Émeutes racistes au Royaume-Uni : la responsabilité de la gauche travailliste face à l’offensive raciste des Tories et de l’extrême-droite [Topo WEF oct 2024]
Introduction
Pour commencer le topo, j’aimerais très directement répondre à la question que pose le titre, c’est-à-dire les responsabilités de la gauche travailliste dans la montée du racisme au Royaume-Uni. Je n’irai volontairement pas dans les petits détails pour me laisser le temps d’aborder l’essentiel plus tard.
Le topo est construit autour de 5 questions : la 1°) quelle est la responsabilité des travaillistes dans la montée de l’extrême-droite ?, la 2°) Pourquoi les émeutiers s’en sont-ils pris à des individus issus de la même classe sociale qu’eux ?, la 3°) Qui sont réellement ces émeutiers, et quelle est la part de la jeunesse dans ce mouvement ?, la 4°) Est-ce un phénomène national ou international ? et enfin, 5°) comment se préparer à la suite ?
bilan de la gauche
D’abord répondons à cette première question sur la gauche travailliste, aussi appelé le Labour ; une organisation politique qui autorise les adhésions individuelles mais aussi collectives comme les syndicats.
Les gouvernements conservateurs se sont succédé au pouvoir pendant 14 ans, depuis David Cameron en 2010 jusqu’à Rishi Sunak en 2024 qui vient de passer la main au leader du parti travailliste, Keir Starmer, lors des dernières élections début juillet dernier. La gauche est enfin au pouvoir. Mais si elle a remporté les élections, ce n’est pas parce que les anglais ont massivement voté pour le Labour, mais plutôt parce que les conservateurs se sont effondrés. A côté de ça, l’extrême-droite monte en flèche avec le parti Reform UK ; un parti mené par Nigel Farage, qui était la figure du mouvement en faveur du Brexit dans les années 2010, jusqu’au fameux référendum en 2016 qui a provoqué le départ du Royaume-Uni de l’UE en 2020.
Le Brexit a eu des conséquences désastreuses avant même son entrée en vigueur :
- d’une part sur le plan politique en ravivant les tendances nationalistes ;
- mais aussi sur le plan économique : le Financial Times estimait la baisse de productivité à 4% et un commerce international amputé de 15%.
- Côté immigration, le Brexit a provoqué le départ de centaines de milliers de travailleurs européens, qui sont progressivement compensés par une immigration plus massive depuis des pays extra-européens.
Concernant l’immigration illégale, Le Monde affirme que 12 000 migrants ont traversé la manche en 2024, soit 20% de plus par rapport à l’an dernier ; et l’année n’est même pas terminée. La preuve que les politiques anti-immigration menées par les conservateurs n’empêchent pas les migrants de tenter de fuir leurs conditions de vie, dans un monde toujours plus en crise.
En faisant ce constat du Brexit, qui a donc été impulsé par la droite, ça peut sembler paradoxal que nous, les révolutionnaires, on affirme que c’est aussi à cause du parti travailliste qu’on est témoin d’une montée de l’extrême-droite. Ils ont été bien incapables de réparer ce que Thatcher avait brisé entre 79 et 90, notamment en privatisant massivement les sociétés et en diminuant drastiquement le pouvoir des syndicats. Pire encore, Tony Blair pousse à la guerre en Irak en y envoyant les troupes britanniques en 2003. Il met aussi en place le New Labour : une politique ouvertement patronale encore plus éloignée des intérêts des travailleurs.
Aujourd’hui ça n’a pas vraiment changé avec Starmer au pouvoir : on a Rachel Reeves, l’actuelle ministre de l’échiquier (l’équivalent du budget on va dire), qui nous disait pendant la campagne que le Labour de Starmer sera, je cite, “encore plus “pro-business” que celui de Tony Blair”.
Pour résumer ce que je viens de dire, le Labour ils ont :
- mené une politique patronale,
- désorganisé les ripostes syndicales,
- cassé les organisations de quartiers
- et augmenté encore plus la pauvreté.
Il a en partie brisé son lien avec le monde du travail.
Maintenant, on peut s’attaquer à la deuxième question du topo, à savoir “Pourquoi les émeutiers s’en sont-ils pris à des individus issus de la même classe sociale qu’eux ?”. Pour cela, on va d’abord dresser un portrait de la classe ouvrière anglaise, puis on abordera la politique du repli national, c’est-à-dire penser que le pays ne s’en sortira que par lui-même et se ferme littéralement au reste du monde ; une politique qui favorise les théories racistes.
