Un candidat ouvrier « c’est aussi défendre la dignité de notre camp social »
Beaucoup de jeunes sont rentrés dans la politique avec la loi Travail, et toi, comment est-ce que tu as commencé à militer ?
Mon époque à moi c’était l’opposition à la dictature chilienne, c’était la lutte contre l’appartheid aussi, et le soutien à Mandela. Et puis il y avait aussi la question kanak, parce que c’était le début de Mitterand et il avait promis plein de choses pour les kanak, avec un discours anti-colonial, et finalement c’est tout l’inverse qui va se passer. Ça m’avait beaucoup marqué ça, et ça a été pour moi le début de la rupture avec le Parti Socialiste. A l’époque on avait vachement le regard ailleurs : je n’appelais pas ça la solidarité des travailleurs à l’époque, je ne raisonnais même pas en lutte de classe, mais il y avait cette idée qu’il fallait soutenir les peuples, partout dans le monde. C’est quelque chose qu’il faut reconstruire !
Tu es surtout connu au niveau militant pour la lutte que vous avez mené à Ford contre la fermeture de l’usine. La lutte a repris ces derniers jours. Tu peux raconter un peu l’histoire de la lutte des Ford, et où on en est aujourd’hui ?
En 2007, l’avenir sur l’usine a commencé à s’assombrir. Il n’y avait pas d’annonce de fermeture mais on savait qu’en 2008 ou 2009, on allait vers la fin. On a appellé à une manifestation à l’exterieur de l’usine, un samedi matin, pour tirer la sonnette d’alarme et expliquer que l’usine est menacée. On était seulement une vingtaine de militants organisés, mais on se retrouve pas loin de 250 à cette première manifestation ! Avec aussi les compagnes de collègues, les familles… Et là, ça bascule. Ça bascule parce qu’on se prend à avoir confiance en nous.
A partir de là commence deux ans de mobilisations, en 2007 et 2008. Tout le monde nous disait « Vous n’y arriverez pas. Ford, ils feront ce qu’ils veulent, s’ils veulent partir ils partiront », etc. Nous on a dit : « On verra, on se bat ». Et ce qu’on expliquait c’est que les emplois chez Ford, c’est l’emploi dans la région : des emplois publics, des emplois de commerce… On expliquait qu’il fallait que tout le monde se solidarise parce que tout le monde était concerné. Même dans les médias notre lutte va être vue comme une bataille collective, pas uniquement pour nous, les ouvriers Ford.
La mobilisation se construit, et les collègues prennent confiance en eux. On a fait des tas de trucs qu’on aurait jamais pensé possible ! On a envahi les salles de réunions, on a séquestré le patron, enfin… tout ce qui était un peu à la mode aussi à cette époque là ! (rires) Parce qu’on n’était pas les seuls : ça s’est vu à Continental, à Goodyear, à New Fabrice, à Molex… On était dans un contexte de pas mal de bagarres et on essayait de se mettre en lien avec eux.
Au bout du compte, Ford n’a pas fermé l’usine, et a relancé la production. Mais c’était à court terme, parce qu’on se retrouve à nouveau sous la menace d’une fin d’activité, fin 2018. Le problème est posé, et on espère bien que les collègues vont se remobiliser parce que c’est ça qui va être déterminant, c’est cette force qu’on a, et notre propre expérience montre qu’on peut se battre.
Est-ce que tu pourrais revenir sur pourquoi c’est important pour toi qu’ « un ouvrier ne ferme pas sa gueule », comme tu disais en 2012 ?
C’est vrai qu’on nous apprend, dès qu’on est tout petit, qu’il faut qu’on se taise, et qu’il faut laisser parler les experts… Mais comme par hasard ces experts sont toujours du côté des riches et des patrons, avec une idéologie qui défend leurs intérêts ! Donc on a tout intérêt à nous, nous représenter, à parler directement, à être là et à défendre d’autres idées : l’anticapitalisme, contre cette société-là, contre les patrons, contre les possédants.
