Quelles leçons de Mai 68 ?
En ce moment, la France traverse une période de mobilisation contre la réforme des retraites. La mobilisation est massive dans les rues, et elle pourrait le 7 mars passer de la démonstration de force au rapport de force avec une grève reconductible. En tant que militants révolutionnaires, nous sommes des militants du débordement et de l’explosion sociale, et nous faisons le pari d’une extension et d’un approfondissement du mouvement par une grève générale massive et par un soulèvement de la jeunesse.
Une pancarte qu’on a beaucoup vu récemment c’est « Tu nous mets 64, on te Mai 68 », ce qui témoigne qu’il y a dans l’air une contestation qui dépasse la simple question des retraites, qu’il y a aussi un ras le bol généralisé qui s’exprime dans les rues ces dernières semaines.
Pourquoi Mai 68 ? Car Mai 68, c’est la dernière grande explosion sociale en France, et c’est la conjonction d’un mouvement étudiant et d’une grève générale, qui met en lumière la force des travailleurs quand ils se mobilisent, mais pas seulement. Car Mai 68 (qui commence bien avant), c’est à la fois une grève générale de 10 millions de salariés qui paralyse le pays et déclenche une crise politique majeure. Bref une explosion sociale, mais qui ne parvient pas à déborder les directions syndicales et les partis de gauche qui réussissent, malgré pas mal de difficultés, à garder le contrôle et à emmener ce mouvement pourtant énorme dans une impasse. C’est pour ça qu’il nous semble important de revenir dessus aujourd’hui.
Mai 68 est souvent réduit à une contestation étudiante anti-autoritaire, par les réactionnaires d’hier et d’aujourd’hui. Mais si Mai 68 est à ce point dénoncé par les réactionnaires, ce n’est pas uniquement parce que ça leur froisse la morale. C’est surtout parce que c’était une explosion sociale qui portait en elle une contestation de toute la société, et que le monde du travail s’est emparé de l’atmosphère de révolte qui avait lieu dans la jeunesse, provoquant une grève générale de près de 10 millions de grévistes… Une explosion sociale au fort potentiel. Peut-être pas révolutionnaire, car justement il manquait cette perspective et un parti pour la proposer, mais c’est quand même une révolte qui a ébranlé le pouvoir des patrons et de De Gaulle. Une révolte qui a changé l’ambiance dans le monde du travail, des petites aux grandes entreprises.
Revenir sur le contexte qui précède mai 68
Le capitalisme français à l’époque traverse ce qu’on appelle les « trentes glorieuses ». Après la 2nde guerre mondiale, la bourgeoisie profite d’une grande augmentation de la productivité, un effet de reconstruction du pays, appuyé sur l’empire colonial français. La croissance atteint 5 à 10% par an, et l’économie connaît une grande période de prospérité. Cela fait que la bourgeoisie est capable d’accorder un certain nombre de concessions à la classe ouvrière, par des augmentations de salaire, un relatif plein emploi, une hausse du niveau de vie d’une partie des salariés, dont une couche de cadres dont le nombre augmente fortement. Néanmoins, cette augmentation de la productivité se fait aussi par une augmentation des cadences, et les conditions de travail des salariés restent particulièrement dures. Les manœuvres, OS (ouvriers spécialisés) et les jeunes, les ouvriers immigrés sont les plus touchés par les bas salaires, les cadences et les brimades des chefs.
D’autant plus qu’en 1968, les trentes glorieuses touchent à leur fin, le patronat commence à licencier (dans le textile, l’industrie lourde…) et la hausse des salaires ralentit fortement (2% en 67 contre 5% les années précédentes). A l’époque, il y a 350 000 chômeurs. Pompidou (1er ministre) explique « si on atteint 500 000 chômeurs, c’est la révolution ». La période de reconstruction de l’économie avait surtout bénéficié à la bourgeoisie, même si l’accès aux voitures, à l’électroménager, à la société de consommation était possible. Bref, amélioration du confort pour une partie de la classe moyenne mais exploitation capitaliste toujours réelle et dure, avec 5 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, un salaire minimum très bas, et une durée de travail dépassant souvent 45 heures par semaine.
Le régime politique en place en France c’est le régime gaulliste, mis en place après la crise algérienne de 1958, et dans le but de remédier à l’instabilité de la quatrième république. La cinquième république, c’est un « État fort », stable et autoritaire, où le président l’emporte sur le parlement.