Des attaques au sein du prolétariat
Bon, 14 ans de politique d’austérité, avec une alternative à gauche qui ne propose pas beaucoup mieux, ça crée un terreau fertile pour y faire pousser des idées racistes. Mais il y a d’autres éléments à prendre en compte.
Reform UK a remporté une grande part de ses voix dans des zones désindustrialisées et majoritairement ouvrières du nord-est de l’Angleterre, dans les Midlands, ainsi que dans les banlieues ouvrières. C’est là qu’on trouve la classe ouvrière anglaise :
- les taux de pauvreté et de chômage y sont supérieurs à la moyenne,
- le niveau d’études est inférieur
- et l’accès aux soins est plus difficile.
Dresser un portrait de cette classe ouvrière nous permettra de comprendre un peu mieux le contexte dans lequel les émeutes ont éclaté.
Portrait de la classe ouvrière anglaise, que la politique d’austérité touche de plein fouet…
Ce sont des zones où on a un prolétariat mélangé : mais pour autant, ce ne sont pas les endroits où il y a la plus grande proportion de migrants :
- Selon le site officiel du parlement britannique, le pourcentage de personnes nées à l’étranger y est même inférieur à la moyenne anglaise (~12% // 15.5%).
- Une autre stat : à l’échelle du Royaume-Uni, la région Nord-Est a la plus faible proportion de personnes nées en dehors du pays (5.8%).
Une grande partie de ces migrants viennent d’Asie, notamment du Pakistan, suite aux vagues d’immigration depuis les années 50. A cette période, le Royaume-Uni a connu un besoin croissant de main-d’œuvre, en particulier dans les secteurs de l’industrie et des services.
De nombreux Pakistanais ont immigré pour répondre à cette demande, et ainsi fuir la pauvreté, le chômage, et l’instabilité économique et politique. C’est une population qui est donc installée depuis des dizaines d’années : aujourd’hui près de 60% d’entre eux sont nés au Royaume-Uni selon l’Office for National Statistics. C’est aussi une population qui a été frappée de plein fouet par le chômage, chômage causé par la période de désindustrialisation des années 70. C’était une période de crise économique engendrée par les chocs pétroliers et l’inflation, où de nombreuses usines ont fermé et où le Royaume-Uni perd définitivement son statut “d’atelier du monde”.
C’était également la période d’austérité politique sous Thatcher, entre 79 et 90, qui a coûté très cher à ce segment du prolétariat, qu’il soit né sur le sol anglais ou à l’étranger. En réponse, les Pakistanais se sont adaptés et beaucoup sont passés à leur compte, en devenant chauffeurs ou en ouvrant leur commerce.
Un autre profil issu de la classe ouvrière que je voulais aborder, ce sont les demandeurs d’asile, dont le nombre augmente depuis 2019. Pour vous donner une idée, je vais vous donner quelques chiffres issus d’un rapport du parlement britannique et de l’Observatoire des migrations :
- Le nombre de dossiers d’asile a quadruplé depuis 10 ans. 2 raisons à cela sont mentionnées : 1°) l’allongement de la durée d’attente des demandeurs pour avoir une 1ère réponse, mais aussi 2°) l’augmentation du nombre de personnes qui font l’objet d’une expulsion suite à une réponse négative.
- 61% des demandeurs d’asile qui ont reçu une réponse négative n’ont pas quitté le territoire.
- Enfin, les demandeurs d’asile représentaient 6% de l’ensemble des migrants en 2019, contre 11% l’an dernier.
Maintenant, je voudrais prendre l’exemple de la ville de Hull, située dans le Nord-Est. C’est une ville qui a subi des émeutes, notamment sur les hôtels où sont hébergés ces demandeurs d’asile. SkyNews, dans un article qui date d’avril dernier, raconte qu’en fait, les demandeurs d’asile vivent dans une errance depuis des années. Les rejets de leur demande d’asile et leurs appels à ce verdict s’enchaînent. Du coup, ils vivent dans des conditions terribles, et ils sont contraints soit à travailler illégalement, soit sous des contrats dits “zéro heure” : des CDD qui ne garantissent pas de salaire minimum, où tu peux te faire virer n’importe quand juste pour qu’on te propose le même job mais avec un contrat moins avantageux. En fait, ça coûterait trop cher à l’Etat pour financer des aides sociales, mais ça coûte aussi trop cher d’expulser.
