné de l’histoire du Parti Communiste Américain, avant sa stalinisation. Une expérience qui va être encouragée, poussée et commentée par Lénine et Trotsky. On pense que y a un intérêt à s’y pencher dans ce topo car c’est l’exemple historique le plus proche de qu’on a envie de faire : avoir un mouvement ouvrier qui intervient contre le racisme avec une orientation lutte de classe et en suscitant une adhésion des masses.
Pour comprendre cette expérience, c’est important de remonter en 1921 quand Lénine interpelle le Parti Communiste Américain sur la question noire aux Etats-Unis. Parti qui même s’il s’oppose au racisme dans l’absolu, n’a pas de politique spécifique sur la question. Lénine leur écrit une lettre où il exprime sa surprise de voir que dans les rapports envoyés à Moscou, je cite, “il ne fait aucune mention du travail parmi les Noirs”. Il leur demande avec insistance de “considérer ce travail comme un élément stratégique essentiel de l’activité communiste”. Et ça dans le contexte où Lénine souligne l’émergence de ce qu’il appelle alors une “conscience raciale” qui soulève une “double opportunité : d’abord un mouvement racial et social fort, et ensuite un puissant mouvement prolétarien.“.
Ce sont ces idées qui débattues au sein de l’Internationale Communiste aboutissent à l’adoption d’une résolution sur la question Noire durant son 4ème congrès en 1922. Elle dit notamment : « Le 4e congrès reconnaît la nécessité de soutenir toute forme du mouvement noir ayant pour but de miner et d’affaiblir le capitalisme ou l’impérialisme, ou d’arrêter sa pénétration. L’Internationale communiste luttera pour assurer aux Noirs l’égalité de race, l’égalité politique et sociale. [Elle] utilisera tous les moyens à sa disposition pour amener les syndicats à admettre les travailleurs Noirs dans leurs rangs ; là où ces derniers ont le droit nominal d’adhérer aux trade-unions, elle fera une propagande spéciale pour les attirer ; si elle n’y réussit pas, elle organisera les Noirs dans des syndicats spéciaux et appliquera particulièrement la tactique du front unique pour forcer les syndicats à les admettre dans leur sein ».
Un pas est alors franchi au sein du Parti Communiste Américain désormais convaincu de la nécessité d’une politique offensive contre le racisme et pour organiser les travailleurs noirs contre leur oppression et sur l’ensemble des questions politiques. Un programme sur la lutte des noirs est adopté et il commence par cette phrase : “Les travailleurs noirs de ce pays sont exploités et opprimés plus durement que les autres.” Il continue en disant : “Le Worker’s Party milite pour la fin de la politique de discrimination suivie par les syndicats ouvriers. Il s’efforcera de détruire les préjugés raciaux qui ont séparé les travailleurs noirs et les travailleurs blancs et les rassemblera en un bloc solide contre les capitalistes qui les exploitent.”.
Le Parti Communiste Américain devient alors une des seules organisations dé-ségréguée du pays et crée l’American Negro Labor Congress (ANLC) pour organiser les travailleurs noirs exclus des syndicats. Cette lutte, pourtant dure et isolée du reste du mouvement ouvrier, pour la construction d’un syndicalisme d’industrie rencontre dans les années 30 un succès important. Le nombre de noirs syndiqués passe de 100.000 en 1935 à 500.000 en 1940. Et le Parti Communiste voit le nombre de ses militants noirs passer de 200 à 7000. Soit plus de 9% de ses militants.
Cette percée dans la classe ouvrière noire elle s’explique par une politique syndicale offensive, mais aussi par le recrutement d’un petit nombre de cadres noirs, issus de l’African Blood Brotherhood, qui ont joué un rôle crucial dans l’extension de la politique du PC américain. Suite à une scission de leur organisation autour de la question du nationalisme noir, une part de leurs cadres rejoint le PC, séduit par les efforts du parti pour organiser les travailleurs noirs. Gagnés aux idées marxistes, ils seront l’avant-garde de luttes audacieuses et de démonstrations importantes. Notamment, en organisant des luttes, certaines armées, pour le logement, contre les expulsions, contre la terreur policière, la ségrégation et les lynchages. La plus célèbre de ces luttes c’est la campagne pour la libération des Scottsboro boys qui sont neufs jeunes noirs qui sont accusés à tort du viol de deux femmes blanches et qui sont condamnés à mort sans aucune preuve de leur implication, ni même de viol.