Qu’est-ce qui permet au régime gaulliste d’avoir sa stabilité ? Paradoxalement, c’est beaucoup le PCF et la CGT : en 1945, la bourgeoisie s’était appuyée dessus pour marchander la paix sociale. Le PCF prônait « l’effort national de production », expliquait que « la grève c’est l’arme des trusts » et demandait aux travailleurs des efforts,en limitant les luttes à des journées d’action ponctuelles, à des revendications limitées, et tout ça en échange de la Sécurité sociale. C’était avant la Guerre Froide. Cela change un peu à partir de 1947 car le PCF quitte le gouvernement (à cause d’une grève chez Renault) et se retrouve vite dans l’opposition. Les communistes staliniens s’affrontent avec le gouvernement, parfois violemment. Mais le PCF reste quand même fidèle aux institutions et surtout encadre la classe ouvrière dans les entreprises, via la CGT. La CGT, pilotée par le PCF, est à la fois un adversaire, mais aussi parfois un appui pour les patrons, car elle évite les débordements et garde le rôle de représentant exclusif des salariés. Néanmoins le PCF suscite déjà une certaine défiance : pendant la guerre d’Algérie, sa position a dégoûté beaucoup de jeunes (le PCF revendiquant « la paix » mais pas l’indépendance de l’Algérie). De même, la répression de la révolte populaire en Hongrie en 1956 par l’URSS ou la rupture avec la Chine de Mao vont fragiliser un peu l’image du PCF, notamment dans la jeunesse.
C’est dans ce contexte que de nombreux groupes gauchistes (maoïstes, trotskistes, anarchistes) vont gagner en audience, même si le PCF jouit toujours à l’époque d’une réputation considérable, qui se revendique de la révolution russe et de la classe ouvrière.
Malgré tout, il va y avoir dans les années précédant 68 des grèves importantes et une certaine politisation dans la jeunesse, notamment avec la guerre d’Algérie, qui attise (à juste titre) le sentiment anticolonialiste et anti-militariste. De nombreux jeunes avaient été mobilisés, et beaucoup connaissaient des proches traumatisés ou victimes de cette guerre. Cette sale guerre coloniale de la France, menée par la droite comme par la gauche contre le peuple algérien. L’UNEF à l’époque, avait été une des seules organisations de jeunesse à s’opposer activement à la guerre. Elle comptait 100 000 membres soit la moitié des étudiants. La guerre au Vietnam va elle aussi attiser la colère des jeunes, qui s’organisent dans des comités de soutien pour dénoncer cette guerre, dans le sillage de la jeunesse américaine et d’ailleurs. Et puis il y a l’ambiance conservatrice de cette France des années 1960, où la presse est fliquée par l’ORTF, où les femmes sont rabaissées, où la morale hypocrite est rejetée par des jeunes qui veulent que ça change. De Gaulle incarne un peu cette vieille France autoritaire, conservatrice, mais aussi misogyne et raciste, où les travailleurs algériens s’entassent dans des bidonvilles.
Mais malgré « l’État fort » gaulliste, les années 60 sont marquées par de dures grèves « sauvages » dans lesquelles les syndicalistes sont critiqués par les ouvriers car ils pèsent de tout leur poids pour rendre « symboliques » des conflits violents (grève des mineurs de 63, grève de Renault Flins en 64, grève des chantiers navals du Midi en 66). En 1967, les grèves se multiplient : en janvier chez Dassault à Bordeaux et parmi les dockers à Marseille ; en mars à la Rhodiaceta de Besançon (un mois de grève) ; 2 mois de grève dans les chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire en avril-mai ; des confrontations entre ouvriers de Renault et CRS au Mans en octobre 67, et bien d’autres. En janvier 68, à la Saviem (industrie automobile) à Caen, les syndicats ne parviennent pas à calmer les travailleurs qui affrontent les CRS. La répression entraîne une émeute. Idem à Quimper, Redon, Honfleur, La Rochelle, Cherbourg… Tout ça montre que du côté des travailleurs, la pression monte contre les conditions de travail, les salaires qui ne suivent pas l’inflation, les brimades des chefs… Ces grèves sont victorieuses et permettent des augmentations de salaires assez importantes, elles sont médiatisées et s’accompagnent d’un large soutien de la population, des étudiants, d’autres usines.
Un début de changement d’atmosphère et des affrontements avec la police, face à quoi les syndicats s’inquiètent et alertent sur les dangers de l’aventurisme ou des actions irréfléchies. Pour autant, personne ne s’attend à une explosion sociale en mai 68. Les vœux de De Gaulle prévoient une année calme et sereine. Le monde titre le 15 mars « La France s’ennuie ». La bourgeoisie, sa presse, ses politiciens, et même les organisations ouvrières ne s’attendaient pas cette explosion sociale alors que la période est apparemment prospère. C’est vrai que le début est presque anecdotique, mais c’est la goutte d’eau de la jeunesse qui va faire déborder le vase de la contestation. Reprenons le déroulé des évènements.