Comme je le disais, c’est dans ces zones qu’ont éclaté les émeutes : ces zones où vit une classe ouvrière mélangée, et où l’extrême-droite a fait ses meilleurs scores. Et, c’est de là que viennent la majorité des émeutiers. J’insiste sur tout ça parce qu’en fait, s’il y a une chose à retenir ; c’est que, la violence qu’on a vu, ce n’est pas qu’une réaction face aux politiques du gouvernement concernant l’immigration qu’ils jugent trop laxistes : c’est une réaction face à leur propre condition. En réalité, on est assez loin de l’argument véhiculé par les émeutiers, qui diraient que ce sont des étrangers qui volent le travail ou les aides sociales, puisque, de toute façon, ils y ont de moins en moins accès.
… et permet l’émergence du repli national
Donc, pour simplifier, on a plusieurs éléments qui ont mené à ces émeutes.
- D’abord, on a toutes les mesures d’austérité depuis Thatcher qui ont créé un climat propice à l’émergence d’une nouvelle génération de racistes. Des racistes qui tirent parti du mécontentement populaire face au chômage et à la détérioration des emplois, des services publics et des logements sociaux, et dont les coupables seraient les étrangers ; qu’ils soient installés depuis longtemps ou non.
- En réponse à ce climat de régression sociale, on a Reform UK qui affirme que le pays est brisé et qu’il a besoin d’être réformé, et que par ailleurs eux se disent prêts à gouverner : ils apparaissent comme une alternative possible et mettent l’immigration comme sujet principal dans les débats.
- On a aussi les réseaux sociaux comme lieux de radicalisation, ainsi que les médias mainstream qui utilisent un vocabulaire volontairement déshumanisant envers les migrants, comme les termes “invasions” ou “essaim”, des termes qui sont repris par les politiciens conservateurs.
- En élément plus concret qui a pu jouer un rôle, on a le rassemblement à Londres juste après les résultats aux élections. Rassemblement appelé par Tommy Robinson, une figure de l’extrême-droite et leader de l’ancien groupe réac English Defence League, qui a réuni entre 20 et 30 000 personnes.
- Alors du coup, quand les figures de l’extrême-droite et des influenceurs réac comme Andrew Tate répandent des rumeurs et théories du complot sur les réseaux sociaux, en disant qu’un demandeur d’asile arrivé illégalement en Angleterre serait responsable de meurtres d’enfants, la rhétorique nationaliste trouve un écho : et on en arrive aux émeutes de cet été.
En fait, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que toute cette politique de repli national, à commencer par le Brexit entre 2016-2020, c’est toute la classe ouvrière qui le paie très cher. Et la politique anti-immigration menée depuis des années par les conservateurs, et maintenant par les travaillistes, elle a un impact qui va bien au-delà des migrants : cette politique touche aussi l’ensemble de la classe ouvrière. Tout l’argent mis en place pour le contrôle et la déportation des migrants, c’est de l’argent qui ne va pas dans un système de santé public qui était déjà complètement à bout de souffle, pour ne citer que cet exemple. Donc c’est un cercle vicieux qui est rendu capable par une politique de repli national, mise en application avec le Brexit. Ca fait que si les idées réactionnaires gagnent du terrain, c’est pas seulement parce que les gens sont plus racistes, mais d’abord et surtout parce le fossé entre les riches et les pauvres se creuse de plus en plus.
Le profil des émeutiers
Des électeurs de Reform UK ?
Maintenant, on va aborder la troisième question : Qui sont réellement ces émeutiers, et quelle part de la jeunesse dans ce mouvement ?
Une conclusion qu’on pourrait tirer de tout ce que j’ai dit, puisque j’ai plusieurs fois parlé des résultats de Reform UK, c’est qu’en fait les émeutiers ce sont des électeurs d’extrême-droite qui se sont radicalisés.
