Grève à ED : « Un point d’appui pour l’avenir »
Interview d’un gréviste d’ED par L’Etincelle Anticapitaliste, le journal des Jeunes du NPA
Laurent Di Pasquale est salarié du magasin ED de Colombes (92), délégué syndical CGT et militant au NPA. Il a participé à la grève illimitée de son son magasin contre le passage en statut de location-gérance.
L’ÉA : Quelles sont les raisons de la grève ?
Laurent : L’enseigne Ed, appartient au groupe Carrefour et revend ses magasins en location-gérance pour accroître ses bénéfices. Un propriétaire indépendant reprend le magasin en gardant le nom Ed, et reverse un loyer. Les salariés y perdent les maigres acquis sociaux existants : le 13ème mois, la prime d’intéressement, la prime de participation, les tickets restaurants, la perspective d’évolution professionnelle… Le salaire est égal au SMIC ou à peine plus à Ed, ce sont surtout les primes qui sont intéressantes. Les salariés n’ont pas le droit de refuser d’être vendus. Une fois le contrat de location signé, on est vendu comme du bétail ! Nous sommes partis en grève pour obtenir notre réintégration dans le groupe Carrefour, pour maintenir nos acquis sociaux.
L’ÉA : Comment avez-vous organisé votre grève, comment vous-êtes vous adressés aux autres salariés ?
Laurent : Un premier appel à la grève a été lancé le 21 janvier à l’initiative de la CGT, contre le projet de mise en location- gérance d’un tiers des magasin parisiens en 2010. Seuls trois magasins ont débrayé. Le 22 janvier, les salariés du magasin d’Evry, menacé de mise en location-gérance, sont partis en grève illimitée à l’initiative du syndicat SUD-Commerce. La direction a été surprise, des menaces ont été proférées à l’encontre des grévistes. Ils devaient remettre les clefs du magasin sous peine de poursuites. Heureusement, ils ne se sont pas laissé intimider. La direction a alors fait appel à un serrurier pour accéder au magasin et au coffre ! Sur Colombes, nous étions également menacés par la mise en location-gérance. Nous sommes partis en grève illimitée le 30 janvier, inspirés par la lutte en cours à Evry. Nous étions trois salariés mobilisés sur les cinq employés. Le chef de magasin ne nous a pas suivis, et le magasin est resté ouvert avec des salariés appelés en dépannage. Chaque week-end, nous avons tenu un piquet de grève devant le magasin. Nous avons rapidement mis en place une caisse de solidarité afin de récolter des fonds auprès des clients et des passants. Ils ont fait preuve d’une solidarité importante. Plusieurs organisations syndicales et politiques ont assuré un soutien financier. Tout cela a renforcé notre détermination. Mais ce n’était pas suffisant, il fallait tenter d’élargir la grève pour construire le rapport de forces. Nous avons rencontré les grévistes d’Evry afin de nous coordonner, nous avons organisé des tournées sur les magasins de l’enseigne, en distribuant aux salariés un tract que nous avions rédigé appelant à nous rejoindre dans la grève. Ils ont été bien accueillis. Dans le secteur du commerce, la grève n’est pas une tradition ancrée. Beaucoup de salariés rencontrés nous ont dit qu’ils ignoraient même qu’ils avaient le droit de grève !
L’ÉA : Quel bilan tires-tu de la grève ?
Laurent : Notre lutte n’aura débouché que sur une victoire partielle, la réintégration dans l’enseigne et deux négociations de licenciement avec la direction. Si d’un point de vue matériel le bilan est mitigé, d’un point de vue moral, la victoire est totale. Mes collègues qui participaient à leur premier mouvement ont fait l’apprentissage de la lutte, ont appris à prendre la parole en public, ont pris une part active dans l’organisation de la grève. En tant qu’anticapitaliste, cela peut paraître décevant de ne pas avoir réussi à maintenir l’emploi et de devoir négocier des primes de licenciement. Mais nous avons démontré que nous n’étions pas des moins que rien, que nous pouvions rester debout, que nous refusons d’être vendus comme du bétail. Rien que ça, c’est déjà une victoire, d’être restés debout et d’avoir fait grève, et ce sera un point d’appui pour l’avenir !