Le mouvement en 1968 commence par une mobilisation étudiante. À l’époque, le monde étudiant n’est pas le même qu’aujourd’hui. En 1968, les étudiants issus de la petite bourgeoisie et des classes moyennes commencent à arriver dans les facs (auparavant, c’était surtout les enfants de la bourgeoisie). Il y a environ 500 000 étudiants en 1968, soit beaucoup moins qu’aujourd’hui, mais leur nombre a doublé depuis 1960. Et déjà, les universités manquent de moyens pour accueillir tous ces étudiants, qui sont relégués dans les facs nouvelles à Nanterre ou à Vincennes. Et il y a les « mandarins » : les profs autoritaires et méprisants. Et tous les règlements vieillots et décalés par rapport aux aspirations des jeunes. À Nanterre, le règlement intérieur interdit aux filles de recevoir des garçons dans leur chambre étudiante et de sortir après 23h. C’est ce genre de règles débiles que dénoncent les étudiants au début de l’année 1968.
Le 21 mars, des occupations des bâtiments des filles ont lieu dans différentes universités pour protester contre ces règles : à Rennes, à Nantes, à Besançon. Mais c’est à Nanterre que le mouvement va aller le plus loin, avec l’occupation du bâtiment de la direction, qui donne naissance au Mouvement du 22 mars, sorte de comité de mobilisation qui regroupe anarchistes, trotskistes, maoïstes, militants de l’UNEF et du PSU (parti de gauche non stalinien influencé par les idées d’EG comme l’auto-gestion et qui a dénoncé la guerre d’Algérie). C’est ce Mouvement du 22 mars qui va être le moteur de l’agitation étudiante. Daniel Cohn-Bendit est alors le plus connu. La mobilisation monte dans les facs.
Le 3 mai, des centaines d’étudiants de Nanterre débarquent dans la cour de la Sorbonne à Paris, car la direction de Nanterre a fermé la fac. Les jeunes occupent la cour de la Sorbonne. La direction décide aussi de fermer la fac et envoie la police. Les affrontements débutent avec les flics et durent jusqu’à 23h dans le Quartier latin. Les flics embarquent des centaines de personnes.
Le PCF dans sa presse méprise la lutte des étudiants, et les accuse ces militants d’être des agitateurs, des provocateurs, des fils de grands bourgeois qui provoquent les fascistes et les flics. Le 4 mai, le journal du PCF (l’Humanité) titre : « De faux révolutionnaires à démasquer » et le chef du PC Georges Marchais y dénonce le mouvement du 22 mars « dirigé par l’anarchiste allemand Daniel Cohn-Bendit ». L’UEC dénonce les gauchistes qui empêchent de travailler et bloquent la contestation massive par leur gauchisme. Les 4 et 5 mai, 13 étudiants interpellés sont lourdement condamnés.
Le 5 mai, le quartier est complètement quadrillé par la police pour éviter les débordements. Mais le 6 mai, à la suite de la convocation de plusieurs étudiants dont Cohn-Bendit par le rectorat entraîne une manifestation de sauvage : 20 000 étudiants qui s’affrontent avec la police à coups de pavés, et montent les premières barricades. Dans plusieurs villes de France comme à Lyon, des manifestations de soutien aux étudiants ont lieu, et le syndicat des profs de fac ainsi que l’UNEF se mettent à soutenir le mouvement.
Le PCF, lui, tergiverse, dépassé par la situation. Il ne sait pas s’il doit condamner toujours le mouvement étudiant et les gauchistes, ou s’il faut se montrer solidaire des jeunes. La CGT quant à elle refuse tout soutien aux étudiants.
Le vendredi 10 mai, c’est la nuit des barricades. Après une manif sauvage, le Quartier latin est occupé par les étudiants qui dressent des barricades. Les affrontements avec la police sont durs. La répression brutale. Un reportage censuré sur les événements du 3 mai est diffusé le soir. Les techniciens de l’ORTF dénoncent la censure par la grève. Le courage et la détermination des étudiants suscite une certaine sympathie, notamment chez les jeunes travailleurs. La pression s’accroît sur le gouvernement, qui fait rouvrir les facs. Les syndicats ouvriers et surtout la CGT constatent dans le week-end que la révolte est soutenue et se positionnent en appelant le 12 mai à une grève générale le lendemain. La journée est prévue sans aucune suite, avec des mots d’ordre très vagues, il s’agit pour eux de ne pas se laisser dépasser par le mouvement.
Sauf que cette journée du lundi 13 mai dépasse complètement les attentes : 1 million de personnes manifestent à Paris, le pays est complètement bloqué par la grève, qui touche le public comme le privé. Les groupes d’extrême-gauche donnent le ton de la manif et influencent les jeunes. Cohn-Bendit et Krivine (JCR) défilent à côté de George Séguy (secrétaire général de la CGT). C’est inédit et symbolique. On chante l’internationale et on agite les drapeaux rouges (interdits par le PCF dans les année 1960 au motif que ça relevait de la provocation « anti-unitaire »). La crise commence à changer de nature : déjà les étudiants se mêlent aux cortèges des travailleurs, et les slogans expriment des revendications politiques, opposées au gaullisme « De Gaulle aux archives », « Dix ans ça suffit ». La Sorbonne réouverte est occupée à nouveau, et plusieurs dizaines de milliers de manifestants continuent la manifestation après qu’elle se soit terminée. La manifestation du 13 mai est donc un réel succès. Mais après cette grande démonstration de force, les organisations de gauche ne prévoient rien.