En réalité, ce n’est pas tout à fait le cas, ou plutôt ce n’est pas uniquement ce profil qu’on a retrouvé dans la rue. D’ailleurs, Nigel Farage a même condamné la violence des émeutes et a tenté de se désolidariser du mouvement pour être un peu plus “politiquement correct”, tout en soutenant les policiers victimes des violences. Pour ne rien vous cacher, c’est assez compliqué de trouver des données chiffrées sur les participants aux émeutes, tout ce qu’on a de concret ce sont sur les centaines qui ont été interpellés mais ce n’est pas forcément toujours représentatif de la réalité.
La part de la jeunesse dans le mouvement
Néanmoins, et vous l’avez probablement remarqué en regardant les vidéos des émeutes, il y avait énormément de jeunes voire très très jeunes qui ne sont pas en âge de voter. D’ailleurs, le plus jeune interpellé avait 12 ans. C’est pas anodin comme phénomène et ça mérite qu’on se penche un peu sur la jeunesse dans ces émeutes et pourquoi elle y a pris part.
Selon The Guardian, qui a publié un article sur les mineurs passés devant les tribunaux, très peu d’entre eux partageaient des opinions ouvertement racistes ou anti-immigration ; en fait, ils seraient venus plutôt pour des raisons sociales. Plusieurs témoignent avoir vu des appels à se rassembler sur les réseaux sociaux et ils y ont participé avec des amis, sans trop réfléchir, comme si c’était un événement festif plutôt qu’une manif. Soit, c’est tout à fait possible, mais je pense qu’on aurait tort de se contenter de cette explication pour justifier des faits de dégradations et de violences envers des personnes.
Une explication un peu plus politique serait qu’en fait, cette nouvelle génération est sans cesse rappelée qu’elle est confrontée à un avenir incertain. Une nouvelle génération dont les parents souffrent de conditions de travail dégradées, et où la violence est partout dans les médias. Ce serait donc une expression de la colère et du désespoir à travers des actions radicales. Le manque de perspectives d’avenir, qui est réel et n’est pas inhérent au Royaume-Uni, ça nourrit une colère contre un système qui nous exploite, tout en pointant du doigt les prétendus coupables.
Un mouvement organisé ?
Une autre conclusion qu’on pourrait faire, c’est de se dire que les émeutiers ce sont des militants de groupes d’extrême-droite ultra-violents et identitaires, qui s’organisent et qui
débarquent en masse dans les villes pauvres où il y a des communautés musulmanes. C’est une explication qui a d’ailleurs été rapportée par plusieurs élus locaux qui ont affirmé que les casseurs venaient d’autres villes, faisant état de bus remplis de gens qui venaient juste pour casser et repartir.
Alors, il y a une part de vérité là-dedans mais les émeutes ne se sont pas reposées là-dessus. La police avait également affirmé que l’organisation des manifs et des émeutes revenait au groupe de l’English Defence League de Tommy Robinson que j’ai mentionné tout à l’heure, ce qui est faux. Il y a un article très intéressant de mediapart qui interview un chercheur à ce sujet, et d’ailleurs il ajoute aussi ceci, je cite : “Ces émeutes réunissent […] une partie de la jeunesse ouvrière, précaire, blanche qui ressent un très fort sentiment de concurrence avec la jeunesse ouvrière immigrée.”
Pour bien se rendre compte, il faut comprendre que les gens qui ont participé, ce sont donc de très jeunes, et des locaux qui se sont greffés au mouvement via les réseaux sociaux. Les premières données qui sont sorties montrent que les personnes impliquées dans les violences vivent dans le coin, c’est-à-dire l’endroit où eux-mêmes ils vivent une autre forme de violence, engendrée par la politique d’austérité et la mise à l’abandon de ces zones parmi les plus pauvres, qui sont touchées de plein fouet par le chômage. Et les rumeurs propagées au sujet du meurtre de ces 3 fillettes donnent un coupable très simple à leur condition dégradée.
La montée du racisme : un phénomène international
Parallèles avec la situation France
Nous en venons à notre 4ème et avant dernière question : est-ce que la montée du racisme est un phénomène national ou international ? Bon, j’imagine que vous avez une idée de la réponse, mais on va développer un peu plus en faisant quelques parallèles.