Par ailleurs, présenter un candidat ouvrier, c’est aussi défendre la dignité de notre camp social. On n’est pas juste bon à bosser, à être exploité ou à être viré quand on a plus besoin de nous. Aujourd’hui quand on parle d’un ouvrier à la télé, c’est pour dire qu’il a perdu son boulot. Nous on a envie de dénoncer l’exploitation, de dénoncer la souffrance au travail, de dénoncer le mépris social, et ce n’est pas pour jouer les victimes, mais pour poser la question de comment on renverse le cours des choses, comme on reprend nos affaires en mains.
Reprendre nos affaires en mains, sur la question du chômage, ça veut dire quoi ?
Aujourd’hui on baigne dans une campagne ultra-libérale, qui nous explique que la concurrence impose la compétitivité, qu’on a pas le choix, que c’est la crise, qu’il n’y a pas d’argent, etc. Et du coup on nous explique qu’il faut forcément accepter les restrictions d’effectifs, les cadences qui augmentent, les réorganisations du travail qui suppriment tout ce qui ne rapporte pas… Et pendant ce temps, on s’aperçoit que pour ceux qui restent au boulot c’est de plus en plus dur, et qu’une grande partie de notre classe se retrouve sans travail, ou dans une précarité extrême.
Nous proposons un programme qui répond à ça : interdiction des licenciements, embauche massive dans les services publics, partage du temps de travail. On nous dit qu’il n’y a pas de travail pour tout le monde. D’accord, alors on partage ! De manière à ce que les anciens puissent partir le plus tôt possible à la retraite. Il y a tellement d’autres choses à faire que d’aller bosser.
Et il y a largement les moyens pour ça ! On voit bien que de l’argent il y en a, qu’il y a de grosses fortunes, que les dividendes explosent, que les profits sont faramineux. Arnault, Bettancourt, leur fortune dépasse les 25 milliards, les 30 milliards…
Mais évidemment notre objectif n’est pas seulement d’interdire les licenciements et de partager le temps de travail. C’est aussi de poser la question de qui décide, de qui contrôle l’économie. C’est pour ça que nous défendons la socialisation de secteurs entiers de l’économie, le secteur bancaire, le secteur de l’énergie, les transports… Et ça passe par la mise sous contrôle des salariés. C’est pour ça que notre programme, c’est plus que des mesures, c’est un choix fondamental de société. Et la force de notre programme, c’est quand les gens s’en emparent.
De ce point de vue là, le mouvement contre la loi Travail nous aide, parce qu’il a montré notre capacité à riposter. Le mouvement a quand même perturbé les classes dominantes : on a vu à quels points ils étaient énervés, insultants, avec quelle violence ils ont répondu dans la rue. C’est la preuve qu’ils ne peuvent pas diriger le système sans violence. Le mouvement a montré qu’il y avait vraiment deux camps dans la société.
Vis à vis de toute cette jeunesse, qui s’est mobilisée pendant la loi Travail mais qui s’est aussi beaucoup politisé pendant le quinquennat de Hollande, sur différents sujets, comment tu la vois cette jeunesse, et qu’est-ce que tu voudrais lui dire pour 2017 ?
L’une des forces de la mobilisation contre la loi Travail, c’est que mouvement de la jeunesse et le mouvement des travailleurs ont fusionné. Parce que le début du mouvement, c’est la jeunesse qui l’a organisé. C’est à partir de ça que les équipes syndicales les plus combatives, celles qui n’étaient pas sous la domination des directions syndicales – qui n’ont pas facilité et ont même parfois cherché à empêcher cette jonction – se sont lancées, et les premières manifestations étaient super dynamiques, parce que jeunes et travailleurs étaient ensemble.