Du côté de la gauche, on en profite pour avancer l’idée qu’il faudrait remplacer De Gaulle par un autre gouvernement plus responsable. Pompidou, lui, accuse « des individus déterminés, munis de moyens financiers importants, de matériel adaptés au combat de rue, “dépendant à l’évidence d’une organisation internationale […] qui vise à créer la subversion dans les pays occidentaux ”. La bourgeoisie et le gouvernement tablaient sur un rapide retour au calme, mais la panique commence à monter. Car le lendemain dans les entreprises, contre l’avis des directions syndicales, une fraction des ouvriers ne reprend pas le travail. Les grèves reprennent et dès le 14 mai, dans l’usine Sud Aviation près de Nantes, une occupation est décidée. Le directeur est séquestré. La CGT et le PCF ne s’attardent pas sur l’événement dans leur presse. À Renault Cléon, débordant les initiatives des syndicats qui voulaient se contenter de simples débrayages de quelques heures, les ouvriers votent l’occupation du site. C’est le début d’un changement d’attitude du PCF et de la CGT, qui voient le mouvement monter et tentent de reprendre en main la situation, en créant un service d’ordre voire en déclenchant des occupations bien ordonnées.
Dans d’autres sites Renault, comme à Flins ou Billancourt, le même scénario se reproduit. À Renault Billancourt (une des plus grosses usines du pays) la CGT organise un meeting pour proposer des grèves tournantes. Il a peu de succès, mais dans la journée, des jeunes ouvriers quittent leurs postes et font débrayer les ateliers. Peu à peu, plusieurs départements de l’usine débrayent. La CGT appelle à arrêter la grève mais face au mouvement elle se résigne à appuyer la grève et l’occupation.
Le 16 mai, il y a plus de 50 usines occupées en France, notamment dans le Nord et en région parisienne. Le 17 mai, il y a 200 000 grévistes en France. La contestation s’étend à Peugeot Sochaux, dans des usines de Lyon ou de Besançon. Ce même jour, la CGT invite à ne pas multiplier les aventures, et à venir discuter avec les responsables syndicaux dans les assemblées générales. Rien n’est fait pour que le mouvement s’unifie ou s’étende, au contraire. Mais il continue à monter malgré tout. Le 17 mai, la grève commence à la RATP, à la SNCF, à Air France, dans la métallurgie,… Dans les jours qui suivent, elle s’étend encore. Le 19 mai, les enseignants du secondaire sont en grève illimitée. Le 21 mai, la grève est totale et quasiment toutes les entreprises sont touchées : l’industrie, les transports, mais aussi les petites boîtes et le secteur tertiaire (par exemple : les grands magasins, les banques comme le Crédit Lyonnais dont le siège est occupé, l’ORTF, les techniciens de cinéma, les PTT,…), les services publics,… Le 18 mai, il y a 1 million de grévistes à midi, et 2 millions l’après-midi. Le lundi 20 mai, il y a 4 millions de grévistes. Le 22 mai, il y en a 8 millions.
Le mouvement est massif et se propage comme une traînée de poudre. Il dépasse le nombre de grévistes de mai-juin 36, c’est la plus grande grève générale de l’histoire du pays. Tous les secteurs sont touchés, de la métallurgie au textile en passant par la chimie. Avec les ouvriers et employés (et les femmes), se mobilisent des techniciens, des ingénieurs et même des cadres. La grève contamine aussi les médecins, architectes, journalistes, footballeurs, fossoyeurs et musiciens qui occupent leurs locaux. Il y a plusieurs centaines d’occupations dans certaines régions et le nombre de grévistes approche les 10 millions.
Dans les universités, les étudiants organisent l’occupation : il y a des débats permanents sur de problèmes politiques et sociaux, des meetings organisés par des intellectuels.. On y remet en cause l’ordre moral, le machisme et les normes sociales bourgeoises. Les groupes d’extrême-gauche tiennent des stands dans la Sorbonne, qui est visitée en permanence par des curieux et des jeunes ouvriers. Si les étudiants proclament leur solidarité avec les travailleurs, ce sont surtout ces jeunes ouvriers qui font un pas vers eux en manifestant à leurs côtés et en allant dans les facs.
Les syndicats se retrouvent devant le fait accompli et décident de canaliser et de récupérer le mouvement. Pas tellement le choix d’ailleurs, et ça peut accroître leur influence face au pouvoir gaulliste. D’autant que malgré le nombre massif de grévistes, il y a peu de comités de grève. Ce sont souvent les dirigeants syndicaux qui décident, et les occupations sont gérées par les seuls syndicalistes. Cela contraste avec l’ampleur de la grève. Les lieux de travail sont occupés, mais cette occupation n’est pas la même que celle de juin 36 : organisée par la CGT et le PCF, elle sert à protéger l’outil de travail plus qu’à contester la propriété privée des moyens de production. Du coup, l’implication des travailleurs est réduite et les usines se coupent de l’extérieur.