Tout ce qu’on vient de dire jusqu’à présent, je pense que ça ne vous aura pas échappé, peut ressembler de près ou de loin à la situation en France. Le but n’est pas de jouer au jeu des
7 différences, mais parfois on arrive assez bien à retrouver les mêmes motifs au Royaume-Uni et chez nous. La politique d’austérité, menée par la droite et la gauche, et qui pave la voie aux partis et idéologies d’extrême-droite, on connait plutôt bien aussi en France. Avec la loi-immigration l’an dernier, le débat autour de l’Aide Médicale d’Etat aujourd’hui, une nouvelle loi immigration en 2025,… On est servi. Et la montée des idéologies réactionnaires de l’extrême-droite n’est plus à prouver : on a droit à des rhétoriques racistes qui font écho à des travailleurs, qui ne voient pas plus de migrants chez eux qu’ailleurs, mais pour qui ils font un bon coupable à la dégradation de leurs conditions de vie pourtant causée par la classe dirigeante. Donc si vous voulez : au Royaume-Uni, ils ont Reform UK ; ici on a le Rassemblement National. Ils ont Tommy Robinson ; on a Eric Zemmour.
Parallèles avec la situation en Europe
Dans le reste de l’Europe, c’est similaire aussi. Partout, on construit des murs, alors qu’on a besoin d’une main d’œuvre immigrée : même Meloni le dit. Au Royaume-Uni, cette main d’œuvre immigrée elle représente même 1/5 de l’ensemble de la main-d’œuvre employée dans tout le pays. Pourtant, l’extrême-droite fait une percée en Europe, et on la voit déjà au pouvoir en Hongrie avec le 1er ministre Viktor Orbán et en Italie avec la présidente Giorgia Meloni. Je vous donne un autre parallèle qu’on pourrait faire : au Royaume-Uni, l’ancien premier ministre conservateur Rishi Sunak voulait mettre en place un plan de déportation des migrants illégaux vers le Rwanda. Keir Starmer, l’actuel premier ministre qui l’a donc remplacé, a abrogé ce plan dès son arrivée au pouvoir : non pas parce que c’est une mesure inhumaine mais parce que c’est pas suffisamment rentable. Meloni, elle, elle l’a fait en passant un accord avec l’Albanie, bien moins coûteux puisque c’est en Europe ; d’ailleurs les premières déportations ont eu lieu il y a quelques jours. Chez nous, Retailleau a affirmé ce jeudi que des discussions étaient prévues avec le gouvernement irakien afin de déporter des migrants, notamment ceux venus d’Afghanistan. Alors, malgré tout ça, on ne parle pas d’une montée de dictateurs fascistes comme dans les années 30 puisqu’en l’état actuel des choses, la bourgeoisie n’a pas besoin d’en arriver là pour garantir ses propres intérêts.
Ce que je veux dire par-là, c’est que la montée de l’extrême-droite est un phénomène international. Les éléments pour que ce genre d’émeutes se produisent au Royaume-Uni, on les a aussi en France ; ça signifie que ça peut très bien arriver ici. D’ailleurs, ça aurait pu déjà se produire lors du meurtre de Lola l’an dernier, ou celui de Philippine il y a quelques semaines. Des groupes identitaires ont tenté des actions à Lyon, Angers et ailleurs, mais c’est resté ultra-minoritaire.
Se préparer à la suite
Analyse du mouvement de riposte
Nous voilà à la dernière question de ce topo : Comment se préparer à la suite ? Pour y répondre, j’aimerais brièvement analyser la riposte antiraciste qui a eu lieu en opposition aux émeutes au Royaume-Uni, afin de pouvoir discuter de notre attitude en tant que révolutionnaire si jamais ce cas de figure arrive en France.
En guise de petit rappel du contexte : pour faire face à la violence des émeutes et les manifs racistes, des gens se sont heureusement mobilisés pour contrer tout ça. Les syndicats n’y ont pas appelé nationalement, et ça c’est regrettable, mais des équipes locales l’ont fait.
On pourrait s’arrêter à ça et se dire “heureusement que cette riposte a eu lieu” et que grâce à elle les émeutes ont pris fin. Maintenant, il faut pouvoir en faire le bilan, avec les limites rencontrées, et réfléchir à comment s’y opposer lorsque ça se reproduira.