Le PC américain mène alors une campagne internationale pour leur libération qui va durer plusieurs années. Il organise des manifestations qui au début font figure de démonstration qu’un parti composé très majoritairement de blancs est prêt à défendre les Noirs, avec ces derniers qui les observent de manière sceptique. Le PC persiste, a raison. Une manifestation dans Harlem, composé au début d’une centaine de communistes blancs qui s’affrontent à la répression, prennent les premiers coups, bravent les interdictions, est finalement rejoint par plus de 3000 travailleurs noirs d’Harlem. À force d’implication militante et à la faveur des premières victoires juridiques qui prouvent la pertinence de la pression de masse sur les tribunaux, les masses noires rejoignent la lutte pour le Scottsboro boys et en font leur propre cause. La lutte pour les Scottsboro boys devient un cri de ralliement contre l’injustice et la preuve que les travailleurs noirs et blancs pouvaient s’unir en tant que classe dans la lutte contre le racisme.
Cette lutte, menée sur des mots d’ordre clair du besoin d’une lutte de masse et d’une unité entre les travailleurs noirs et blancs pour arracher des victoires et des acquis, est la démonstration de la justesse de la politique des communistes contre l’oppression des noirs. Le PC américain arrive alors à mettre en place une politique de lutte de classe qui fait ses preuves et qui convainc. Tout en le combinant avec des perspectives révolutionnaires. C’est ce qui permet d’aboutir à des sections comme celle de l’Alabama qui est interdite par le gouvernement américain car composé à 90% de noirs.
Ces exemples, ils nous permettent de matérialiser ce qu’est une véritable politique lutte de classe contre le racisme. La démonstration que nos perspectives sont celles qui permettent à la fois la lutte contre l’oppression quotidienne et la fin réelle de cette oppression qui ne se fera pas sans renverser le capitalisme.
Et c’est cette conscience d’intérêts communs, de la nécessité de se battre ensemble contre toutes les attaques racistes, antisociales et autres que nous on veut pousser partout, dans toutes les luttes, dans toutes les mobilisations. Parce que la nature même du racisme ne nous laisse pas d’autres choix pour le faire reculer. Et qu’il n’y aura pas d’autres choix pour reléguer le racisme à la poubelle de l’histoire que de renverser le capitalisme !
Et c’est dans cet objectif que nous militons au NPA, construire un parti de militants et de militantes capables de se saisir de ces questions à bras le corps, capables de proposer des politiques aussi bien pour faire reculer le racisme aujourd’hui que pour y mettre un terme définitif. C’est pour cela que nous cherchons à convaincre de nos idées, à recruter des militants et à faire progresser au quotidien le niveau de conscience de notre classe, sur toutes les questions : du racisme, à l’augmentation des salaires en passant par la Palestine. On veut convaincre que c’est la classe ouvrière qui elle seule est capable de renverser le capitalisme et de bâtir une société libérée de l’exploitation et de toutes les oppressions !Où défendre cette politique ? Déjà, sur nos lieux de travail et d’étude là où on milite . Mais aussi dans les explosions de colère qui ne manqueront pas d’arriver, comme celle contre les violences policières racistes qu’on a pu voir encore récemment après l’assassinat de Nahel en 2023.
Comment est-ce qu’on comprend ces explosions du côté des banlieues ? Quels liens avec l’héritage de la colonisation ? Quelles perspectives proposer à tous ces jeunes révoltés ?