Par exemple, à Peugeot Sochaux, lorsque la grève débute, sous contrôle syndical, sur 25000 travailleurs, seulement 200/300 d’entre eux occupent l’usine. Les autres sont partis car on ne leur proposait rien.
La préoccupation essentielle du PCF et de la CGT, c’est de garder la maîtrise du mouvement. Pour cela, la jonction entre étudiants et travailleurs est systématiquement brisée par les syndicalistes. Pourtant, les étudiants font la démarche de s’adresser à la classe ouvrière. De nombreux jeunes ouvriers participent aux manifs étudiantes. Mais le PCF veut à tout prix éviter l’influence des gauchistes. Le 17 mai, un cortège menée par Sartre vers Billancourt se heurte à une usine bouclée : les ouvriers grimpent en haut des murs pour observer les jeunes devant les portes fermées, qui finissent par repartir.. Toute coordination du mouvement suscite chez la bureaucratie syndicale une volonté de la tuer dans l’œuf, de peur d’être dépassée. On voit fréquemment des usines occupées par les syndicalistes qui invitent les salariés à rester chez eux, pendant que le pays est complètement bloqué. La grève paralyse le pays pendant plus de 2 semaines. Une véritable crise politique, que la gauche revendique pour tenter d’accéder au pouvoir.
Dès le dimanche 19 mai, le PCF cherche une alliance gouvernementale à gauche. Alors que la grève générale s’étend, Waldeck-Rochet (dirigeant du PCF) déclare à la radio : « Il est temps de prévoir la constitution d’un gouvernement populaire et d’union démocratique. Pour sa part, le Parti communiste français est prêt à prendre toutes les responsabilités », c’est-à-dire à faire la roue de secours de la république bourgeoise. Alors que la crise s’aggrave, le 24 mai, De Gaulle déclare qu’il va organiser un référendum : si le non est majoritaire, il quittera le pouvoir. Cette déclaration met la gauche en émoi, car les appareils politiques y voient une bonne occasion. Pourtant, c’est un leurre. L’objectif était d’arrêter les manifestations et les grèves, mais la manœuvre échoue et le référendum est oublié.
On parle de crise politique, mais pas de situation révolutionnaire ? Tout est dans le sens des mots, mais ce qui est certain, c’est que l’État réputé si fort commence à trembler : incapable de maintenir l’ordre avec ses flics et ses CRS dans les rues face aux jeunes, il ne peut pas non plus faire tourner le pays en grève, même avec l’armée. Alors oui, le régime gaulliste est menacé. Mais pour que la situation soit révolutionnaire, il faudrait que les travailleurs s’imposent face à l’État en créant leur propre pouvoir, d’abord à une échelle locale peut-être et ensuite à l’échelle du pays. Cela signifie bien sûr quitter le terrain de la légalité bourgeoise (c’est déjà le cas avec les occupations d’usine, les manifs sauvages et les barricades) mais surtout assumer le pouvoir de fait qu’on exerce et prendre l’initiative de l’étendre et de le renforcer en mettant sur pieds des structures alternatives capables de décider, du côté des travailleurs, de ce qu’il faut faire pour gagner. Sans cette forme de pouvoir « ouvrier », un mouvement aura bien du mal à menacer la bourgeoisie et à éviter les pièges sur son chemin qu’ils s’appellent négociations ou élections… En mai-juin 68, ces pièges s’appelaient Accords de Grenelle et élections législatives.
Après 10 jours de grève, le PCF veut faire la démonstration de son influence et de son utilité en titrant le 22 mai: « Patronat et pouvoir au pied du mur. Nous sommes prêts à prendre part à de véritables négociations ». Et c’est bien ce qu’il va tenter en engageant des négociations le 25 mai, rue de Grenelle. La CGT, FO, la CFDT, la FEN et des organisations patronales se réunissent sous la direction de Chirac (secrétaire d’État à l’emploi) et Pompidou (premier ministre). L’objectif est d’arrêter la grève générale, et de prouver ainsi à la bourgeoisie qu’il faut composer avec le PCF. Les négociations ont lieu avec le gouvernement et le patronat pendant tout le week-end. Tandis que Waldeck-Rochet demande un programme commun à gauche, Pompidou déclare qu’il réprimera les manifestations. D’ailleurs, l’État se fait de plus en plus violent contre le mouvement : le gouvernement interdit aux médias de faire des reportages en direct (le 23 mai). Le 22 mai, la droite crée des Comités de Défense de la République (CDR), pour contrecarrer les manifestations. Partout, la répression est féroce : les matraques policières resteront d’ailleurs emblématiques de cette période. À Paris, à Lyon, Toulouse, Strasbourg, Bordeaux,… des manifestants affrontent la police et dressent des barricades. À Nantes, les paysans et les ouvriers manifestent avec les étudiants (« Commune de Nantes », pendant 2 jours). Le PCF craint de plus en plus de perdre le contrôle. C’est ce que dit Pompidou à la fin des négociations : « Vous êtes menacés autant que le gouvernement, et peut-être davantage. Si les étudiants, les gauchistes de toute espèce, et les partis politiques qui courent après eux, sans parler des syndicats qui vous concurrencent, entraînent les ouvriers, vous serez emportés, quoi que vous fassiez. Votre encadrement n’y résistera pas. Votre intérêt, vous le savez comme moi, c’est le retour au calme ». C’est plutôt bien vu de la part d’un politicien bourgeois, mais plus facile à dire qu’à faire !