Je vais me concentrer sur la principale campagne antiraciste du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne, qui s’appelle le Stand Up to Racism, et qui est dirigé par le SWP – le Socialist Workers Party. Pour expliquer rapidement ce que c’est le SWP, c’est une des plus grosses organisations politiques d’extrême-gauche marxiste, fondée dans les années 50 par Tony Cliff pour ceux et celles à qui ça parle. Une organisation qui a connu plusieurs crises
mais qui reste très active à travers le pays, avec 6 000 membres dont 2 500 cotisants. Ils sont aussi actifs dans les universités et dans les syndicats. Ils organisent plusieurs campagnes, que ce soit pour le climat, la Palestine, et donc là ce qui nous intéresse, contre le racisme. Ce sont eux qui, généralement, organisent les manifestations nationales contre l’extrême-droite, et d’ailleurs c’était eux qui ont appelé à la contre-manif lors du rassemblement pour la venue de Tommy Robinson à Londres en juillet et qui, je le rappelle avait rassemblé entre 20 et 30 000 personnes.
Une critique qu’on peut faire à cette campagne, c’est le manque de perspectives politiques. Ça reste une campagne qui a ses limites. Une campagne qui se présente comme une campagne antiraciste de gauche, et non comme un front uni des travailleurs, qui serait engagé dans une résistance continue avec une véritable organisation contre le racisme, tant dans les entreprises que dans les quartiers. Ce n’est pas une organisation agissant de manière franche et sans illusion vis-à-vis de la police et des institutions. La ligne du mouvement se contente de ce qui est acceptable pour la gauche travailliste et la bureaucratie syndicale. Pourtant, on l’a vu, bon nombre de personnes étaient prêtes à se mobiliser immédiatement en soutien aux communautés touchées par les violences.
L’exemple de Bristol
Nos camarades du Workers Power, une petite organisation trotskiste de quelques dizaines de membres, ont fait de très bons articles qui analysent cette riposte, notamment celle qui a eu lieu dans la ville de Bristol et qui soulève des questions intéressantes.
Ce que les copains soulignent, entre autres, c’est qu’au sein de cette riposte, il n’y avait aucun lien avec les communautés touchées par les violences. Ce qu’ils ont vu, c’est qu’il y avait d’un côté les militants européens drivé par Stand Up to Racism, et de l’autre les communautés musulmanes locales qui se serraient les coudes entre elles, mais qui n’assistaient pas aux grandes manifs. Et c’est pas forcément parce qu’ils avaient peur de sortir, mais aussi et surtout parce qu’on n’est pas allés les chercher.
Pour raconter la suite de ce qui s’est passé à Bristol, il y a eu une sorte de mouvement de solidarité générale, qu’ils ont appelé BARA (pour Bristol Anti Racist Action). C’est un groupe qui s’est détaché du SWP, et qui était à l’initiative des militants de Workers Power ainsi que des syndicats et d’autres organisations, qui ont fait le travail de mobiliser autour d’eux et de faire venir des délégations. Ils ont réussi à organiser des milliers de personnes en gardant une orientation politique, avec des élections de délégués, et en allant directement parler aux gens concernés. Jusqu’à 7 000 personnes se sont mobilisées, venant de tous horizons, et les membres du SWP qui étaient derrière la campagne de Stand Up to Racism ont été obligés de se ranger derrière l’organisation du BARA.
C’est un exemple intéressant à discuter, en gardant en tête que nos tâches ne s’arrêtent pas à ça : ces liens qui sont créés lors des mobilisations, il faut absolument les conserver, les entretenir pour créer de vrais réseaux de solidarité et organiser l’ensemble des travailleurs.
Conclusion
En conclusion. On peut dire qu’aujourd’hui, malgré la riposte, les communautés touchées continuent de vivre dans la misère et, désormais, dans la peur que tout cela recommence. Comme je le disais, c’est fortement probable qu’on assiste à nouveau à des émeutes racistes, au Royaume-Uni ou ailleurs en Europe ; c’est pour cela qu’il est important de tirer
des leçons de ce qui a été fait, et de discuter de notre positionnement en tant que militants révolutionnaires et internationalistes. Puisque, comme on l’a vu, la montée de l’extrême-droite se constate partout, une solidarité entre les communautés locales mais aussi entre les peuples du monde entier est indispensable pour contrer ce phénomène.
En effet, et je terminerai là-dessus, au vu de la situation internationale avec des pays de plus en plus en crise, la colère ne cessera d’augmenter. Notre rôle sera donc de transformer cette colère, en conscience de classe.