Si les politiques coloniales de l’Etat français en Martinique, en Guadeloupe ou à Mayotte ne font pas de doute, l’éventuelle condition coloniale des travailleurs immigrés et de leurs descendants en France est plus difficile à démontrer. Il y a bien le poids des pratiques coloniales qui ont été importées et organisées par le haut après les décolonisations. Quelles pratiques ? Celle d’abord de la ségrégation spatiale des travailleurs venus des ex-colonies, puis pour bcp de leurs enfants. On le voit particulièrement bien dans les logements : parqués dans le bidonville de Nanterre ou refoulés dans des HLM, soumis à l’arbitraire d’anciens cadres coloniaux dans les foyers Sonacotra, ou abandonnés aux marchands de sommeil qui louent des taudis insalubres en 3×8. C’est ensuite les pratiques de la police, et surtout ses corps d’élites comme la BAC. Qui a été formée dans la répression des prolétaires et des colonies. Elle en retient ses techniques de maintien de l’ordre et surtout son sentiment d’impunité – pleins pouvoirs en Algérie. → Depuis les indépendances, le racisme a continué de servir de levier pour maintenir toute une partie des travailleurs et de leurs enfants dans ces conditions. Avec aussi l’islamophobie, ce racisme anti-musulman, version modernisée et politiquement correcte : hérite des préjugés coloniaux tout en appuyant sur un fond anti pauvre. [musulman d’apparence]
→ c’est en raison de tous ces éléments qu’on met en avant la lutte contre la police dans son ensemble, le racisme dans son ensemble, la pauvreté dans son ensemble. En poussant pour passer de la dénonciation du racisme d’Etat / racisme systémique comme on l’a vu fleurir sur les pancartes après l’assassinat de Georges Floyd à une remise en cause de l’Etat bourgeois lui-même, pilier du système capitalisme, raciste par histoire, besoin politique et opportunisme. En avançant la nécessité d’une réorganisation de la société par les travailleurs.
Dire ça ce n’est pas minimiser la violence du racisme ni faire une bagarre de mots avec les groupes décoloniaux qui proposent de lire ces révoltes comme celles d’indigènes contre un système colonial. Par contre c’est proposer une autre politique qu’eux. Car on ne fait pas des indigènes selon les termes d’intellectuels comme Bouteldja des sujets politiques en soi au sens où ils seraient à l’écart de la lutte des classes. Déjà parce qu’on n’essentialise pas les groupes sociaux, mais aussi parce que cela pose un problème politique. Si on pousse le raisonnement, alors le manutentionnaire franco-algérien doit se ranger derrière les intérêts de son compatriote milliardaire Issad Rebrab, le même qui l’exploite dans les infrastructures Cévital ? L’aide soignante noire américaine serait plus proche de Barack Obama que de sa collègue de service, blanche ? On caricature ici, mais c’est pour voir le problème de ce raisonnement, même lorsqu’on le prétend radical : ces perspectives mènent à des impasses. Y compris des impasses sur le terrain de la lutte contre le racisme. Pk ? Parce qu’elles en font un combat séparé de celui pour l’émancipation générale des exploités et des opprimés.
Mais au contraire, il faut porter une politique antiraciste auprès de la classe ouvrière dans son entièreté. Ce qui veut aussi dire de s’adresser à des travailleurs qui, sous bien des aspects, sont imbibés de racisme et de nationalisme parce que la société capitaliste en charrie les préjugés. En tenant d’organiser la fraction la plus combative et la plus consciente des travailleurs, pour entraîner avec eux toute la classe ouvrière. En poussant donc pour faire de la lutte contre le racisme le programme et le combat de tous les travailleurs. Et pas juste d’une minorité aussi première concernée soit-elle. Pk ? Cad pour se regrouper et se battre ensemble pour leurs intérêts communs, sur leur terrain commun de classe. Ok. Mais aussi pour proposer une politique à tous ceux qui subissent les oppressions – racistes entre autres – mais avec les armes, les méthodes de luttes des travailleurs, derrière leurs intérêts.
Et c’est loin d’être une possibilité abstraite. En 2011 en Grande Bretagne, les banlieues s’embrasent contre un meurtre raciste de la police. Les jeunes se mobilisent et sont pour beaucoup des pauvres, fils de chômeurs et d’ouvriers … et blanc. De même dans de petites villes du Nebraska en 2020 où de nombreux jeunes défilent derrière le mot d’ordre Black Lives Matter, et sont pour 95% d’entre eux blancs. ça met à mal l’argumentaire réactionnaire d’un Ruffin qui veut distinguer quartiers arabes et campagnes prolo blanches. Mais surtout, ça nous montre que si OK la classe ouvrière est diverse et a pris des aspects différents selon l’histoire, quand une fraction d’elle-même se met en mouvement elle peut en entraîner d’autres à sa suite. Et ça aussi quand elle se bat spécifiquement contre le racisme. Pourquoi ? Parce que quand bien même les travailleurs ne subissent pas uniformément les mêmes oppressions, ils ont des intérêts communs à relever la tête et lutter contre l’arbitraire patronal et policier, contre le chômage et la misère.
