Quand des ouvrières prennent le contrôle de leur usine…
En 2001, l’Argentine a été touchée par une crise économique de grande ampleur due à l’éclatement de la bulle internet en 2000, qui a fini de déstabiliser un système économique déjà très fragile. Les plans d’austérité, les fermetures d’usines, la baisse des salaires ont conduit à une importante paupérisation de la population. Face à ces attaques, des résistances ont vu le jour. Les travailleurs se sont organisés en assemblées populaires au niveau des quartiers, et dans plus de 150 usines fermées, ils ont relancé la production. Le Mouvement national des entreprises récupérées (MNER), créé avant 2001, prit beaucoup d’ampleur durant cette période.
La crise argentine, illustre particulièrement bien la place des femmes dans les luttes. C’est un pays sous très forte influence de l’Église catholique, très patriarcal et sexiste. Le droit à l’avortement n’y est pas reconnu, ce qui entraîne de nombreux drames. Le harcèlement sexuel au travail et dans la sphère privée, les violences, sont très fréquents et banalisés, car les réponses judiciaires sont très faibles.
D’une lutte ouvrière…
Une des usines occupées est celle de textile Brukman, à Buenos Aires, dont une des particularités est qu’elle emploie majoritairement une main d’œuvre féminine, beaucoup de mères de familles, pour certaines arrivées sur le tard sur le marché du travail, poussées par la situation économique difficile des ménages. Suite à la fuite des patrons, les ouvrières ont commencé à occuper l’usine, puis à reprendre la production à leur compte, en auto-gestion. Cependant, après quelques mois, les patrons de l’usine ont voulu reprendre le contrôle, et les travailleuses ont été expulsées par la police.
S’en sont suivis huit mois durant lesquels les ouvrières ont établi un piquet de grève devant l’usine, jusqu’à finalement gagner le droit de récupérer le contrôle de l’usine. L’usine brukman est devenue une coopérative autogérée par ses ouvriers. La lutte, l’expérience d’autogestion de l’usine, la politisation, ont été pour les travailleuses une source d’émancipation, et de prise de conscience collective de l’oppression des femmes. Durant la lutte, de nombreux soutiens politiques ont été apporté aux ouvrières, notamment de la part du nouveau collectif féministe Pan y rosas, un regroupement large de toutes les femmes qui luttent pour l’émancipation et contre l’oppression avec des perspectives anticapitalistes et révolutionnaires. Ce collectif a vu le jour durant les mobilisations de 2001, en lien avec l’expérience de Brukman.
… au renouveau du mouvement féministe
Depuis, le mouvement féministe argentin s’est reconstruit et se bat contre le sexisme et pour les droits des femmes. En 2005 a débuté la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit, autour du slogan « Éducation sexuelle pour décider, contraceptifs pour ne pas avorter, avortement légal pour ne pas mourir ». Campagne qui a mené, en novembre 2011, à un premier vote en faveur du droit à l’avortement par une commission du congrès argentin. Ce vote est le résultat de longues années de luttes des féministes, et constitue une victoire, même si il devra être confirmé par deux autres commissions dont le résultat devrait être connu courant 2012.
L’exemple de l’Argentine illustre l’importance du lien entre mouvement des travailleurs et mouvement des femmes. Le mouvement anti-crise de 2001, et plus précisément la lutte des ouvrières de Brukman, n’a pas commencé avec des revendications féministes. Mais l’expérience de Brukman diffère de celles des deux cents autres usines occupées, par le caractère de genre que sans le vouloir cette lutte va porter. C’est une lutte qui a permis à des femmes au foyer, des ouvrières qui n’avaient jamais fait de politique et n’avaient jamais remis en cause leur place dans la société, de s’emparer de ces questions et de prendre conscience, progressivement et de manière différente selon les cas, de l’oppression dont elles étaient victimes. C’est également ce mouvement qui a aidé au renouveau du mouvement féministe en Argentine.
Lucie (Comité Jeunes Jussieu) et Mylène (Comité Jeunes Tolbiac)