Les négociations entre le gouvernement, les représentants patronaux et syndicaux ont commencé le 25 mai. Après 48h de négociation à l’abri des regards, quelques concessions sont accordées : augmentation de 30% du salaire minimum, de 10% des salaires. C’est beaucoup, mais très insuffisant par rapport à la mobilisation : rien sur l’échelle mobile des salaires, sur le temps de travail, les cadences…. Il y a aussi de nombreux gestes en direction des syndicats : les sections syndicales d’entreprise et de nouveaux droits pour les élus syndicaux.
Le patronat a compris la leçon de juin 36 et les limites de la chasse aux syndicalistes, les syndicats sont reconnus comme importants pour la bonne marche des entreprises, et même si cet accord angoisse les petits patrons les plus hostiles aux syndicats, le grand patronat et les directions syndicales y trouvent leur compte. Mais l’impact de cet « accord de Grenelle » est surtout politique : il faut stopper le mouvement et le diviser, pour que la reprise du travail se négocie usine par usine, à un niveau où le rapport de force est plus favorable au patron. Manière d’effacer toute perspective commune à tous les grévistes. Les patrons posent comme seul préalable à la discussion les accords de Grenelle. Face au refus des travailleurs, le PCF propose d’éparpiller le mouvement en négociant les accords par branche ou par secteur, et réussit à transformer la grève générale en une juxtaposition de grèves locales.
Pourtant le mouvement continue, et parfois contre les syndicats et leur « accord de Grenelle » bidon. À Renault Billancourt (35 000 ouvriers), les ouvriers huent le secrétaire général de la CGT qui était venu présenter les accords de Grenelle. Il est obligé de déclarer « rien n’est signé ». Ailleurs, les accords de Grenelle provoquent le même rejet : à Citroën Javel, à Berliet Vénissieux, à Sud-Aviation Marignane, à la Rhodiaceta de Vaise, les ouvriers refusent de cesser la grève malgré la CGT.
Après le rejet des accords de Grenelle, les politiciens de gauche se bousculent pour assumer le pouvoir. Le 27 mai, lors d’un grand meeting au stade Charléty, la gauche tente sa chance sans le PCF. Le 28 mai, Mitterrand se pose en remplaçant de De Gaulle après le référendum. Le 29 mai, le PCF est vexé d’être oublié et l’Humanité titre : « L’exigence des travailleurs, gouvernement populaire et d’union démocratique à participation communiste ! ». Pour montrer qu’elle compte, la CGT organise une grande manifestation à Paris : entre 400000 et 800000 personnes réclament le départ de De Gaulle et un « gouvernement populaire ».
Réponse du même De Gaulle après quelques jours de flottement : le 30 mai il annonce la dissolution de l’Assemblée nationale et en organise une grande marche sur les Champs Élysées. Le gouvernement reprend le contrôle de l’ORTF, dénonce le PCF et montre les muscles.
La gauche en profite pour dire qu’il ne faut pas gêner la bonne marche des élections. Les directions syndicales se rapprochent de Mendès France et Mitterrand qui prétendent incarner un débouché politique au mouvement. Malgré la volonté de faire reprendre le travail, la grève dure encore 3 semaines. Donc Mai 68, c’est de mars à juin !
Le 31 mai, les syndicats poussent aux négociations et amorcent la reprise du travail : les PTT cessent la grève tandis que le carburant coule à nouveau. Le numéro 2 de la CGT, Krasucki, appelle à la fin des grèves, sans préciser sur quelles bases, puisque les accords de Grenelle ont été rejetés ! Pour le PCF, il faut préparer la « 2ème manche » : les législatives du 23 juin ! On se félicite des quelques accords sectoriels et on organise la reprise dans l’ordre et la dignité (et dans « l’unité » !), en truquant les votes des comités de grève, en mentant obstinément aux travailleurs pour les convaincre que les autres ont repris ou se montrant très très insistant… À la RATP, par exemple, la CGT raconte dans chaque dépôt que le travail a repris à côté, alors que ce n’est pas le cas !
À Peugeot Sochaux, la reprise est votée par une minorité d’ouvriers (5284 sur plus de 12000 qui avaient voté la grève, avec 49 voix de plus pour la reprise !), et les délégués syndicaux profitent d’une manifestation pour évacuer les piquets de grève. Mais le lendemain, les ouvriers refusent de travailler, et réoccupent l’usine.