En ce sens, ce n’est pas seulement la violence raciste qui a fait sortir les jeunes dans la rue en 2023 après l’assassinat de Nahel, en 2005 après celui de Zyed et Bouna, ou en 2020 après George Floyd. Derrière, des décennies de contrats précaires (intérim, CDD, temps partiels) pour toucher un bout de SMIC déjà insuffisant pour remplir le caddie ; l’impunité au quotidien de la police et de ses humiliations ; les coupes dans l’éducation, le logement et la santé qui se multiplie ; les discriminations à l’embauche et l’enfermement dans des cités à moitié ghettos, où les seuls perspectives, même diplômés sont pour la plupart ou bien la précarité, ou bien les faux raccourcis du banditisme pas moins intégré au capitalisme. Ce sont des révoltes de jeunes frappés par le racisme. Mais qui sont issus de la classe ouvrière, et de sa partie la plus pauvre précaire. Et ces jeunes vont aussi, pour la majorité, en rejoindre les rangs ensuite.
D’ailleurs le mouvement ouvrier aurait bien des choses à offrir à ces révoltes tâtonnantes de la jeunesse prolo. En expérience de lutte, en conscience de qui sont les vrais ennemis, en moyen à employer pour arracher des victoires. Comme les ouvriers spécialisés de l’industrie automobile, souvent immigrés, qui animaient des grèves dans les années 70 derrière le slogan ouvriers français-immigrés, mêmes patrons, même combat!. Et cela avec les syndicats si possible, par-dessus eux autrement. Car la condition pour ça, c’est aussi d’en faire sa politique. Et de livrer des luttes aussi déterminées dans les hôpitaux, transports et usines où bien souvent les parents de ces jeunes travaillent. Des luttes pour l’égalité salariale à la hausse, l’embauche des intérimaires, l’interdiction des licenciements et des emplois précaires.
Or ce sont bien ces combats qui sont cruciaux pour remettre en cause le pouvoir des patrons à tout décider, y compris en s’appuyant sur les scories racistes. Et il est difficile d’imaginer que l’on puisse arracher des victoires sur ce terrain sans un mouvement d’ensemble des travailleurs, qui irait bousculer d’autres fractions de la population et qui bousculerait le poids des idées racistes et réactionnaires jusque dans la tête des travailleurs.
Cela ne règlerait pas tout, cela n’empêcherait pas non plus de possible vent de réaction. Mais ce sont des combats nécessaires pour les exploités, pour éprouver leur force collective sur un terrain commun, pour faire résonner leurs revendications dans d’autres têtes, et pour ouvrir bien d’autres possibilités derrière. Et ce d’autant plus s’il y a des militants organisés pour le porter comme perspective, ce qu’on propose à tout le monde ici, à terme, de devenir à nos côtés.
Biblio
- Chantier interdit au public (socio, BTP et organisation capitaliste teintée de racisme) – Jounin
- De nos frères blessés (roman Algérie 1956, Yveton condamné, PCA – FLN, racisme colons)
- Et ils dansaient le dimanche (roman Lyon Tase, 1930s, travailleuse immigrée hongroise)
- L’histoire de la mondialisation capitaliste T1 (dev KISMsur esclavage et colonisation)
- De l’oncle Tom aux Panthères Noires – Guérin + Negroes with Guns + Wake up America (BD)
- Debout payé – Gauz (roman, travailleur immigré 1950-2000, shit job vigile, racisme ambiant)
- L’impérialisme de Lénine (aussi logique d’aristocratie ouvrière, nos patrons / nos colonies)
- Les Ombres (BD super bien, sur chemin de l’enfer des migrations jusqu’en Europe)
- Black and Red : les mouvements noirs et la gauche américain de 1850 à 2010 de Ahmed Shawki
- Femmes noires et communisme : mettre fin à une omission – Claudia Jones – un texte qui est une contribution au sein du Parti communiste américain sur la triple oppression dont les femmes noires sont la cible en tant que femmes, en tant que noires et en tant que travailleuses
- Black Power : les stratégies du mouvement noir américain face au racisme d’Etat – brochure écrite en 2007 par les JCR, bonne introduction sur le mouvement noir américain
- Introduction au marxisme de Ernest Mandel – notamment le chapitre sur le Capitalisme des monopoles, la sous partie sur les mouvements d’émancipation des femmes et des minorités opprimées
- Des vies pour l’Egalité : Mémoires d’ouvriers immigrés – sur un mouvement de grèves de travailleurs immigrés marocains dans une usine d’automobile dans les années 50
- La gauche et les guerres coloniales – Cercle Léon Trotsky n°44