A la dernière conférence de presse que nous avons fait à Paris, la journaliste du Figaro m’a à nouveau demandé : « Et alors, que pensez-vous de la jeunesse autonome, violente, pendant la mobilisation contre la loi Travail ? Pensez-vous qu’il faut s’en démarquer ? »… Moi j’ai répondu que cette violence est légitime ! L’envie d’en découdre avec la police, l’envie de se révolter, c’est légitime ! Après la question c’est comment ça s’organise, et comment on fait pour gagner. Mais c’est sûr qu’il y a une volonté de nous séparer, de dire que lorsqu’un jeune se mobilise, il est forcément manipulé : cette campagne-là n’est pas nouvelle.
Mais on se rend bien compte que l’urgence, elle est du côté de la jeunesse comme du côté des anciens, entre les jeunes qui sont dans la précarité ou au chômage, et les vieux qui crèvent au boulot. Il faut réussir à poser tous ces problèmes là et les regrouper, pas les séparer. Pour 2017, il faut faire en sorte que le mouvement de la jeunesse et le mouvement des salariés soient unis pour résister aux attaques des classes dominantes !
Il y a beaucoup de candidat qui disent que pour la jeunesse il faudrait un service civique ou un service militaire, qu’est-ce que tu en penses ?
Tout d’abord, il faut dire que ce qu’on voit c’est qu’avec la crise, la société est de plus en plus violente, au quotidien. La souffrance au travail, le chômage, la précarité, le mal-logement… Et la violence c’est aussi la répression, la police, même au point que les policiers vont manifester parce qu’ils en ont marre d’entendre dire qu’on les déteste… Tout s’inverse : le bras qui frappe se pose en « victime »… On baigne dans un truc très violent. Le sécuritaire, la lutte anti-terroriste… je dis ça parce que on voit qu’on est en train d’enrégimenter tout le monde.
Ce qu’il faut comprendre derrière tout ça, c’est que ce sont les possédants qui sont en difficultés, parce que la crise pour eux, c’est forcément des risques de colère sociale, de révolte. Alors évidemment, la jeunesse est visée en particulier, parce qu’on connaît sa capacité à la révolte. Et tous les candidats, y compris Mélenchon, propose le « service civique ». Ca paraît presque inoffensif, un service civique. Mélenchon dit que ça va aider la jeunesse à se solidariser, à apprendre la vie… Mais c’est déjà ce qu’on nous disait avant, quand y’avait le service militaire ! « Tu seras un homme, mon fils » !
Nous, la jeunesse qu’on veut c’est celle qui résiste, celle qui sur les ZAD a dit « Vinci on l’emmerde », « les flics n’ont qu’à venir », celle qui est descendu dans la rue. Il faut se battre contre cette volonté de mettre la jeunesse au pas. Et Mélenchon c’est peut-être le pire, ou Hamon et Montebourg, qui se disent tous à gauche, mais qui ont un discours qui est très dangereux, qui est celui de reprendre en main la jeunesse, avec des discours nationalistes.
Pour finir, je voulais qu’on revienne sur la campagne #2017PoutouDoitEnEtre. En ce moment tous les camarades du NPA sont sur les routes pour chercher les parrainages de maire, si tu voulais dire quelques mots par rapport à ça…
Pour nous les élections, c’est comme s’il y avait un banquet de candidats, au service des plus riches et qui sont d’ailleurs de ce milieu-là, et on veut s’inviter à ce banquet. Evidemment, le combat fondamental se passera dans la rue. Les élections, on les utilise pour populariser cette idée-là, et essayer de redonner confiance. Et défendre l’idée que la lutte des classes, il ne faut pas qu’il n’y ait que Warren Buffet [homme d’affaire américain, parmi les hommes les plus riches du monde] qui en parle ! Il dit que la lutte des classes existe, qu’il la mène et qu’il la gagne et c’est vrai. Mais on peut inverser le cours des choses, et c’est cette idée qu’on veut porter !