Mais les syndicats vont partout pousser à la reprise du travail, parfois en expliquant que les autres entreprises ont déjà repris. Une scène fameuse tournée à l’usine de piles Wonder de Saint-Ouen montre des ouvrières dégoûtées qui refusent de reprendre le boulot sous la pression des syndicalistes. A Citroën Javel, bastion de la répression patronale, Krasucki lui-même vient demander aux grévistes de reprendre, après 5 semaines de lutte. La CGT appelle les dernières usines occupées à cesser les grèves pour éviter l’isolement qu’elle a elle-même préparé ! Elle va même demander à la direction de licencier les ouvriers gauchistes !
Le mouvement s’éteint progressivement, mais la grève tient bon dans certaines usines, comme à Renault Flins ou à Peugeot Sochaux, où les CRS passent à l’offensive pour évacuer les usines, faisant plusieurs morts parmi les ouvriers. Parfois, c’est l’extrême-droite qui attaque les manifestants.
Le gouvernement dissout les groupes gauchistes mi-juin… et les gaullistes remportent largement les élections législatives fin juin. Effectivement, pour gagner les élections il faut ratisser large, mais comment apparaître modéré quand on se dit représentant de la classe ouvrière qui sort d’un mois de grève générale ? Dans la rue et les usines, les jeunes et les travailleurs qui se mobilisent sont bien plus puissants que dans les urnes. Sur ce terrain et dans un contexte de reflux, De Gaulle est bien meilleur. Aussi, les élections législatives sont une gifle pour la gauche qui perd des centaines de milliers de voix. Le parti de De Gaulle obtient la majorité absolue. Il faut dire que la campagne électorale n’a pas vraiment eu lieu : qu’on vote à gauche ou à droite, l’enjeu était de condamner le mouvement ouvrier et étudiant. Et la « gauche » ne pouvant ni le revendiquer, ni s’en dissocier, n’avait rien de précis à proposer si ce n’est des vagues promesses de paix et de progrès social. Le PCF montre bien qu’il veut être le parti de l’ordre. On peut lire une affiche électorale de PC par exemple où est écrit :
« De tous les partis d’opposition au pouvoir gaulliste qu’il combat depuis 10 ans, LE PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS, a été le seul, DÈS LE DÉBUT, à dénoncer publiquement les agissements, les provocations, et les violences des groupes ultragauchistes, anarchistes, maoïstes ou trotskystes, qui font le jeu de la réaction. VOTEZ COMMUNISTE ».
La « gauche » perd son crédit et des sièges au Parlement (la droite a 362/485 députés). Le PCF et la CGT expliquent que la déroute est due aux provocations des gauchistes, et justifient leur politique désastreuse en expliquant que les conditions n’étaient pas remplies pour un changement politique, que la grève n’était pas politique, qu’ils ne voulaient pas se couper des masses en étant trop radicaux et que les travailleurs ne voulaient pas prendre le pouvoir. Ce dernier argument peut être discuté. Certes les 10 millions de grévistes n’étaient pas révolutionnaires. Ou du moins ils n’envisageaient pas de « prendre le pouvoir ». Mais la responsabilité des organisations ouvrières aurait été de construire un rapport de force, et de mettre en place des organes de pouvoir ouvrier, pour contester celui de la bourgeoisie, l’inverse de ce que le PCF et la CGT ont fait. Les quelques comités d’usines représentatifs des travailleurs étaient très peu nombreux et ne constituaient pas l’ébauche d’un double pouvoir qui aurait pu contester l’autorité de l’État ou prendre l’économie au nom des travailleurs.
Les conclusions politiques que l’on peut tirer de ces événements
Déjà on peut noter que personne n’avait vu venir mai 68, pas même les révolutionnaires !
De nouvelles explosions sociales vont avoir lieu dans le monde, et auront lieu peut-être même en France dans les années à venir. Mai 68, c’est aussi un exemple face à l’argument permanent que rien ne se passe et qu’un changement social de grande ampleur est impossible.
Ensuite, on voit que la force sociale représentée par les étudiants se démultiplie quand elle se joint à celle de la classe ouvrière. La lutte de la jeunesse peut servir d’étincelle pour le monde du travail. La jeunesse étudiante de 68 a pu rencontrer un écho chez les jeunes travailleurs, et les travailleurs dans leur ensemble.
Mai 68 est également très instructif pour montrer ce qu’est la gauche, qu’elle soit syndicale ou politique. La CGT a été une force d’encadrement de la contestation ouvrière, qui a usé de son crédit pour se poser en dirigeante naturelle de la CO. Mais la gauche comme les syndicats craignent aussi d’être dépassés par le mouvement et cherchent à canaliser les mouvements dans des élections, au nom d’un « débouché politique ».
Si Mai 68 n’est pas allé jusqu’au bout, c’est parce que la question du pouvoir des travailleurs n’a pas été posée, même pas sous l’angle réduit des comités de grève et de la démocratie ouvrière dans la lutte. Ils auraient pourtant pu (et dû) être les embryons d’un pouvoir ouvrier dans cette situation inédite.
Le pouvoir des travailleurs, ce n’est pas la suite logique d’une grève. Ça se construit. Le fait d’être 10 millions de grévistes est un pas immense, évidemment. Et de nombreux travailleurs et jeunes aspiraient à un changement social profond. Mais comment faire pour le réaliser ce changement ?
C’est là que la confiance dans les syndicats et partis de gauche a été un obstacle, tout comme la politique de ces mêmes organisations. La fraction la plus consciente des travailleurs, par exemple celle qui refuse les accords de Grenelle et qui se sent trahie, aurait pu jouer ce rôle. Mais pour que cette perspective s’incarne politiquement, il aurait fallu un parti communiste révolutionnaire implanté dans le prolétariat, qui aurait pu proposer une perspective bien différente de la négociation avec le patronat et le gouvernement avant de s’engouffrer dans l’impasse électorale.
Ce qu’il aurait fallu, c’est bien une autre « direction » à ce mouvement que celle auto-proclamée de la gauche (notamment PCF) et de la CGT.
Ce parti qu’il aurait fallu (et dont on risque d’avoir besoin dans les prochains temps ici), c’est l’état-major de la classe ouvrière en lutte. Pas pour donner les ordres, mais pour proposer des perspectives et des orientations à celles et ceux qui veulent se battre, à chaque étape de la lutte.
Un des grands problèmes qui s’est posé en 68 c’est que les gauchistes, et notamment les trotskistes étaient très minoritaires. Quand il dissout les organisations d’extrême gauche (en lot), le gouvernement le fait car il voit en elles un danger. Un danger limité certes, mais ces organisations étaient un ferment de désordre par leur activisme et les mots d’ordre qu’elles proclamaient.
Mai 68 aurait d’ailleurs pu être un moment de regroupement de tous ces révolutionnaires « gauchistes ». Le groupe Lutte Ouvrière avait ainsi proposé après 68 de regrouper les gauchistes dans un même parti pour que Mai 68 « féconde et régénère le mouvement ouvrier » après des décennies d’un stalinisme qui avait tout stérilisé. Un pari certes, que de lancer un tel parti à partir de traditions politiques différentes, mais qui aurait peut-être permis de poser les bases d’un parti révolutionnaire implanté, dans un moment où l’hégémonie du PC sur la classe ouvrière se fissurait un peu. En effet, ce qui a changé après Mai 68, c’est que les gauchistes ont pu s’implanter dans les entreprises, car ils avaient gagné le droit de cité auprès des travailleurs pendant le printemps. Conséquence : les staliniens du PCF ou de la CGT ne pouvaient plus aussi facilement les dégager par la violence.
Ce pari du parti des gauchistes n’a pas été relevé par les autres groupes. Et on en est toujours à la construction de cet outil qui manque pour pousser les luttes au maximum de leurs possibilités et éviter les impasses. Car même si les partis et syndicats de gauche sont en crise et se sont affaiblis, ils gardent une capacité de nuisance et d’illusion, on le voit actuellement avec le cirque parlementaire sur la réforme des retraites. Et les appareils syndicaux s’auto-proclament toujours dirigeants des luttes du monde du travail, on le voit avec l’intersyndicale aujourd’hui et son « calendrier » de mobilisation.
Alors un des nombreux enseignements qu’on peut tirer de Mai 68 dans ce mouvement contre la réforme des retraites qui commence, c’est que ceux qui luttent contrôlent leur mouvement, qu’ils discutent et décident de là où ils veulent aller et des moyens qu’ils devront se donner pour y parvenir. Ça veut dire la démocratie ouvrière, les Assemblées Générales et les comités de grève qui ont tant manqué en Mai 68, pour que les grévistes choisissent l’objectif et la tactique de leur mouvement.
C’est d’ailleurs dans ces assemblées que la démocratie ouvrière pourrait sélectionner les différentes perspectives qui s’offre à elle, ou que les partis politiques défendent : élections, illusion parlementaire, corporatisme, négociations, occupations isolées, reprise du travail… ou coordination des grévistes, extension, approfondissement du mouvement.
C’est évidemment un peu schématique, car toute tactique dépend d’un contexte précis, mais voilà quelques éléments qui distinguent la politique de la gauche et celle des révolutionnaires dans un mouvement de cette ampleur.
Reste à espérer (et à préparer) que les prochaines semaines permettent au monde du travail d’expérimenter la lutte et l’organisation à la base, pour faire reculer le gouvernement et le patronat sur la réforme des retraites et bien d’autres choses.
Car finalement (et ce n’est peut-être pas tout à fait anodin), Mai 68, c’est bien un mouvement qui éclate… sans revendication précise ! Et dans cette société capitaliste, ce n’est pas la plus mauvaise des revendications que de vouloir tout changer !